En l’espèce, un agent public titulaire au sein d’une commune s’est vu infliger par le maire une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée d’un jour. L’agent a saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande tendant à l’annulation de cet arrêté. Par un jugement en date du 20 juin 2024, la juridiction de première instance a fait droit à sa demande. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, estimant que la motivation de sa décision était suffisante dès lors que l’agent avait eu connaissance des faits reprochés au cours de la procédure disciplinaire. L’agent intimé a conclu au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, a soulevé l’existence d’un détournement de pouvoir et d’une erreur manifeste d’appréciation. Se posait alors à la cour administrative d’appel la question de savoir si l’obligation de motivation d’une sanction disciplinaire est satisfaite lorsque l’administration se contente de viser des documents établis durant la procédure, sans reprendre dans le corps de sa décision l’énoncé des griefs factuels retenus. Par un arrêt du 25 juin 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête de la commune. Elle juge que l’obligation de motivation impose à l’autorité disciplinaire de « préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu’elle entend retenir à l’encontre de l’agent concerné, de telle sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de cette décision, connaître les motifs de la sanction qui le frappe. »
La solution, qui confirme le jugement de première instance, rappelle avec fermeté les exigences formelles encadrant l’exercice du pouvoir disciplinaire par l’administration. Elle consacre ainsi une conception stricte de l’obligation de motivation qui doit être contenue dans la décision elle-même (I), garantissant par là même une protection effective des droits de l’agent public sanctionné (II).
I. La réaffirmation d’une conception stricte de l’obligation de motivation
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une lecture combinée des textes relatifs au statut des fonctionnaires et au code des relations entre le public et l’administration. Elle en déduit une exigence de motivation intrinsèque à l’acte de sanction (A), ce qui la conduit logiquement à écarter la validité d’une simple motivation par référence (B).
A. L’exigence d’une motivation intrinsèque à la décision
Le juge administratif rappelle que l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 et les articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration imposent que la décision infligeant une sanction soit motivée. Cette motivation doit comporter « l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ». L’apport de l’arrêt réside dans l’interprétation précise de cette obligation. La cour ne se contente pas d’une motivation formelle ; elle exige que les faits reprochés à l’agent soient matériellement décrits dans l’arrêté portant sanction.
Le raisonnement du juge souligne que la finalité de cette obligation est de permettre à l’agent de comprendre, par la seule consultation de l’acte qui le frappe, les raisons de la mesure prise à son encontre. La décision doit donc être autosuffisante et contenir en son sein tous les éléments nécessaires à l’information complète de son destinataire. En jugeant ainsi, la cour administrative d’appel met l’accent sur la clarté et la transparence que doit revêtir l’action administrative lorsqu’elle affecte la situation d’un agent, en particulier par une mesure répressive.
B. Le rejet d’une motivation par référence
La commune requérante soutenait que l’agent avait été pleinement informé des faits litigieux, notamment par un courrier engageant la procédure et lors d’un entretien préalable. L’argument est balayé par la cour, qui censure la pratique de la motivation par simple référence. Le fait que l’arrêté du maire mentionne l’existence d’une lettre du 21 janvier 2022 et d’un entretien du 3 février 2022 est jugé insuffisant pour satisfaire à l’exigence de motivation.
Le juge relève d’une part que ces documents n’étaient pas annexés à la décision, les laissant hors du champ de l’acte attaqué. D’autre part, et de manière plus fondamentale, il note que l’autorité administrative ne s’était pas explicitement approprié les faits décrits dans ces pièces de procédure. Il en résulte une incertitude pour l’agent, qui ne peut savoir « ceux finalement retenus par le maire pour le sanctionner ». Cette précision est essentielle car elle signifie qu’au terme de la procédure contradictoire, l’autorité peut écarter certains griefs. Seule la motivation finale de la sanction permet de cristalliser les faits définitivement retenus.
II. La consolidation de la garantie des droits de l’agent public
En imposant à l’administration de détailler les faits dans sa décision, le juge ne se limite pas à un contrôle formel de la procédure. Cette solution renforce la portée protectrice de l’obligation de motivation (A) et adresse un avertissement aux administrations quant à des pratiques susceptibles de générer une insécurité juridique (B).
A. La portée protectrice de la motivation
La décision commentée confère à l’obligation de motivation une fonction essentielle pour la garantie des droits de la défense. En exigeant que l’agent puisse, « à la seule lecture de cette décision, connaître les motifs de la sanction », la cour s’assure qu’il est mis en mesure d’apprécier en pleine connaissance de cause l’opportunité d’exercer un recours contentieux. Une motivation claire et factuellement précise est la condition première d’un débat juridictionnel loyal et efficace.
Cette solution permet à l’agent de cibler sa contestation sur les faits précis retenus contre lui, sans avoir à reconstituer lui-même les motifs probables de la décision à partir de diverses pièces de la procédure disciplinaire. Elle évite ainsi que l’administration ne puisse, au cours de l’instance, justifier sa décision par des éléments qui n’auraient pas été clairement énoncés dans l’acte initial. La motivation devient un rempart contre l’arbitraire, en obligeant l’autorité à fixer le cadre du litige dès le prononcé de la sanction.
B. La censure d’une pratique source d’insécurité juridique
Au-delà de la protection de l’agent, la décision a une portée plus générale sur la qualité de l’action administrative. En sanctionnant une motivation par référence, le juge administratif promeut la sécurité juridique. Valider la thèse de la commune aurait ouvert la voie à des décisions laconiques, dont la légalité dépendrait d’éléments extérieurs, rendant leur portée et leur fondement incertains tant pour leur destinataire que pour le juge lui-même.
Cet arrêt constitue donc un rappel à l’ordre pour les autorités administratives investies du pouvoir disciplinaire. Il les contraint à une rigueur accrue dans la rédaction de leurs décisions, en les obligeant à formaliser explicitement le résultat de leur instruction. Si cette exigence peut paraître formaliste, elle est en réalité le gage d’une bonne administration de la justice et d’une gestion du personnel public transparente et respectueuse des garanties statutaires. Elle prévient les contentieux liés à l’ambiguïté des motifs et assure une meilleure prévisibilité des décisions administratives.