Cour d’appel administrative de Marseille, le 3 juillet 2025, n°24MA00851

Par un arrêt en date du 3 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé un jugement du tribunal administratif de Nice ainsi que des arrêtés préfectoraux refusant la délivrance de titres de séjour et prononçant une obligation de quitter le territoire français. En l’espèce, deux ressortissants philippins avaient sollicité l’obtention de titres de séjour auprès du préfet des Alpes-Maritimes. Face au silence de l’administration, valant décisions implicites de rejet, des arrêtés explicites du 15 janvier 2024 leur ont formellement refusé le séjour, assortissant ces décisions d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Les intéressés ont alors saisi le tribunal administratif de Nice, qui a rejeté leurs demandes par un jugement du 28 mars 2024. Ils ont interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que les refus de séjour étaient entachés d’un vice de procédure, faute pour le préfet d’avoir saisi la commission du titre de séjour, et qu’ils méconnaissaient leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Se posait alors à la cour la question de savoir si un ensemble de documents variés attestant de la vie courante pouvait suffire à caractériser une résidence habituelle en France depuis plus de dix ans, rendant ainsi obligatoire la consultation de la commission du titre de séjour avant tout refus d’admission exceptionnelle au séjour. La Cour administrative d’appel répond par l’affirmative. Elle juge que les requérants ont produit des « pièces suffisamment probantes et diversifiées pour établir le caractère habituel de leur présence en France ». Par conséquent, elle estime que le préfet ne pouvait légalement refuser le séjour sans avoir au préalable recueilli l’avis de ladite commission. L’arrêt annule donc les décisions préfectorales pour vice de procédure, ainsi que, par voie de conséquence, les obligations de quitter le territoire français qui en découlaient, et enjoint au préfet de réexaminer les demandes.

L’analyse de cette décision révèle ainsi la portée d’une garantie procédurale accordée à l’étranger justifiant d’une longue résidence sur le territoire (I), tout en mettant en lumière les limites de l’office du juge administratif en la matière (II).

I. La consécration d’une garantie procédurale substantielle

La solution retenue par la Cour administrative d’appel repose sur une stricte application des textes visant à protéger les étrangers durablement intégrés, en rappelant le caractère impératif de la consultation d’un organisme collégial (A) et en validant une approche pragmatique de l’appréciation des preuves de résidence (B).

A. Le caractère obligatoire de la saisine de la commission du titre de séjour

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile organise une procédure spécifique pour l’examen des demandes d’admission exceptionnelle au séjour. L’article L. 435-1 de ce code dispose en effet que l’autorité administrative, lorsqu’elle envisage de refuser une telle demande émanant d’un étranger qui justifie résider habituellement en France depuis plus de dix ans, est tenue de soumettre le dossier pour avis à la commission du titre de séjour. Cette formalité ne constitue pas une simple option laissée à la discrétion de l’administration, mais bien une garantie fondamentale offerte au demandeur. Elle vise à assurer un examen plus approfondi et collégial de sa situation personnelle, en considération de la durée de sa présence sur le territoire et des liens qu’il a pu y nouer.

En l’espèce, le préfet avait omis cette consultation préalable avant d’édicter ses décisions de refus. La cour relève ce manquement et le sanctionne directement. Elle considère que la saisine de la commission est une formalité substantielle, dont le non-respect vicie la procédure et entache d’illégalité la décision finale. La décision commentée réaffirme donc avec force que l’administration ne peut s’affranchir de cette obligation dès lors que la condition de résidence décennale paraît remplie, sous peine de voir son acte annulé par le juge.

B. L’appréciation souveraine des modes de preuve de la résidence

La mise en œuvre de la garantie procédurale dépendait de la capacité des requérants à justifier d’une résidence habituelle de plus de dix ans. Sur ce point, la cour adopte une conception extensive des éléments probants. Elle estime que les appelants ont satisfait à cette exigence en produisant « des pièces suffisamment probantes et diversifiées pour établir le caractère habituel de leur présence en France, composées notamment de documents médicaux, bancaires, de baux et quittances de loyer, de bulletins de salaire, d’attestations d’assurance, ou encore de factures d’électricité ». Le juge valide ainsi la force probante d’un faisceau d’indices concordants, issus de la vie quotidienne.

Cette approche se révèle particulièrement réaliste, notamment pour des personnes en situation administrative précaire qui ne disposent pas toujours de documents officiels continus. En ne hiérarchisant pas les modes de preuve et en acceptant une pluralité de documents courants, le juge administratif facilite la démonstration de l’ancrage territorial. Il se livre à une appréciation concrète des faits de l’espèce et reconnaît que la continuité de la vie en France peut être établie par des moyens variés, pourvu que leur accumulation dessine une présence stable et non équivoque sur la période requise.

II. Une annulation aux effets contrôlés

Si la cour censure fermement le vice de procédure, la portée de sa décision demeure néanmoins mesurée. L’annulation prononcée entraîne une conséquence automatique pour l’obligation de quitter le territoire français (A), mais elle se garde bien d’imposer à l’administration la solution de fond à adopter, se limitant à une injonction de réexamen (B).

A. L’illégalité subséquente de l’obligation de quitter le territoire

La décision portant obligation de quitter le territoire français trouve son fondement juridique dans la décision de refus de séjour qui la précède ou l’accompagne. Ces deux actes, bien que distincts, sont donc intimement liés. L’illégalité du premier rejaillit nécessairement sur la légalité du second. C’est en application de ce principe que le juge administratif fait droit à l’argumentation des requérants. Il accueille le moyen « tiré, par la voie de l’exception, de l’illégalité des décisions portant refus de séjour » pour en déduire, sans autre examen, l’illégalité des obligations de quitter le territoire français.

Ce mécanisme de l’exception d’illégalité illustre la logique du contentieux administratif de l’éloignement. La cour ne s’attarde pas à examiner les moyens propres dirigés contre les mesures d’éloignement, dès lors que leur base légale a disparu. L’annulation du refus de séjour prive de tout effet l’obligation de quitter le territoire, qui est anéantie par voie de conséquence. Cette solution, classique, assure la cohérence du raisonnement juridique et garantit qu’une mesure aussi grave que l’éloignement ne puisse reposer sur une décision administrative illégale.

B. Une injonction limitée au réexamen de la situation

L’annulation d’un acte administratif pour un vice de procédure n’emporte pas, pour le juge, l’obligation de se substituer à l’administration pour définir le sens de la nouvelle décision à prendre. La décision commentée en est une parfaite illustration. La cour enjoint au préfet de réexaminer les demandes dans un délai de deux mois, mais elle ne lui ordonne nullement de délivrer les titres de séjour sollicités. Le pouvoir d’appréciation de l’administration sur l’opportunité d’une admission au séjour à titre exceptionnel demeure donc entier, à la condition que la procédure soit cette fois-ci régulièrement menée.

De plus, si le juge ordonne la délivrance d’autorisations provisoires de séjour pour couvrir la période du réexamen, il prend soin de préciser que celles-ci n’autoriseront pas leurs titulaires à travailler. Cette restriction démontre la prudence du juge, qui ne préjuge pas de l’issue finale de la procédure et maintient les requérants dans une situation intermédiaire. La portée de l’arrêt est donc circonscrite : il restaure une garantie procédurale, mais ne confère aucun droit acquis au séjour. Il renvoie la responsabilité de la décision de fond à l’administration, qui devra se prononcer à nouveau, cette fois après avoir recueilli l’avis de la commission compétente.

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Hassan KOHEN
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