Par un arrêt en date du 4 février 2025, la Cour administrative d’appel a examiné la légalité d’une décision préfectorale obligeant un ressortissant étranger à quitter le territoire français sans délai et lui interdisant le retour pour une durée de trois ans. En l’espèce, un individu de nationalité algérienne, présent sur le territoire national depuis plusieurs années, père de deux enfants nés de sa relation avec une ressortissante étrangère en situation régulière, faisait l’objet d’une mesure d’éloignement. Cette décision administrative intervenait après sa condamnation pénale pour des faits de violences commises sur sa compagne. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Marseille avait rejeté la demande de l’intéressé. Ce dernier a interjeté appel de ce jugement, soulevant d’une part l’irrégularité de la décision des premiers juges pour omission de statuer sur certains de ses moyens, et d’autre part, l’illégalité de la mesure d’éloignement au fond. Il soutenait notamment que celle-ci portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaissait l’intérêt supérieur de ses enfants. Se posait alors au juge d’appel la question de savoir si, après avoir constaté l’irrégularité d’un jugement de première instance, il pouvait, par la voie de l’évocation, confirmer une mesure d’éloignement en se fondant sur le seul motif de l’irrégularité du séjour, neutralisant ainsi les moyens relatifs à la menace à l’ordre public, et si cette approche respectait l’équilibre entre les prérogatives de l’administration et les droits fondamentaux de l’étranger. La Cour administrative d’appel a annulé le jugement pour irrégularité, mais, statuant immédiatement sur le fond par l’effet dévolutif, a rejeté la requête. Elle a jugé que le seul motif tiré du séjour irrégulier suffisait à justifier légalement l’obligation de quitter le territoire. Par conséquent, elle a estimé que les moyens contestant l’existence d’une menace à l’ordre public étaient inopérants. La Cour a ensuite considéré que la mesure d’éloignement ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé, au motif que celui-ci avait lui-même, par son comportement violent, compromis sa vie familiale et agi à l’encontre de l’intérêt de ses enfants.
Le raisonnement de la Cour administrative d’appel s’articule en deux temps, justifiant une analyse qui portera d’abord sur la méthode de validation de la mesure d’éloignement (I), avant d’examiner la mise en balance rigoureuse des intérêts en présence (II).
I. La consolidation de la mesure d’éloignement par une approche procédurale pragmatique
La Cour administrative d’appel recourt à des mécanismes procéduraux qui permettent de confirmer la décision administrative, d’abord en purgeant l’irrégularité du jugement de première instance par l’évocation, puis en validant l’acte par une substitution de base légale.
A. La censure de l’omission de statuer et le recours à l’évocation
Le juge d’appel constate en premier lieu que le jugement du tribunal administratif est entaché d’irrégularité. En effet, la magistrate de première instance avait omis de répondre aux moyens soulevés par le requérant, qui contestaient l’appréciation par le préfet de la menace que sa présence constituerait pour l’ordre public. L’omission de statuer sur un moyen qui n’est pas inopérant constitue un vice de procédure qui justifie l’annulation du jugement. Cette censure témoigne de l’exigence de motivation des décisions de justice et de l’obligation pour le juge de répondre à l’ensemble de l’argumentation des parties.
Face à cette irrégularité, la Cour aurait pu renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif. Elle choisit cependant de recourir à son pouvoir d’évocation, lui permettant de statuer directement sur la requête en annulation présentée en première instance. Ce choix procédural, dicté par un souci de bonne administration de la justice, évite un allongement des délais de jugement. En évoquant, le juge d’appel se saisit de l’intégralité du litige et examine l’ensemble des moyens de légalité interne et externe soulevés contre la décision préfectorale, comme il l’aurait fait en tant que juge de premier et dernier ressort.
B. La validation de l’obligation de quitter le territoire par neutralisation d’un motif
Statuant sur le fond, la Cour procède à une analyse qui aboutit à la validation de la décision préfectorale. Le préfet avait fondé l’obligation de quitter le territoire sur deux motifs distincts : d’une part, l’entrée et le séjour irréguliers de l’intéressé, et d’autre part, la menace que son comportement constituait pour l’ordre public. Le requérant contestait le second motif, arguant d’une erreur d’appréciation de l’administration. La Cour écarte ce débat en jugeant que le premier motif, non contesté par l’intéressé, suffisait à lui seul à fonder légalement la mesure d’éloignement.
Le juge utilise ici la technique dite de la substitution de base légale, en considérant que « l’autorité de l’Etat dans le département aurait pris la même décision d’éloignement à son endroit si elle ne s’était fondée que sur ce motif ». En conséquence, les moyens dirigés contre le second motif deviennent inopérants et n’ont plus à être examinés. Cette approche pragmatique permet de sauver l’acte administratif d’une annulation, même si l’un de ses fondements était erroné. Elle illustre une tendance jurisprudentielle visant à limiter les annulations pour des motifs qui n’affectent pas le sens et la portée de la décision finale de l’administration.
II. La prévalence des impératifs d’ordre public sur les droits personnels et familiaux
Au-delà de l’analyse formelle, la décision repose sur une appréciation substantielle où le droit au respect de la vie privée et familiale et l’intérêt des enfants sont mis en balance avec le comportement de l’étranger et les objectifs de l’administration.
A. Une appréciation rigoureuse du droit au respect de la vie privée et familiale
Le requérant invoquait les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il mettait en avant l’ancienneté de sa présence en France, sa vie de couple et sa paternité de deux enfants. Le juge d’appel procède à un contrôle de proportionnalité pour déterminer si l’ingérence dans le droit à la vie privée et familiale de l’intéressé est justifiée et nécessaire dans une société démocratique.
La Cour reconnaît certains éléments de la vie privée et familiale de l’intéressé mais les met en perspective avec d’autres faits. Elle souligne le caractère discontinu et non solidement établi de sa résidence, ses précédentes mesures d’éloignement non exécutées, et surtout sa condamnation pour des violences sur sa compagne. Le juge retient une formule décisive en affirmant que l’intéressé, « par son propre comportement violent a compromis le cours de sa vie familiale ». Cette appréciation place la responsabilité de la rupture des liens familiaux sur l’étranger lui-même. L’atteinte à sa vie privée et familiale est ainsi jugée non excessive, car elle est la conséquence directe de ses propres actes, lesquels sont contraires aux valeurs de protection de la famille que l’article 8 vise à garantir.
B. L’intérêt supérieur de l’enfant apprécié à l’aune du comportement parental
Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant est également écarté par la Cour. Le juge estime que l’intérêt supérieur des enfants ne fait pas obstacle à la mesure d’éloignement de leur père. Cette conclusion s’appuie sur une analyse factuelle de la contribution du père à l’éducation et à l’entretien de ses enfants, jugée limitée depuis son incarcération.
Plus fondamentalement, la Cour établit un lien direct entre les violences commises et l’intérêt des enfants, en jugeant que « le comportement violent à l’encontre de la mère de ses enfants est contraire à l’intérêt supérieur de ces derniers ». Le juge considère ainsi que le maintien sur le territoire d’un parent violent ne sert pas nécessairement l’intérêt de l’enfant. Cette position revient à considérer que la protection des enfants contre un environnement de violence prime sur le droit de conserver un lien direct avec ce parent sur le territoire national. C’est cette même logique qui justifie l’absence d’erreur d’appréciation quant à la durée de trois ans de l’interdiction de retour, sanction jugée proportionnée à la gravité des faits et au parcours de l’intéressé.