Un ressortissant étranger, entré régulièrement en France en 2017 à l’âge de vingt ans sous couvert d’un visa étudiant, a vu ses titres de séjour renouvelés jusqu’en 2021. Par la suite, en mars 2023, il a sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale. L’intéressé faisait valoir une intégration professionnelle marquée par un contrat de travail à durée indéterminée et des liens familiaux, notamment la naissance d’un enfant sur le territoire français.
Le préfet a rejeté sa demande par un arrêté du 30 octobre 2023, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. L’étranger a alors saisi le tribunal administratif de Nice, qui a rejeté son recours par un jugement du 11 juin 2024. Il a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
La question de droit posée à la cour administrative d’appel était donc de savoir si une intégration professionnelle avérée et stable suffit à caractériser une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, justifiant ainsi l’annulation d’un refus de séjour, lorsque les liens familiaux allégués par l’étranger ne sont pas solidement établis.
Par un arrêt du 28 mars 2025, la cour administrative d’appel de Marseille rejette la requête. Elle juge qu’en dépit d’une réelle intégration par le travail, l’absence de preuve d’une vie familiale effective et la persistance d’attaches dans le pays d’origine justifient la décision de refus, qui ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans la vie privée et familiale du requérant. L’analyse de la cour confirme l’approche classique du bilan des intérêts en présence (I), tout en soulignant la portée limitée de l’intégration professionnelle lorsqu’elle est isolée (II).
***
I. La confirmation d’une appréciation classique du droit au séjour au regard de la vie privée et familiale
La cour administrative d’appel procède à un examen circonstancié de la situation du requérant, en opérant une balance entre son insertion dans la société française et la réalité de ses attaches personnelles. Cette démarche conduit le juge à reconnaître l’intégration professionnelle de l’intéressé (A) avant de la neutraliser en raison de la fragilité des liens familiaux allégués (B).
A. La prise en compte d’une intégration professionnelle effective
Le juge administratif prend soin de relever les éléments positifs du dossier, témoignant d’un parcours d’intégration réussi par le travail. Il constate que le requérant « travaille régulièrement depuis 2018 » et que, depuis le 1er octobre 2021, il est « titulaire d’un contrat à durée indéterminée à temps complet ». La cour ne se limite pas à la seule existence du contrat, mais examine également la qualité de l’emploi occupé et le niveau de rémunération, notant qu’il exerçait « un emploi de commis de salle pour un salaire mensuel d’environ 2 100 euros net ».
Cette prise en considération détaillée démontre que l’intégration professionnelle constitue une composante essentielle de la vie privée, au sens large que lui donne la jurisprudence. En relevant également « les appréciations très favorables de son dernier employeur et de sa promotion », la décision reconnaît que le parcours du requérant dépasse la simple occupation d’un emploi alimentaire. Il s’agit d’une véritable insertion, marquée par une stabilité et une perspective d’évolution qui ancrent l’étranger dans la société française. L’arrêt valide ainsi que le travail, par sa régularité et sa qualité, est un facteur central dans l’appréciation du droit au séjour.
B. Le poids décisif de la précarité des liens familiaux établis
Cependant, la cour oppose à cette intégration professionnelle la faiblesse des preuves relatives à la vie familiale de l’intéressé. Si celui-ci « soutient vivre en concubinage avec une compatriote, avec qui il a eu un enfant né le 3 janvier 2021 sur le territoire français », le juge relève méthodiquement l’absence d’éléments probants. La décision souligne qu’« aucune pièce du dossier ne justifie une communauté de vie avec sa compagne », un élément factuel essentiel pour caractériser un concubinage effectif.
De manière plus déterminante encore, la cour confronte les allégations du requérant à ses propres déclarations administratives. Elle constate que ses « avis d’imposition établis au titre des années 2022 et 2023 montrent que l’intéressé s’est déclaré célibataire et sans enfant ». Cette contradiction flagrante fragilise considérablement la crédibilité de ses affirmations. Le juge en conclut que les liens avec son fils ne sont pas suffisamment intenses, la seule production de factures de crèche étant jugée insuffisante. L’analyse révèle une exigence de cohérence et de preuve stricte, où l’intégration professionnelle ne peut compenser un tableau familial jugé lacunaire et contradictoire.
***
II. La portée restreinte de l’intégration professionnelle comme unique fondement du droit au séjour
En refusant de faire prévaloir l’intégration professionnelle sur les autres critères d’appréciation, la cour réaffirme le pouvoir discrétionnaire de l’administration dans le cadre du bilan global (A) et oriente implicitement le requérant vers une voie de régularisation plus appropriée à sa situation (B).
A. La réaffirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration
L’arrêt illustre le caractère global de l’examen auquel doit se livrer l’autorité administrative. L’intégration professionnelle, bien que réelle, n’est qu’un des multiples facteurs du bilan. La cour rappelle ainsi que « cette durée de résidence sur le territoire français, marquée notamment par des études de commerce dont la réussite n’est pas établie, ne donne pas à elle seule un droit à rester sur le territoire français ». Par cette formule, elle signifie qu’aucun élément, pris isolément, ne peut conférer un droit automatique au séjour.
En validant le refus du préfet malgré un contrat à durée indéterminée, le juge confirme que l’administration n’est pas liée par la réussite économique d’un étranger. D’autres considérations, telles que la durée de résidence antérieure dans le pays d’origine et l’absence de preuve d’une rupture totale des liens avec celui-ci, conservent toute leur pertinence. La cour conclut que, « eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce et en dépit de l’intégration professionnelle du requérant », la décision n’est pas disproportionnée. Cette approche préserve une marge d’appréciation significative pour le préfet, qui doit peser chaque situation individuellement.
B. L’incitation implicite au recours à la procédure de régularisation par le travail
De manière notable, la cour glisse dans son raisonnement une piste que le requérant n’avait pas explorée. Elle note qu’« il n’établit ni même n’allègue avoir demandé un changement de statut pour obtenir la délivrance d’un titre de séjour salarié ». Cette observation n’est pas anodine. Elle suggère que la demande de l’intéressé était mal orientée : son dossier, solide sur le plan professionnel mais faible sur le plan familial, aurait eu plus de chances d’aboutir dans le cadre d’une admission exceptionnelle au séjour en tant que salarié.
En soulignant cette alternative, la cour ne se contente pas de juger la légalité de la décision attaquée ; elle délivre un message sur la stratégie contentieuse à adopter. Elle rappelle que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile organise des voies d’accès au séjour distinctes, fondées sur des logiques différentes. En l’espèce, le requérant a tenté de faire valoir son intégration professionnelle par le prisme de la vie privée et familiale, alors que son profil correspondait davantage à une régularisation par le travail. La décision a donc une portée pédagogique, en ce qu’elle réaffirme l’importance de choisir le fondement juridique le plus pertinent au regard de sa situation personnelle.