Par un arrêt en date du 3 juin 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur la légalité d’un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français à l’encontre d’une ressortissante étrangère. En l’espèce, une personne de nationalité nigériane, entrée en France en 2022, a vu sa demande d’asile définitivement rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d’asile. Suite à ce rejet, le préfet des Bouches-du-Rhône a pris à son encontre un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. L’intéressée a saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande d’annulation de cette décision. Par un jugement du 16 juillet 2024, le tribunal a rejeté sa demande. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la légalité externe qu’interne de l’acte contesté, notamment l’incompétence de son auteur, une motivation insuffisante, un défaut d’examen de sa situation, ainsi que la méconnaissance de plusieurs dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et une erreur manifeste d’appréciation. Se posait alors la question de savoir si une obligation de quitter le territoire peut être légalement édictée lorsque l’administration a manqué à son devoir d’information sur les autres titres de séjour possibles et lorsque la personne concernée, qui allègue une vulnérabilité particulière, n’a pas formellement sollicité de titre sur ce fondement. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle juge notamment que le manquement de l’administration à son obligation d’information est sans incidence sur la légalité de la décision d’éloignement, et que les moyens tirés de la méconnaissance de dispositions relatives à un titre de séjour spécifique ne peuvent être utilement invoqués en l’absence d’une demande formelle en ce sens.
La décision de la cour administrative d’appel illustre une application rigoureuse des règles de procédure contentieuse en matière de droit des étrangers, fermant la voie à des moyens qui ne s’inscrivent pas dans un cadre formel précis (I). Au-delà de ces questions procédurales, l’arrêt confirme également la portée limitée du contrôle du juge sur l’appréciation des situations individuelles par l’autorité préfectorale (II).
I. La consolidation des exigences procédurales en matière d’éloignement
La cour administrative d’appel écarte les arguments de la requérante en se fondant sur une application stricte des conditions de recevabilité et de pertinence des moyens. Elle précise d’abord la portée limitée du manquement par l’administration à son obligation d’information (A), avant de rappeler la nécessité d’une démarche administrative préalable pour pouvoir contester un refus implicite (B).
A. La portée neutralisée du manquement au devoir d’information
L’un des arguments soulevés par la requérante reposait sur la méconnaissance par l’administration de l’article L. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte impose à l’autorité administrative d’informer le demandeur d’asile de la possibilité de solliciter une admission au séjour à un autre titre. La cour écarte ce moyen en des termes très clairs, estimant que « la méconnaissance de cette obligation n’a d’autre effet que de rendre inopposable aux demandeurs d’asile, non régulièrement informés, le délai pour demander un titre de séjour sur un autre fondement ». En agissant ainsi, le juge administratif interprète la sanction de cette obligation de manière restreinte. Le manquement de l’administration ne vicie pas en lui-même la procédure d’éloignement qui s’ensuit. Il a pour seule conséquence d’empêcher que le délai de forclusion soit opposé à l’étranger qui déposerait tardivement une demande de titre de séjour sur un autre fondement. Puisque, en l’espèce, l’intéressée n’a jamais déposé une telle demande, le manquement est jugé sans incidence sur la légalité de l’arrêté contesté. Cette solution pragmatique vise à ne pas paralyser l’action administrative par un vice de procédure qui n’a eu aucune conséquence concrète sur les droits de l’administré.
B. L’exigence d’une demande formelle de titre de séjour
La requérante invoquait également la méconnaissance des dispositions de l’article L. 425-9 du même code, qui prévoient la délivrance d’un titre de séjour pour raisons de santé. La cour rejette ce moyen de manière péremptoire, en relevant qu’il « est constant qu’elle n’a pas présenté de demande de titre de séjour sur le fondement de ces dispositions ». Elle en conclut que la requérante « ne peut dès lors utilement invoquer leur méconnaissance ». Cette position réaffirme un principe fondamental du contentieux administratif : le juge se prononce sur des décisions administratives, et non sur des situations de fait en l’absence de saisine préalable de l’administration. Pour que le préfet puisse être accusé d’avoir méconnu les dispositions relatives à la délivrance d’un titre de séjour pour étranger malade, il eût fallu qu’il fût saisi d’une telle demande et qu’il l’eût refusée. En l’absence de cette démarche, le moyen est jugé inopérant. Cette approche rigoriste canalise le débat contentieux et renforce la cohérence de l’action administrative en obligeant les administrés à formaliser leurs prétentions avant de pouvoir en contester le rejet devant le juge.
II. Le contrôle restreint du juge sur l’appréciation de la situation personnelle
Après avoir écarté les moyens de procédure, la cour exerce son contrôle sur l’appréciation des faits par le préfet. Elle confirme d’abord que l’obligation de motivation a été respectée (A), puis elle juge que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’évaluation de la situation de la requérante (B).
A. La validation de la suffisance de la motivation
La critique portant sur l’insuffisance de motivation de l’arrêté et le défaut d’examen sérieux de la situation de la requérante est également rejetée. La cour constate que la décision attaquée vise les dispositions légales pertinentes et « mentionne de manière précise et circonstanciée la situation de la requérante ». Elle précise que « le préfet des Bouches-du-Rhône, qui n’avait pas à mentionner toutes les circonstances de fait de la situation de Mme B…, a cité les éléments pertinents dont il avait connaissance ». Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante qui n’exige pas de l’administration une motivation exhaustive, mais une motivation suffisante, permettant à l’intéressé de comprendre les raisons de la décision et au juge d’exercer son contrôle. En l’espèce, la référence au rejet de la demande d’asile, à la date d’entrée en France et à la situation de célibataire a été jugée suffisante pour satisfaire à cette exigence formelle, le juge distinguant nettement l’obligation de motiver de l’exactitude des motifs retenus, laquelle relève de l’appréciation au fond.
B. L’application du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
Enfin, la cour examine le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, qui constitue le cœur du contrôle de fond en la matière. Ce contrôle restreint conduit le juge à ne censurer que les erreurs les plus grossières de l’administration dans l’évaluation des faits. En l’espèce, la requérante mettait en avant sa situation de vulnérabilité liée à une transition de genre et les risques encourus en cas de retour. La cour analyse les éléments produits : un certificat médical postérieur à l’arrêté attaqué, un engagement associatif et des documents généraux sur la situation dans le pays d’origine et dans un autre pays européen. Elle juge ces pièces insuffisantes pour établir que la décision du préfet serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Le raisonnement de la cour met en lumière le niveau de preuve élevé exigé de la part du requérant. Les allégations de vulnérabilité doivent être étayées par des éléments personnels, précis et probants pour que le juge remette en cause la balance des intérêts effectuée par l’administration. En l’absence de telles preuves, et face à des éléments objectifs comme le rejet définitif de la demande d’asile, le juge s’en tient à son rôle de censeur de l’évidence et refuse de substituer sa propre appréciation à celle du préfet.