Cour d’appel administrative de Marseille, le 27 juin 2025, n°24MA01964

Par un arrêt en date du 27 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur l’engagement de la responsabilité d’une collectivité territoriale à la suite d’un accident subi par un usager d’un ouvrage public. En l’espèce, une personne âgée a été victime d’une chute sur la voie publique, dans une zone semi-piétonne, et imputait cet accident au relèvement inopiné d’une borne escamotable automatique. La victime a subi plusieurs traumatismes suite à cet événement. Saisie d’une demande indemnitaire par la victime, la commune concernée a rejeté sa réclamation. La victime a alors saisi le tribunal administratif afin d’obtenir réparation de ses préjudices. Par un jugement du 25 juin 2024, le tribunal administratif a rejeté sa demande. La requérante a interjeté appel de ce jugement, arguant que l’accident résultait d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. La commune intimée a conclu au rejet de la requête, contestant tant la matérialité des faits que l’existence d’un défaut d’entretien, et a subsidiairement appelé en garantie la société chargée de la maintenance des bornes. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si la responsabilité de la collectivité pouvait être engagée pour défaut d’entretien normal, alors même que les circonstances exactes de l’accident et le lien de causalité avec l’ouvrage public étaient contestés. La cour administrative d’appel rejette la requête au motif principal que la victime n’apporte pas la preuve suffisante du lien de causalité entre l’ouvrage et le dommage. Elle ajoute, à titre surabondant, que le fonctionnement normal de la borne était établi, excluant ainsi tout défaut d’entretien.

La solution retenue par la cour s’inscrit dans une application classique du régime de responsabilité pour défaut d’entretien normal, en réaffirmant avec rigueur les exigences probatoires qui pèsent sur la victime (I). Cette approche permet également de préciser l’appréciation du caractère normal de l’entretien d’un ouvrage public dont le fonctionnement est par nature porteur de risques pour les usagers inattentifs (II).

I. L’application rigoureuse des exigences probatoires en matière de responsabilité pour défaut d’entretien normal

La cour administrative d’appel rappelle tout d’abord le principe de la charge de la preuve qui incombe à la victime (A), avant de sanctionner logiquement l’insuffisance des éléments produits pour établir le lien de causalité (B).

A. Le rappel de la charge de la preuve incombant à la victime

La décision commentée s’ouvre sur un rappel pédagogique des règles gouvernant la responsabilité administrative en cas de dommage causé par un ouvrage public. Les juges énoncent clairement qu’il « appartient à l’usager d’un ouvrage public qui demande réparation d’un préjudice qu’il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre celui-ci et le préjudice invoqué ». Cette formulation réitère un principe fondamental et constant en la matière. En effet, le régime de la responsabilité pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage public est un régime de faute présumée. La victime n’a pas à prouver la faute de l’administration, mais elle doit impérativement établir deux éléments : la réalité de son préjudice et le lien de causalité entre ce préjudice et l’ouvrage public. Ce n’est qu’une fois cette double preuve rapportée que la présomption de défaut d’entretien s’active, et qu’il appartient alors à la collectivité de s’exonérer en prouvant l’entretien normal, la faute de la victime ou un cas de force majeure. En l’espèce, l’enjeu principal du litige se cristallisait autour de cette première étape du raisonnement.

C’est précisément sur ce terrain probatoire que la cour a fondé sa solution, en procédant à une analyse méticuleuse des pièces versées au dossier par la requérante.

B. La sanction de l’insuffisance des éléments de preuve du lien de causalité

La cour se livre à un examen critique et détaillé des preuves apportées par la victime, pour conclure à leur incapacité à établir avec certitude les circonstances de l’accident. L’attestation du témoin oculaire est jugée trop imprécise et sa fiabilité est mise en doute, notamment en raison de l’absence de justificatif d’identité de son auteur et de ses contradictions avec d’autres éléments. De même, les propres déclarations de la victime sur le déroulement des faits postérieurs à sa chute sont qualifiées de « confuses ». Le rapport des sapeurs-pompiers, censé corroborer la thèse de la requérante, se révèle en réalité contradictoire avec l’heure de l’accident alléguée. La cour en déduit que l’ensemble de ces éléments apparaît « insuffisant pour établir la matérialité des faits invoqués, et le lien de causalité entre la chute et l’ouvrage public incriminé ». Cette sévérité dans l’appréciation des preuves n’est pas exceptionnelle. Le juge administratif exige des éléments précis, concordants et dénués d’ambiguïté pour tenir le lien de causalité pour acquis. Une simple allégation, même appuyée par un témoignage fragile, ne saurait suffire. La décision illustre ainsi le fait que le caractère présumé de la faute de l’administration ne dispense nullement la victime d’une charge probatoire substantielle et souvent difficile à satisfaire.

Au-delà de cette défaillance probatoire, qui suffisait à elle seule à justifier le rejet de la requête, les juges d’appel ont néanmoins choisi de conforter leur décision par une analyse subsidiaire portant sur l’état de l’ouvrage lui-même.

II. L’appréciation du caractère normal de l’entretien d’un ouvrage public à finalité spécifique

À titre surabondant, la cour examine le fonctionnement de la borne escamotable et conclut à l’absence de défaut d’entretien normal. Elle confirme d’abord l’absence de dysfonctionnement technique de l’ouvrage (A), puis elle exclut l’existence d’un défaut de conception ou de signalisation pour un piéton normalement prudent (B).

A. La confirmation de l’absence de dysfonctionnement de l’ouvrage

Pour écarter le défaut d’entretien normal, la cour s’appuie sur les fiches de contrôle trimestrielles de la société de maintenance, qui n’ont révélé « aucune anomalie ou dysfonctionnement ». Plus fondamentalement, elle analyse la finalité même de l’ouvrage. Elle juge que le relèvement de la borne au passage d’un piéton ne constitue pas un défaut, car « ce dispositif, qui consiste à empêcher le passage de tout véhicule autre que ceux autorisés, ne doit pas être arrêté par la présence d’un obstacle ». Cet argument est essentiel : la normalité de l’entretien s’apprécie au regard de la destination de l’ouvrage. Une borne escamotable n’est pas un portillon de sécurité pour piétons mais une barrière pour véhicules. Son fonctionnement normal implique donc une certaine dangerosité intrinsèque pour un usager qui ne l’utiliserait pas conformément à sa destination ou qui ne prêterait pas attention à son mécanisme. L’absence de dysfonctionnement est ainsi entendue non comme une absence de dangerosité absolue, mais comme le fonctionnement de l’ouvrage conformément à ses spécifications techniques et à sa finalité.

Cette appréciation de la normalité fonctionnelle de l’ouvrage se double d’une analyse de son environnement et de sa perception par les usagers.

B. L’exclusion d’un défaut de signalisation ou de conception pour un piéton normalement attentif

La cour examine ensuite si la dangerosité de l’ouvrage n’était pas aggravée par un défaut de signalisation. En se fondant sur les photographies produites, elle constate la présence de bornes lumineuses et d’un totem de commande informant de l’état des bornes. Elle en conclut à l’absence de « défaut de signalisation ou de visibilité pour un piéton normalement attentif ». Cette référence au comportement d’un usager prudent et diligent est classique dans le contentieux de la responsabilité. Elle suggère, sans le dire explicitement, une possible faute d’inattention de la victime qui, si la causalité avait été établie, aurait pu conduire à un partage de responsabilité, voire à une exonération totale de la collectivité. En jugeant la signalisation suffisante et en relevant l’absence d’autres accidents au même endroit, la cour renforce son constat d’un entretien normal de l’ouvrage. La collectivité a rempli son obligation en mettant en place un dispositif de signalisation adéquat, et il appartient ensuite à l’usager de faire preuve d’une vigilance ordinaire face à un ouvrage dont le mouvement est prévisible.

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