Cour d’appel administrative de Marseille, le 3 février 2025, n°24MA00613

Par un arrêt du 3 février 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une décision préfectorale refusant le séjour et ordonnant l’éloignement d’un étranger dont la demande d’asile a été définitivement rejetée. Un ressortissant russe, entré sur le territoire national en 2012, a vu sa demande d’asile ainsi qu’une première demande de réexamen rejetées par des décisions définitives de la Cour nationale du droit d’asile en 2015 et 2020. Demeuré en France malgré ces décisions, il a fait l’objet d’un arrêté du préfet des Alpes-Maritimes en date du 27 novembre 2023 lui refusant l’admission au séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Nice, qui a rejeté sa demande d’annulation de cet arrêté par un jugement du 22 février 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’ancienneté de sa résidence aurait dû conduire le préfet à saisir la commission du titre de séjour, que la décision portait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, qu’elle était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des risques personnels. Il convient de se demander si le préfet, statuant après le rejet définitif d’une demande d’asile, est tenu d’examiner d’office l’opportunité d’une admission exceptionnelle au séjour et si la durée d’une présence sur le territoire, lorsqu’elle résulte d’un maintien irrégulier, peut constituer un obstacle à une mesure d’éloignement. La cour administrative d’appel répond par la négative et rejette la requête. Elle juge que l’autorité préfectorale n’est pas tenue d’examiner une situation au regard de l’admission exceptionnelle au séjour en l’absence de demande formelle en ce sens. Elle estime en outre que l’atteinte à la vie privée et familiale n’est pas disproportionnée dès lors que la présence de l’étranger sur le territoire est précaire et que ses attaches en France demeurent ténues.

La solution retenue par la cour s’inscrit dans une logique de stricte application des compétences préfectorales, conditionnées par une saisine formelle de l’administré (I), avant de procéder à un contrôle classique de la décision d’éloignement et de ses potentielles conséquences sur la situation personnelle de l’étranger (II).

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I. La confirmation d’une compétence préfectorale conditionnée par la saisine de l’administré

La décision de la cour administrative d’appel réaffirme que le champ d’intervention du préfet est délimité par les demandes dont il est saisi, que ce soit en matière d’admission exceptionnelle au séjour (A) ou dans le cadre de l’appréciation du droit au respect de la vie privée et familiale (B).

A. Le rejet d’un examen d’office de l’admission exceptionnelle au séjour

Le juge administratif rappelle que l’examen d’une demande de régularisation au titre de l’admission exceptionnelle au séjour n’est pas une obligation qui pèse sur l’administration en l’absence de démarche de l’administré. La cour écarte ainsi le moyen du requérant en des termes clairs, relevant que « le préfet, qui n’était saisi d’aucune demande d’admission exceptionnelle au séjour, n’a pas examiné d’office la situation de l’intéressé au regard de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Cette position confirme une jurisprudence constante selon laquelle l’administration n’a pas à se substituer à la diligence de l’étranger pour rechercher les fondements juridiques qui pourraient lui permettre d’obtenir un titre de séjour. La seule circonstance de la présence prolongée sur le territoire, même non contestée par le préfet, ne suffit pas à déclencher une obligation d’examen d’office. La saisine de la commission du titre de séjour, prévue par certaines dispositions, reste subordonnée à l’existence d’une demande que le préfet envisage de rejeter, et non à une initiative spontanée de sa part. Cette solution garantit la sécurité juridique et la bonne administration en exigeant que les prétentions de l’administré soient clairement formulées.

B. L’appréciation restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale

La cour procède ensuite à une analyse de la situation personnelle de l’intéressé au regard des exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle considère que la décision préfectorale ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Pour parvenir à cette conclusion, le juge prend soin de déprécier la durée de la présence de l’étranger en France, soulignant qu’« il ne doit la durée de son séjour qu’à son maintien irrégulier sur le sol français ». La précarité administrative, conséquence directe des rejets successifs de ses demandes d’asile, prive ainsi de sa portée l’argument tiré de l’ancienneté de la résidence. De surcroît, le juge relève l’absence d’éléments probants quant à une intégration réelle et durable : l’intéressé « n’établit pas être dépourvu de toute attache familiale dans son pays d’origine, où il a vécu au moins jusqu’à l’âge de quarante ans ». La relation de concubinage invoquée est également jugée insuffisante pour faire obstacle à l’éloignement, la cour notant que « l’intéressé (…) ne soutient pas que sa concubine serait titulaire d’un droit au séjour en France ». Même l’existence d’une activité professionnelle est considérée comme un élément parmi d’autres, insuffisant à lui seul pour caractériser une atteinte disproportionnée.

Cette appréciation rigoureuse des attaches en France conduit logiquement la cour à valider la décision préfectorale, laquelle procède d’un contrôle de proportionnalité qui reste au cœur de l’office du juge en matière d’éloignement.

II. Le contrôle classique de la décision d’éloignement et de ses conséquences

Au-delà de la question de l’admission au séjour, la cour exerce un contrôle sur la mesure d’éloignement elle-même, en vérifiant l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (A) et en s’assurant du respect des garanties contre les risques encourus en cas de retour dans le pays d’origine (B).

A. L’absence d’erreur manifeste d’appréciation au regard de la situation personnelle

Le requérant soutenait que la décision de refus de séjour et d’obligation de quitter le territoire était entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation de ses conséquences sur sa situation. La cour écarte ce moyen en s’appuyant sur les mêmes éléments que ceux mobilisés pour l’analyse de l’article 8 de la convention européenne. Elle juge que « pour les mêmes motifs de fait, le préfet n’a pas, en s’abstenant de faire usage de son pouvoir de régularisation et en lui faisant obligation de quitter le territoire français, commis d’erreur manifeste d’appréciation ». Cet attendu illustre la porosité entre le contrôle de proportionnalité et le contrôle de l’erreur manifeste. Lorsque le juge a déjà conclu à l’absence d’atteinte excessive à la vie privée et familiale, il est rare qu’il retienne une erreur manifeste d’appréciation, laquelle suppose une inadéquation flagrante entre la décision et la situation de la personne. Le pouvoir de régularisation du préfet étant discrétionnaire, son abstention ne peut être sanctionnée que si elle conduit à des conséquences d’une gravité telle qu’elle apparaît manifestement erronée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce au vu de la précarité du séjour de l’intéressé.

B. La distinction maintenue entre le contrôle du juge de l’asile et celui du juge de l’éloignement

Enfin, la cour examine le moyen tiré des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Russie, au regard de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’arrêt rappelle à cet égard un principe fondamental de la répartition des compétences entre les autorités de l’asile et l’autorité administrative en charge de l’éloignement. Si le préfet peut tenir compte des décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d’asile, « l’examen par ces dernières instances (…) ne lient pas l’autorité administrative et sont sans influence sur l’obligation qui est la sienne de vérifier » si l’éloignement n’expose pas l’étranger à des risques contraires à l’article 3. En l’espèce, la cour estime que le requérant n’apporte pas la preuve de tels risques. Le seul fait de produire « la copie d’un communiqué faisant état de poursuites exercées contre l’intéressé » est jugé insuffisant pour établir la réalité et l’actualité d’un risque personnel en cas de retour. Cette solution réaffirme que la charge de la preuve pèse sur l’étranger et que les allégations doivent être étayées par des éléments concrets et individualisés, distincts de ceux déjà examinés et écartés au titre de la demande de protection internationale.

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Hassan KOHEN
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