Cour d’appel administrative de Marseille, le 28 février 2025, n°22MA02377

Par un arrêt en date du 28 février 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur la qualification d’une mesure de transfert d’un agent public et sur la reconnaissance d’une situation de harcèlement moral. En l’espèce, un agent employé par un centre communal d’action sociale a été transféré au sein des services d’une métropole dans le cadre d’une mutualisation de services. Estimant que ce transfert constituait une sanction déguisée et que les agissements de son employeur initial caractérisaient un harcèlement moral, l’agent a saisi le tribunal administratif de Nice d’une demande indemnitaire visant à réparer les préjudices qu’il estimait avoir subis. Par un jugement du 30 juin 2022, le tribunal a rejeté sa demande. L’agent a alors interjeté appel de ce jugement, maintenant ses prétentions et soutenant que la décision de transfert était entachée d’un détournement de pouvoir. La question de droit posée à la cour était donc de savoir si le transfert d’un agent, opéré dans le cadre d’une réorganisation de service et s’accompagnant d’une modification de ses missions sans dégradation de sa situation statutaire ou de sa rémunération principale, pouvait constituer une sanction disciplinaire déguisée et caractériser des agissements de harcèlement moral engageant la responsabilité de l’administration. La Cour administrative d’appel rejette la requête de l’agent, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle juge que la mesure de transfert ne constitue pas une sanction déguisée dès lors que la condition tenant à la dégradation de la situation professionnelle de l’agent n’est pas remplie. Elle estime par ailleurs que l’agent ne soumet pas au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement moral.

I. Le rejet de la qualification de sanction déguisée en l’absence d’une altération de la situation de l’agent

La Cour administrative d’appel, pour écarter la qualification de sanction déguisée, s’attache à vérifier de manière rigoureuse si les deux conditions cumulatives traditionnellement exigées par la jurisprudence sont réunies. Elle constate d’abord l’absence de dégradation de la situation professionnelle de l’agent (A), avant de relever que la mesure de transfert était justifiée par l’intérêt du service (B).

A. L’absence de dégradation de la situation professionnelle comme condition dirimante

Le juge administratif rappelle dans sa décision le critère prétorien de la sanction déguisée, qui suppose à la fois une dégradation de la situation professionnelle de l’agent et une intention répressive de la part de l’administration. En l’espèce, la cour se livre à une analyse concrète et détaillée de la situation de l’agent postérieurement à son transfert. Elle relève que, si ses missions ont été modifiées avec la perte de fonctions de management, cette modification n’a pas porté « atteinte aux droits et prérogatives qu’il tient de son statut ». De plus, sa rémunération n’a pas diminué, mais a au contraire « légèrement augmenté ».

La cour écarte avec soin les arguments du requérant relatifs à la perte d’avantages financiers liés à des sujétions particulières, comme la prime compensant des astreintes, ou à la suppression d’une facilité matérielle, telle qu’une place de stationnement. Elle considère que ces éléments ne font pas partie de la situation statutaire et pécuniaire protégée de l’agent, le stationnement étant « un moyen matériel affecté au service pour faciliter son fonctionnement » et non un avantage personnel. En concluant que la situation de l’agent « ne correspond pas à l’une des deux conditions cumulatives d’existence d’une sanction déguisée », la cour réaffirme qu’en l’absence de toute dégradation objective, la recherche d’une intention punitive devient superfétatoire.

B. La justification de la mesure par l’intérêt du service

Bien que l’absence de dégradation de la situation de l’agent suffise à écarter la qualification de sanction déguisée, la cour prend soin de conforter son raisonnement en examinant la finalité de la mesure. Elle constate que le transfert s’inscrivait dans un projet plus large de « mutualisation des services ‘Ressources' » visant à « créer une meilleure cohérence dans la politique de gestion des ressources » et à « réaliser des économies d’échelle ». Par conséquent, la décision est considérée comme étant intervenue « dans l’intérêt du service ».

Cette approche permet au juge de balayer l’accusation de détournement de pouvoir. En effet, en établissant que l’administration poursuivait un but légitime d’organisation et d’efficience, la cour écarte par la même occasion toute présomption d’intention répressive. La décision de transfert apparaît non comme une mesure prise en considération de la personne de l’agent, mais comme la conséquence impersonnelle et nécessaire d’une réorganisation structurelle. Cette analyse renforce la portée de la liberté dont dispose l’administration pour organiser ses services, dès lors que les droits statutaires de ses agents sont préservés.

II. L’écartement de la qualification de harcèlement moral en l’absence de faits probants

La Cour administrative d’appel applique au second moyen du requérant une méthodologie tout aussi rigoureuse, en rappelant le mécanisme probatoire propre au harcèlement moral. Elle constate d’abord l’échec de l’agent à établir une présomption de harcèlement (A), ce qui la conduit logiquement à distinguer les faits de l’espèce de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique (B).

A. L’insuffisance des éléments de fait présentés par l’agent

Conformément à une jurisprudence constante, le juge rappelle qu’il « appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ». La charge de la preuve est ainsi aménagée : il ne revient pas à l’agent de prouver le harcèlement, mais de présenter un faisceau d’indices concordants qui le rendent plausible. Ce n’est qu’ensuite qu’il incombe à l’administration de démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

Or, en l’espèce, la cour estime que le requérant n’y parvient pas. Elle juge, dans une formule lapidaire mais décisive, que l’agent « n’apporte pas d’éléments suffisamment probants pour permettre de regarder comme au moins plausible le harcèlement moral dont il se prétend victime ». Le juge relie explicitement cette conclusion aux motifs déjà exposés dans le cadre de l’analyse de la sanction déguisée, notamment la justification du transfert par l’intérêt du service et l’absence d’opposition de principe de l’agent à sa mutation. Le requérant ayant échoué à franchir la première étape du raisonnement probatoire, la présomption de harcèlement n’est pas constituée.

B. La distinction entre le harcèlement et l’exercice normal du pouvoir d’organisation

La décision de la cour permet de tracer une frontière claire entre des agissements fautifs relevant du harcèlement moral et les conséquences, parfois difficiles pour un agent, de l’exercice légitime du pouvoir hiérarchique. Le juge rappelle que pour être qualifiés de harcèlement, les faits « doivent excéder les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique et d’organisation du service ». Une mesure, même si elle modifie les attributions ou l’environnement de travail, n’est pas constitutive de harcèlement si elle est justifiée par l’intérêt du service.

En l’espèce, le transfert de l’agent, la redéfinition de ses missions et même son exclusion de certaines discussions préparatoires sont analysés non comme des agissements délibérés visant à dégrader ses conditions de travail, mais comme les suites logiques d’une réorganisation administrative. En refusant de voir dans ces faits une manifestation de harcèlement moral, la cour confirme que l’administration dispose d’une marge de manœuvre pour faire évoluer sa structure et les postes de ses agents, et que les désagréments qui peuvent en résulter pour ces derniers ne sont pas nécessairement pathologiques ni fautifs. La solution protège ainsi l’autonomie de gestion de l’administration contre des accusations qui ne reposent pas sur des faits matériellement établis et répétés excédant son pouvoir normal de direction.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture