En date du 29 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Marseille a rendu une décision précisant les contours de l’appréciation de la régularité d’une offre dans le cadre d’un accord-cadre à bons de commande. En l’espèce, une autorité organisatrice de transport avait lancé une procédure en vue d’attribuer un accord-cadre pour l’exploitation d’une ligne d’autocar. La société exploitant précédemment cette ligne, candidate à sa propre succession, a vu son offre classée en deuxième position. Le contrat fut attribué à une autre entreprise. Estimant que l’offre de l’attributaire était irrégulière, la société évincée a saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande tendant à l’annulation du contrat et à l’indemnisation de son préjudice d’éviction. Le tribunal ayant rejeté ses demandes par un jugement du 1er février 2024, la société requérante a interjeté appel. Elle soutenait principalement que l’attributaire n’était pas en mesure de respecter la date prévisionnelle de début des prestations avec un matériel conforme, ce qui aurait dû conduire au rejet de son offre. Se posait alors la question de savoir si l’incapacité d’un candidat à assurer le démarrage des prestations à une date seulement indicative et prévisionnelle, dans le cadre d’un accord-cadre s’exécutant par bons de commande, était de nature à vicier son offre. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que la date litigieuse n’était pas une exigence imposée à peine d’irrégularité et que le début d’exécution des prestations était déterminé non par cette date prévisionnelle, mais par la date fixée dans le premier bon de commande.
L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel consacre une interprétation stricte des documents de la consultation, en distinguant clairement les dates prévisionnelles des exigences substantielles (I), ce qui conduit à préserver la validité du contrat en séparant l’analyse de l’offre des difficultés ultérieures d’exécution (II).
I. Une appréciation de la régularité de l’offre fondée sur une interprétation stricte des documents contractuels
La cour fonde son raisonnement sur une analyse littérale des pièces du marché, qui la conduit à dissocier la portée d’une simple date prévisionnelle d’une exigence impérative (A), et à réaffirmer la distinction fondamentale entre la date de conclusion de l’accord-cadre et celle du début effectif de ses prestations (B).
A. La portée limitée d’une date d’exécution prévisionnelle
La juridiction d’appel s’attache d’abord à définir la nature de la mention calendaire figurant dans les documents de la consultation. Elle juge que l’acheteur public, en fixant la « date prévisionnelle de début d’exécution des prestations » en « septembre [ou] octobre 2022 », « n’a pas entendu imposer aux candidats, à peine d’irrégularité de leur offre, d’avoir acquis et aménagé le matériel nécessaire à l’exploitation dès le mois de septembre ou d’octobre ». Par cette formule, la cour souligne que le terme « prévisionnelle » prive la date de toute force contraignante au stade de l’analyse des offres. Elle considère que l’acheteur a seulement communiqué une estimation temporelle pour le lancement des prestations, tout en se réservant la possibilité d’un ajustement en fonction de circonstances exogènes, telles que les délais de livraison des véhicules.
En conséquence, l’offre d’un candidat ne pouvait être jugée irrégulière au seul motif que son mémoire technique révélait des délais d’approvisionnement incompatibles avec cette date indicative. La cour refuse ainsi de transformer une simple information calendaire, destinée à éclairer les soumissionnaires sur le contexte temporel envisagé, en un critère de sélection implicite dont la méconnaissance entraînerait l’éviction. Cette approche pragmatique garantit que les candidats sont jugés sur la base des seules exigences expressément formulées comme étant impératives par le pouvoir adjudicateur, dans le respect du principe de loyauté des relations contractuelles.
B. La dissociation entre l’entrée en vigueur de l’accord-cadre et le début d’exécution des prestations
La cour administrative d’appel poursuit son analyse en clarifiant la mécanique propre à un accord-cadre se matérialisant par l’émission de bons de commande. Elle énonce de manière didactique que « le début d’exécution des prestations du nouvel accord conclu ne s’identifie pas à la date d’entrée en vigueur de l’accord-cadre mais, conformément à l’article R. 2162-2 du code de la commande publique […], à la date prescrite par le premier bon de commande émis en exécution de cet accord-cadre ». Cette précision est déterminante car elle ancre le point de départ des obligations de l’attributaire non pas dans un calendrier prévisionnel abstrait, mais dans un acte d’exécution matériel et unilatéral de l’acheteur.
Dès lors, la capacité de l’entreprise attributaire à exécuter le contrat ne devait pas être évaluée au regard de la date prévisionnelle de septembre ou octobre 2022, mais bien à l’aune de sa capacité à répondre au premier bon de commande qui lui serait notifié. En l’espèce, la circonstance que l’attributaire ait indiqué un délai de sept mois pour la livraison de ses véhicules n’était donc pas de nature à rendre son offre irrégulière, puisque rien n’imposait à l’acheteur d’émettre un premier bon de commande avant l’expiration de ce délai. Ce faisant, la décision réaffirme que la régularité d’une offre s’apprécie au regard de sa conformité aux exigences du contrat au moment où celui-ci doit commencer à produire ses effets concrets.
II. Une solution protectrice de la sécurité juridique et de la continuité du service public
En validant l’offre de la société attributaire, la cour opère une distinction nécessaire entre la phase de passation et la phase d’exécution du contrat, ce qui permet de garantir la continuité du service public (A) tout en clarifiant la frontière entre la validité du contrat et les éventuelles fautes commises lors de son exécution (B).
A. La prise en compte de la nécessaire continuité du service public
La cour ne se contente pas d’une analyse purement théorique et prend en considération les impératifs opérationnels de l’acheteur public. Elle rappelle en effet qu’il « était loisible à l’acheteur public […] d’assurer la continuité du service public en émettant, sur le fondement du précédent accord-cadre, un bon de commande prescrivant à son titulaire de poursuivre l’exécution des prestations jusqu’à ce que le nouveau titulaire du marché fût en mesure d’exécuter les prestations ». Cette remarque met en lumière une prérogative essentielle de l’administration, qui dispose des outils juridiques pour éviter toute interruption d’un service public dans l’attente de la pleine capacité opérationnelle de son nouveau cocontractant.
La solution retenue trouve ainsi une justification dans la préservation de l’intérêt général. En refusant d’annuler le contrat pour un motif lié à un calendrier prévisionnel, le juge évite de sanctionner un montage contractuel qui, précisément, offrait à l’acheteur la souplesse nécessaire pour gérer la transition entre deux opérateurs. L’arrêt conforte ainsi la position de l’acheteur public qui, en toute connaissance de cause, a sélectionné une offre en sachant qu’un délai d’adaptation serait nécessaire, et qui disposait par ailleurs des moyens juridiques pour pallier cette période transitoire sans préjudice pour les usagers du service.
B. La distinction rigoureuse entre la validité et l’exécution du contrat
Enfin, l’arrêt apporte une clarification utile en écartant un argument de la société requérante tiré de faits postérieurs à l’attribution du contrat. Le juge relève que la circonstance que l’attributaire ait finalement été contraint de démarrer l’exploitation avec des véhicules non conformes à son offre « ne met en cause que les conditions d’exécution du contrat litigieux et demeure donc sans incidence sur sa validité ». Le juge administratif sépare ainsi hermétiquement le contentieux de la validité du contrat, qui s’apprécie au moment de sa conclusion, du contentieux de son exécution, qui relève de la responsabilité contractuelle.
La portée de cette précision est notable, car elle renforce la sécurité juridique des contrats publics. Admettre qu’une difficulté d’exécution puisse rétroactivement vicier la procédure de passation reviendrait à créer une forte incertitude pour l’ensemble des acteurs de la commande publique. La cour réaffirme ici une orthodoxie juridique : une exécution défaillante doit être sanctionnée par les remèdes prévus au contrat, tels que l’application de pénalités ou sa résiliation pour faute, mais elle ne saurait suffire à démontrer que l’offre initiale était, par nature, irrégulière. Cette solution a le mérite de la clarté et de la prévisibilité, en cantonnant chaque contentieux à son juste périmètre.