Dans une décision du 4 février 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur les conditions d’engagement de la responsabilité d’une administration à la suite de la rupture d’un processus de recrutement et sur l’étendue du préjudice qui en résulte. En l’espèce, un candidat à un poste postdoctoral au sein d’un établissement public de recherche s’était vu notifier, après une première confirmation de sa sélection, que son embauche n’aurait finalement pas lieu. Quelques mois auparavant, l’intéressé avait démissionné d’un contrat à durée déterminée qu’il occupait au sein d’une université. S’estimant lésé, il a saisi la justice administrative d’une demande indemnitaire. Le tribunal administratif de Marseille, par un jugement du 27 novembre 2023, a reconnu l’existence d’une faute de l’établissement public mais a partagé la responsabilité, considérant que le requérant avait commis une imprudence en démissionnant prématurément. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, contestant tout partage de responsabilité et sollicitant une indemnisation plus conséquente de ses préjudices économique, de carrière et moral. La question soumise à la cour était donc de déterminer si la rupture des pourparlers par l’administration constituait une faute de nature à engager sa pleine responsabilité, et, dans l’affirmative, de définir la nature et le montant des préjudices réparables. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative sur l’existence d’une faute exclusive de l’administration, mais en limite strictement les conséquences indemnitaires. Elle juge qu’une promesse de recrutement suffisamment ferme et précise engage la responsabilité de l’administration si elle n’est pas honorée, et écarte toute faute de la victime lorsque l’imprudence alléguée est antérieure à la promesse. Cependant, elle précise que la réparation due ne peut couvrir la perte des avantages attendus du contrat non conclu, mais seulement les préjudices moraux et les troubles dans les conditions d’existence directement causés par la promesse non tenue.
L’analyse de la cour repose ainsi sur une distinction temporelle rigoureuse pour identifier la faute de l’administration (I), ce qui la conduit à délimiter de manière restrictive le périmètre du préjudice indemnisable (II).
I. La caractérisation de la faute de l’administration par une appréciation chronologique de l’engagement
La cour administrative d’appel fonde son raisonnement sur une analyse séquentielle des faits pour retenir l’existence d’une faute. Elle exige la présence d’une promesse suffisamment caractérisée pour engager la responsabilité (A), tout en écartant l’imprudence de la victime lorsque celle-ci est sans lien de causalité direct avec la faute de l’administration (B).
A. L’exigence d’une promesse ferme et précise comme condition de la responsabilité
La décision rappelle d’abord le principe selon lequel « la méconnaissance par une collectivité publique d’un engagement pris envers une autre personne constitue une faute de nature à engager sa responsabilité si cette promesse ou assurance revêt un caractère suffisant de fermeté et de précision ». En appliquant ce principe, le juge opère une distinction déterminante entre deux périodes. D’une part, il constate que le requérant, qui a démissionné de son précédent emploi en novembre 2018, n’apporte aucun élément probant de l’existence d’une promesse du centre de recherche à cette date. La démission est donc analysée comme un acte de sa seule volonté, insusceptible d’engager la responsabilité de l’administration.
D’autre part, la cour identifie la naissance d’un engagement ferme à une date ultérieure. Elle relève qu’à compter du mois d’août 2019, plusieurs éléments matériels attestent de l’existence d’une telle promesse : la mention « candidature retenue » sur le portail de l’emploi du centre de recherche, ainsi que des échanges de courriels mentionnant « une date précise de prise de poste ». C’est donc le non-respect de cet engagement formalisé, et non la rupture de simples pourparlers, qui constitue la faute de l’établissement public. La cour se livre ainsi à une appréciation souveraine des faits pour dater précisément l’engagement de l’administration, conditionnant par là même l’existence de sa responsabilité.
B. Le rejet de l’imprudence de la victime en l’absence de lien de causalité
En réformant le jugement de première instance, la cour écarte le partage de responsabilité. Le tribunal administratif avait en effet retenu une imprudence du requérant ayant contribué à son propre dommage. La cour administrative d’appel adopte une position plus rigoureuse en matière de causalité. Elle juge que la démission de l’intéressé, intervenue plusieurs mois avant la promesse de recrutement formulée par l’administration, ne peut être considérée comme une faute ayant concouru à la réalisation du dommage.
Le préjudice réparable trouvant sa source dans la seule méconnaissance de la promesse d’août 2019, une faute antérieure de la victime ne peut exonérer, même partiellement, l’administration de sa responsabilité. La cour souligne ainsi que le comportement de la victime ne peut être qualifié d’imprudence exonératoire que s’il est directement lié à la faute de l’auteur du dommage. En l’espèce, la décision de démissionner était un événement distinct et antérieur, sans lien de causalité avec la faute ultérieurement commise par le centre de recherche. Cette analyse rigoureuse de la chaîne causale permet de consacrer une responsabilité entière de l’administration pour la faute qu’elle a effectivement commise.
Une fois la faute de l’administration caractérisée et sa responsabilité pleine et entière engagée, il appartenait à la cour de se prononcer sur l’étendue du préjudice indemnisable.
II. Une délimitation restrictive du préjudice réparable
La cour, tout en reconnaissant la faute de l’administration, adopte une conception stricte du dommage réparable. Elle exclut explicitement l’indemnisation des préjudices économiques liés à la perte du contrat (A), pour ne consacrer que la réparation des troubles moraux subis par le candidat évincé (B).
A. L’exclusion de l’indemnisation du préjudice économique et de carrière
La décision établit une distinction fondamentale entre le préjudice résultant d’une promesse d’embauche non tenue et celui qui découlerait d’un licenciement illégal. Le requérant ne peut prétendre être placé dans la situation financière qui aurait été la sienne si le contrat avait été exécuté. La cour énonce clairement que « le préjudice réparable ne peut être assimilé aux avantages dont l’appelant aurait été privé ». Par conséquent, les demandes relatives à l’indemnisation d’un préjudice de carrière et du préjudice financier tiré de la perte de revenus sont rejetées.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui considère que la faute commise lors de la rupture des pourparlers ne peut donner lieu à l’indemnisation de la perte d’une chance de percevoir les gains attendus du contrat. La réparation ne vise qu’à compenser les conséquences directes de la confiance trompée, et non à reconstituer le patrimoine que le contrat aurait engendré. De même, le préjudice financier subi entre la démission et la date prévue d’embauche est écarté, car il découle de la seule décision de l’intéressé et non de la faute du centre de recherche.
B. La consécration de la réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence
Si la cour refuse de compenser la perte économique, elle admet en revanche pleinement l’existence d’un préjudice d’une autre nature. Elle reconnaît que la décision de l’administration de ne pas finaliser le recrutement est à l’origine d’un « préjudice moral et de troubles dans les conditions d’existence ». Ce préjudice, né de la déception et de l’incertitude provoquées par la promesse non tenue, est jugé certain et directement imputable à la faute de l’établissement public.
En l’absence de toute faute de la victime pouvant atténuer la responsabilité de l’administration, la cour procède à une réévaluation du montant alloué en première instance. Elle porte l’indemnisation de 2 000 à 4 000 euros, estimant que cette somme constitue une juste réparation du préjudice moral. Cette décision illustre ainsi que, même en l’absence de préjudice matériel indemnisable, la faute de l’administration dans la rupture d’un engagement précontractuel peut être sanctionnée par l’allocation de dommages et intérêts visant à compenser l’atteinte portée aux conditions d’existence du candidat.