Par un arrêt en date du 3 juin 2025, la cour administrative d’appel a précisé les contours et la chronologie des obligations qui incombent à un employeur public hospitalier à l’égard d’un agent devenu physiquement inapte à exercer ses fonctions.
En l’espèce, une agente technique d’un établissement public hospitalier, placée en congé de maladie ordinaire à compter du 17 novembre 2016 suite à des problèmes de santé, a vu sa situation administrative évoluer vers une disponibilité d’office pour raison de santé à partir du 17 novembre 2017. Cette disponibilité a été renouvelée successivement. Le 2 juillet 2020, un comité médical a émis un avis favorable à une reprise sur un poste adapté. L’employeur a alors prolongé la disponibilité de l’agente jusqu’à sa reprise effective. Le 26 novembre 2020, le comité médical a conclu à une inaptitude définitive à tout poste. Par deux décisions du 8 décembre 2020, l’établissement a formalisé la disponibilité d’office du 17 mai au 16 novembre 2020 et a maintenu l’agente à demi-traitement.
L’agente a saisi le tribunal administratif de Marseille afin d’obtenir l’annulation de ces décisions et l’indemnisation des préjudices nés de la carence de l’employeur dans la mise en œuvre de ses obligations d’adaptation de poste et de reclassement. Par un jugement du 7 juillet 2023, le tribunal a rejeté ses demandes. La requérante a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’administration aurait dû adapter son poste ou la reclasser dès l’avis médical du 2 juillet 2020. La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer à partir de quand et dans quelles conditions la responsabilité de l’employeur public est engagée pour un manquement à son obligation d’adaptation de poste puis à son obligation de reclassement.
La cour administrative d’appel a partiellement infirmé le jugement de première instance. Elle a jugé que l’employeur avait commis une faute en ne recherchant pas à adapter le poste de l’agente durant la période où elle était médicalement apte à une reprise aménagée, mais a estimé qu’il n’avait pas manqué à son obligation de reclassement, celle-ci n’étant née que plus tardivement. La cour a ainsi consacré une appréciation distincte et successive des deux obligations pesant sur l’administration.
Il convient d’étudier la consécration d’une obligation d’adaptation du poste dont le manquement est sanctionné de manière limitée (I), avant d’analyser le cadre temporel strict de l’obligation de reclassement dont l’exécution a été validée (II).
I. La responsabilité engagée au titre d’un manquement circonscrit à l’obligation d’adaptation
La cour reconnaît une faute de l’administration dans sa gestion de la situation de l’agente, mais en limite strictement les conséquences indemnitaires. Elle identifie une période précise durant laquelle l’obligation d’adaptation du poste aurait dû être mise en œuvre (A) et prononce une sanction mesurée pour ce manquement (B).
A. La délimitation temporelle de l’obligation d’adapter le poste
La cour administrative d’appel opère une analyse chronologique détaillée pour déterminer le moment exact où l’obligation d’adaptation du poste de travail s’est imposée à l’employeur. Elle écarte d’abord la période antérieure au 2 juillet 2020, relevant que les avis médicaux successifs concluaient à une inaptitude à la reprise du travail et que l’agente elle-même avait sollicité la prolongation de sa disponibilité. Durant cette phase, l’administration ne pouvait donc valablement mettre en œuvre une adaptation de poste pour un agent médicalement inapte à toute fonction.
Cependant, la cour retient que la situation a changé à la suite de l’avis du médecin de prévention du 26 mai 2020, confirmé par l’avis du comité médical du 2 juillet 2020, constatant que l’état de santé de l’agente lui permettait une reprise sur un poste aménagé. À compter de cette date, l’employeur était tenu d’agir. La faute de l’établissement public est caractérisée par le fait qu’il « n’établit pas avoir recherché la possibilité d’adapter le poste de travail de Mme A… et se borne à faire valoir sans le démontrer que le poste (…) ne pouvait faire l’objet d’une quelconque adaptation ». Le juge censure ainsi l’inaction de l’administration et son absence de diligence à explorer les possibilités concrètes d’un aménagement de poste, conformément à l’article 71 de la loi du 9 janvier 1986. Cette obligation prend fin le 16 novembre 2020, date à laquelle une nouvelle expertise médicale a conclu à une inaptitude totale et définitive.
B. La sanction limitée du manquement constaté
La reconnaissance de la faute de l’administration n’ouvre droit qu’à une réparation partielle pour la requérante. La cour estime que le manquement à l’obligation d’adaptation de poste a causé à l’intéressée un préjudice moral certain, lié à l’incertitude et au défaut de considération de sa situation. Ce préjudice est évalué à la somme de 1 000 euros.
En revanche, la cour rejette la demande d’indemnisation du préjudice financier. Elle considère qu’il « ne résulte pas de l’instruction que, compte tenu des contraintes à respecter pour aménager son poste d’aide-soignant, elle aurait sérieusement perdu une chance de trouver un poste lui ouvrant droit à plein traitement ». Par cette formule, le juge applique une appréciation stricte de la perte de chance. Il estime que l’existence d’une possibilité théorique de reprise n’était pas suffisante pour caractériser une chance sérieuse de percevoir un plein traitement, soulignant implicitement les difficultés pratiques d’un aménagement de poste compatible avec les restrictions médicales. Cette solution, bien que sévère pour l’agente, rappelle que l’indemnisation d’une perte de chance suppose la démonstration d’une probabilité suffisamment forte, qui n’a pas été établie en l’espèce.
II. L’obligation de reclassement soumise à un déclenchement différé et à une exécution de moyens
Après avoir traité de l’adaptation du poste, la cour examine l’obligation de reclassement, mais en la dissociant temporellement de la première. Elle précise que cette obligation ne naît qu’à une date ultérieure, lorsque l’inaptitude est confirmée (A), et estime que l’employeur a satisfait aux diligences qui lui incombaient à ce titre (B).
A. Le point de départ différé de l’obligation de reclassement
L’arrêt établit une distinction nette entre l’obligation d’adapter le poste de travail et celle, subsidiaire, de reclasser l’agent. La cour juge que le droit de l’agente à présenter une demande de reclassement n’est pas concomitant de la première reconnaissance d’une inaptitude à son poste. Il ne naît qu’à compter du moment où l’inaptitude est médicalement constatée comme étant définitive, tout en laissant subsister une aptitude à d’autres fonctions.
En l’espèce, ce n’est pas l’avis de novembre 2020 déclarant une inaptitude totale qui a ouvert ce droit, mais bien l’avis du comité médical du 24 juin 2021. Cet avis, tout en confirmant l’inaptitude définitive au poste d’aide-soignante, a pour la première fois émis un « avis favorable au reclassement ». C’est donc cette date qui marque, pour la cour, le point de départ de l’obligation pour l’employeur d’engager une procédure de reclassement. La solution est logique : tant que le reclassement n’est pas médicalement envisagé, l’employeur ne peut être tenu d’y procéder. La responsabilité de l’administration pour une carence à reclasser l’agente ne pouvait donc pas être engagée avant cette date.
B. La validation des diligences accomplies par l’employeur
Concernant la période postérieure au 24 juin 2021, la cour examine si l’employeur a satisfait à son obligation. Elle rappelle que cette obligation de reclassement, issue d’un principe général du droit, est une obligation de moyens et non de résultat. L’employeur doit rechercher activement et loyalement une solution de reclassement, mais n’est pas tenu de garantir qu’un poste sera effectivement trouvé et attribué.
La cour constate que l’établissement hospitalier a bien mis en œuvre les diligences requises. Il ressort de l’instruction qu’un poste d’accueil a été envisagé, même si la candidature de l’agente n’a pas été retenue. De plus, l’intéressée a bénéficié d’un entretien d’entrée dans la période de préparation au reclassement en novembre 2021. Ces démarches, bien qu’infructueuses, suffisent à démontrer que l’employeur a satisfait à son obligation de rechercher une solution. Le fait que l’agente ait finalement formulé une demande de mise à la retraite en mars 2022, acceptée par l’administration, a clos la procédure. Par conséquent, la cour conclut que l’administration « a mis en œuvre son obligation à laquelle elle était tenue de chercher à reclasser » l’agente, et écarte toute faute de nature à engager sa responsabilité sur ce fondement.