Cour d’appel administrative de Marseille, le 5 juin 2025, n°23MA00763

Par un arrêt en date du 5 juin 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la localisation fiscale d’une société de droit britannique exerçant dans le secteur de l’économie numérique. Cette décision a permis de clarifier les critères de l’établissement stable en France et les conséquences d’une absence de déclaration d’activité. En l’espèce, une société immatriculée au Royaume-Uni, dont l’activité consistait en des prestations de services numériques, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. L’administration fiscale a considéré que cette entité disposait en réalité d’un établissement stable en France, son dirigeant et associé unique résidant sur le territoire national et y pilotant l’ensemble des opérations commerciales, administratives et de gestion. Le siège social britannique n’était qu’une simple adresse de domiciliation, dépourvue de moyens humains et matériels. En conséquence, des rappels d’impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis à sa charge, assortis de majorations pour activité occulte.

Saisi par la société, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande de décharge par un jugement du 30 janvier 2023. La société a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’existence d’un établissement stable en France, l’application du délai de reprise allongé pour activité occulte et le bien-fondé des divers redressements. Elle soutenait que l’essentiel de ses moyens techniques, notamment les serveurs informatiques et les prestataires techniques, se situaient hors de France. La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si une société étrangère du secteur numérique, dirigée de fait depuis la France par son gérant, y dispose d’un établissement stable au regard de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée. Il fallait d’autre part apprécier si l’absence de souscription de déclarations en France, alors que la société s’acquittait formellement de certaines obligations fiscales dans son État d’immatriculation, constituait une activité occulte justifiant l’extension du délai de reprise.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle confirme l’existence d’un établissement stable en France en se fondant sur un faisceau d’indices démontrant que le siège de direction effectif de la société se trouvait au domicile de son dirigeant. Pour la cour, « le dirigeant contrôlait et dirigeait en fait l’ensemble de l’activité administrative, comptable, commerciale et de gestion depuis son domicile en France ». Elle valide par conséquent les impositions et juge que la qualification d’activité occulte était fondée, la société n’établissant pas avoir commis une erreur justifiant son défaut déclaratif.

La solution retenue par la cour s’inscrit dans une approche réaliste de la localisation de l’activité, privilégiant la substance sur l’apparence juridique, en particulier dans le contexte de l’économie dématérialisée (I). Cette caractérisation entraîne cependant des conséquences d’une grande sévérité pour le contribuable, notamment par la validation d’une qualification rigoureuse de l’activité occulte (II).

I. La confirmation d’une approche substantialiste de l’établissement stable

La cour applique les critères traditionnels de l’établissement stable avec une attention particulière portée aux faits, que ce soit pour retenir la prééminence du siège de direction effectif en matière d’impôt sur les sociétés (A) ou pour caractériser un centre d’activité autonome pour les besoins de la taxe sur la valeur ajoutée (B).

A. La prévalence du siège de direction effectif en matière d’impôt sur les sociétés

L’arrêt rappelle que la notion d’établissement stable, au sens des conventions fiscales internationales, vise à identifier le lieu où une entreprise exerce effectivement son activité. Il s’appuie sur l’article 5 de la convention franco-britannique qui inclut dans cette définition « un siège de direction ». En l’espèce, la cour constate que le dirigeant, bien que représentant une société de droit britannique, pilotait l’intégralité de l’activité depuis la France. Elle relève qu’il était celui qui « confectionnait les cartes de visite et supports de présentation », « dirigeait les travaux réalisés chez les clients français », « était en relation avec les clients en vue de conclure les contrats » et « conduisait les entretiens d’embauche de salariés ».

Cette analyse factuelle très détaillée permet de localiser le véritable centre névralgique de l’entreprise. La cour écarte les arguments de la société relatifs à la localisation des serveurs informatiques à l’étranger ou au recours à des sous-traitants dans d’autres pays. Elle juge que ces éléments techniques sont sans incidence « sur l’exploitation autonome de ces activités depuis la France et sur l’existence d’une installation fixe d’affaires, notamment le siège de direction, dans cet Etat ». La décision réaffirme ainsi un principe fondamental de la fiscalité internationale : la réalité économique et managériale l’emporte sur les montages juridiques et la simple localisation des infrastructures techniques. Le juge de l’impôt recherche la substance de l’activité, identifiant là où les décisions stratégiques et commerciales sont prises.

B. La caractérisation d’un établissement apte à fournir les prestations en matière de TVA

Pour la taxe sur la valeur ajoutée, la cour mène un raisonnement autonome mais qui aboutit à la même conclusion. Le critère pertinent, issu du droit de l’Union européenne, est l’existence d’un établissement présentant « un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l’équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées ». La cour estime que ces conditions sont remplies. Elle considère que la société « disposait en France des moyens humains rendant possible, de manière autonome, la fourniture de ses prestations ».

L’arrêt précise que même si les moyens techniques lourds comme les serveurs ne sont pas en France, la structure française permettait de conclure les contrats et d’assurer la gestion de la relation client. La cour souligne que la société n’apporte aucun élément permettant de supposer que l’accès aux services « aurait été subordonné à l’intervention de sociétés tierces ». Par cette approche, elle reconnaît que dans le secteur des services numériques, l’équipement humain et l’autonomie de gestion commerciale peuvent suffire à constituer la structure apte à rendre les prestations imposables. Le juge adapte ainsi la notion d’établissement stable aux modèles d’affaires de l’économie numérique, où la présence physique et commerciale prime souvent sur l’infrastructure matérielle.

II. Les conséquences étendues de la reconnaissance de l’activité non déclarée

La qualification d’établissement stable emporte des suites rigoureuses, que la cour valide point par point. Elle retient une acception stricte de l’activité occulte, privant le contribuable du délai de reprise de droit commun (A), ce qui entraîne par ailleurs le rejet en chaîne de ses autres contestations (B).

A. L’appréciation sévère de l’absence d’erreur justificative

L’une des conséquences majeures de l’absence de déclaration en France est l’application d’un délai de reprise de dix ans, au lieu de trois, pour activité occulte. Pour y échapper, le contribuable doit établir avoir commis une erreur justifiant son omission. La société requérante soutenait avoir agi de bonne foi en déclarant son activité au Royaume-Uni. La cour rejette cet argument de manière catégorique. Elle constate d’abord que la société « ne justifie pas avoir satisfait à l’ensemble de ses obligations fiscales au Royaume-Uni », produisant des déclarations partielles et peu probantes.

Surtout, la cour estime que la société ne pouvait ignorer que son activité était en réalité pilotée depuis la France. Elle réfute l’idée que l’incertitude du droit applicable à l’économie numérique puisse constituer une erreur excusable. Elle précise à cet égard que la jurisprudence du Conseil d’État n’a fait qu’appliquer des critères préexistants « mais n’a pas déterminé des critères nouveaux dans le domaine de l’économie numérique ». Cette position place une lourde charge sur les entreprises. Elle signifie que le respect purement formel d’obligations déclaratives dans un État de convenance ne suffit pas à démontrer la bonne foi, lorsque la réalité économique ancre manifestement l’activité dans un autre État. L’arrêt constitue un avertissement clair : l’ingénierie fiscale reposant sur la déconnexion entre le siège social et le siège de direction réel expose à un risque fiscal maximal.

B. Le rejet mécanique des contestations relatives au bien-fondé de l’impôt

La qualification d’activité occulte a pour effet de renverser la charge de la preuve, qui incombe alors au contribuable pour toutes les impositions établies d’office. Cette situation procédurale défavorable scelle le sort des autres moyens soulevés par la société. Ainsi, la cour valide le rejet de la déduction de charges facturées par une société sœur tunisienne. Elle note que la requérante n’apporte pas la preuve de la réalité des prestations, alors que l’administration avait relevé que l’entité tunisienne était dépourvue de personnel pendant une partie de la période.

De même, la cour écarte le bénéfice de la convention fiscale franco-tunisienne pour les retenues à la source appliquées sur les sommes versées à cette même société. Elle juge qu’il « ne résulte pas de l’instruction que la société C… aurait été considérée au titre des années en litige comme résidente de Tunisie ». Là encore, le défaut de preuve de la société lui est fatal. Enfin, l’amende pour non-déclaration des honoraires est maintenue, la cour estimant que les sommes versées à divers prestataires indépendants entraient bien dans le champ de l’article 240 du code général des impôts. Chaque contestation se heurte à l’incapacité de la société de produire les justifications exigées, une difficulté considérablement accrue par le renversement de la charge de la preuve.

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Hassan KOHEN
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