Par un arrêt en date du 29 septembre 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une décision de radiation des cadres pour invalidité d’une fonctionnaire, et plus particulièrement sur la régularité de la procédure consultative préalable et le bien-fondé de l’acte administratif.
Une agente, membre du corps des conseillers techniques de service social, a été victime en 2017 d’un accident de trajet reconnu imputable au service, entraînant plusieurs pathologies. Placée en congé pour invalidité temporaire, elle a fait l’objet, après avis d’une commission de réforme, d’une décision du recteur d’académie en date du 30 novembre 2021 prononçant sa radiation des cadres à compter du 1er décembre 2021 en vue de sa mise à la retraite pour invalidité. La fonctionnaire a saisi le tribunal administratif de Nice, qui, par un jugement du 6 février 2024, a annulé l’arrêté uniquement en tant qu’il prévoyait une entrée en vigueur rétroactive, mais a rejeté le surplus de ses conclusions. L’intéressée a alors interjeté appel de ce jugement, contestant le rejet de ses autres moyens. Elle soutenait notamment l’irrégularité de la procédure suivie devant la commission de réforme, l’insuffisante motivation de l’arrêté et une erreur de droit quant au fondement juridique retenu par l’administration.
Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si les irrégularités de procédure invoquées, tenant à la composition et au fonctionnement de la commission de réforme, ainsi que l’erreur de visa contenue dans l’arrêté de radiation, étaient de nature à entacher d’illégalité cette décision.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que la procédure consultative n’a pas été viciée de manière substantielle et que l’erreur matérielle de visa dans l’arrêté n’a eu aucune incidence sur la légalité de celui-ci, l’administration ayant en réalité correctement appliqué le régime juridique pertinent.
L’analyse de cette décision impose d’examiner en premier lieu la manière dont le juge administratif valide la régularité de la procédure consultative menée par l’administration (I), puis d’étudier la portée qu’il confère aux vices de légalité affectant la décision contestée (II).
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I. La validation de la régularité de la procédure consultative
La cour administrative d’appel examine avec pragmatisme les différents griefs formés contre l’avis de la commission de réforme, en se concentrant sur le respect des garanties essentielles. Elle confirme ainsi la validité de la composition de la commission et l’appréciation du quorum (A), tout en jugeant que l’absence d’un médecin spécialiste ne constituait pas, en l’espèce, une irrégularité substantielle (B).
A. La composition de la commission de réforme et l’appréciation du quorum
La requérante soulevait plusieurs moyens tenant à la composition de la commission de réforme lors de sa séance du 13 février 2020. Le juge d’appel écarte ces critiques en s’appuyant sur une lecture stricte des textes applicables. Il relève que siégeaient la présidente, la représentante de la cheffe de service de l’agente, le directeur départemental des finances publiques et deux médecins. La cour en conclut que « la commission a régulièrement tenu séance en présence de la majorité absolue de ses membres, dans le respect du quorum prévu par l’article 19 précité du décret du 14 mars 1986, sans qu’importe à cet égard la circonstance qu’aucun représentant du personnel n’était présent ».
Cette solution illustre une approche bien établie en contentieux administratif, qui distingue les conditions de composition de l’organisme collégial de celles relatives au quorum. L’article 12 du décret du 14 mars 1986 liste l’ensemble des membres de la commission, incluant deux représentants du personnel. Toutefois, l’article 19 du même décret, relatif au quorum, exige simplement que « la majorité absolue des membres en exercice assiste à la séance ». La cour refuse de considérer que la présence de membres de chaque catégorie mentionnée à l’article 12 est une condition de la régularité de la séance, dès lors que le quorum numérique est atteint. Cette interprétation évite de paralyser le fonctionnement des commissions en cas d’absence d’une catégorie de membres. La portée de cette règle est cependant tempérée par l’exigence qu’un praticien de médecine générale ou un spécialiste participe à la délibération, ce qui constitue une garantie fondamentale pour le fonctionnaire.
B. L’absence de médecin spécialiste : une irrégularité non substantielle en l’espèce
La requérante arguait également de l’irrégularité de l’avis au motif qu’aucun spécialiste de ses pathologies n’était présent lors de la séance. La cour rappelle d’abord le principe selon lequel « l’absence d’un tel spécialiste est susceptible de priver l’intéressé d’une garantie et d’entacher ainsi la procédure ». Cependant, elle procède à une analyse concrète des circonstances de l’affaire pour écarter le moyen. Elle constate que la commission disposait de nombreuses expertises récentes, réalisées par des spécialistes en rhumatologie, ORL et psychiatrie.
En jugeant que, « compte tenu des éléments dont disposait celle-ci, ainsi que l’ont considéré à bon droit les premiers juges, la présence de médecins spécialistes n’était pas nécessaire pour éclairer l’examen de la demande », la cour fait une application mesurée de la jurisprudence relative à la composition des instances médicales. Elle ne se contente pas d’une vérification formelle mais apprécie in concreto si le défaut de présence d’un spécialiste a pu, dans les faits, nuire à la qualité de l’examen du dossier de l’agent. Cette approche pragmatique permet de ne sanctionner que les vices de procédure ayant une incidence réelle sur le sens de la décision prise, conformément à l’idée que les règles de forme sont au service d’une bonne administration et non une fin en soi. La décision confirme que la garantie pour l’agent ne réside pas tant dans la présence systématique d’un spécialiste que dans l’assurance que la commission a été suffisamment éclairée, par exemple par des rapports d’expertise complets et récents.
Après avoir ainsi écarté les moyens de légalité externe tenant à la procédure consultative, la cour se penche sur la légalité interne de l’arrêté lui-même.
II. La portée limitée des vices de légalité de l’acte de radiation
L’arrêt se distingue par sa volonté de ne pas censurer l’acte pour des vices qui, bien que réels, sont considérés comme n’ayant pas affecté les droits de la requérante. Cette approche se manifeste tant dans la neutralisation de l’erreur de visa (A) que dans le rejet des moyens tirés de l’insuffisance de motivation et de l’erreur de droit (B).
A. La neutralisation de l’erreur de visa, simple vice de forme
L’arrêté de radiation du 30 novembre 2021 visait à tort l’article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite, applicable à l’invalidité non imputable au service, alors que la situation de l’agente relevait de l’article L. 27, relatif à l’invalidité imputable au service. La requérante y voyait la preuve d’une erreur de droit l’ayant privée de plusieurs garanties. La cour ne suit pas cette argumentation et qualifie cette mention d’« une simple erreur matérielle, demeurée sans incidence sur la légalité de cet arrêté ».
Pour parvenir à cette conclusion, le juge analyse la substance de l’acte et non sa seule apparence formelle. Il constate qu’en dépit de ce visa erroné, « il ressort au contraire des pièces du dossier que l’administration a bien mis en œuvre, en réalité et comme il se devait, ses articles L. 27 et L. 28 ». L’erreur de plume est ainsi dépourvue de toute portée juridique dès lors que le bon régime a été appliqué. Cette solution est une illustration classique de la jurisprudence relative aux simples erreurs matérielles, qui ne sont pas sanctionnées par l’annulation lorsqu’elles n’ont pas pour effet d’induire en erreur sur la portée de l’acte ou de révéler une application incorrecte du droit. Le juge se livre à une recherche de la véritable intention de l’auteur de l’acte et des effets concrets de celui-ci, privilégiant la substance sur la forme.
B. Le rejet des moyens tirés de l’insuffisance de motivation et de l’erreur de droit
Enfin, la requérante soutenait que l’arrêté était insuffisamment motivé car il ne mentionnait pas les taux d’incapacité permanente partielle, et que l’administration s’était à tort crue liée par l’avis de la commission. La cour rejette ces deux arguments en clarifiant la portée de chaque acte de la procédure. Elle énonce que l’arrêté de radiation « n’a pas pour objet d’évaluer son invalidité et n’avait donc pas à justifier ni même mentionner les taux retenus pour chacune de ses pathologies ». Cet acte a pour seul objet de constater l’incapacité permanente de l’agent à exercer ses fonctions et de le radier des cadres.
En distinguant l’acte de radiation de celui, ultérieur, qui fixera le montant de la pension d’invalidité sur la base des taux retenus, la cour rappelle l’autonomie des différentes décisions qui rythment la procédure de mise à la retraite. La motivation de l’arrêté de radiation se limite à viser l’avis de la commission et à constater l’inaptitude définitive, sans avoir à reprendre le détail de l’évaluation médicale. Concernant la prétendue compétence liée, la cour se contente de relever qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’administration se serait crue liée, appliquant une jurisprudence constante qui exige du requérant qu’il apporte des éléments probants pour établir une telle erreur de droit. Cette décision, par sa rigueur analytique, réaffirme ainsi les périmètres respectifs de chaque décision administrative dans le processus complexe de mise à la retraite pour invalidité.