Cour d’appel administrative de Marseille, le 5 juin 2025, n°24MA01167

Par un arrêt en date du 5 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à une ressortissante étrangère, mère de trois enfants nés sur le territoire français. Une ressortissante comorienne, entrée en France en 2017, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en sa qualité de parent d’enfant français. Le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande par un arrêté du 26 mai 2023, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français, au motif principal que l’intéressée ne remplissait pas les conditions légales, ses enfants n’étant pas de nationalité française, et au motif subsidiaire qu’elle représenterait une menace pour l’ordre public. Saisi par la requérante, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande par un jugement du 13 décembre 2023. L’étrangère a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que les premiers juges avaient omis de répondre à son argumentation relative à l’erreur d’appréciation commise par le préfet sur la menace à l’ordre public.

Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si l’omission de statuer sur un moyen par un tribunal administratif entache son jugement d’irrégularité. Dans un second temps, il leur appartenait de se demander si la décision d’un préfet, fondée sur plusieurs motifs dont l’un est erroné, peut néanmoins être jugée légale lorsque l’administration aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur le ou les motifs restants.

La cour administrative d’appel annule le jugement du tribunal administratif de Marseille pour irrégularité, estimant qu’il n’a pas répondu à l’ensemble des moyens soulevés. Usant de son pouvoir d’évocation, elle statue directement sur la demande et la rejette. Elle juge que, bien que le motif tiré de la menace à l’ordre public puisse être contesté, la décision du préfet se justifiait légalement par le seul fait que la requérante ne remplissait pas la condition d’être parente d’un enfant français. L’illégalité d’un des motifs est ainsi neutralisée, la cour considérant que « il résulte de l’instruction qu’il aurait pris la même décision s’il s’était seulement fondé sur la circonstance que Mme A… ne remplissait pas les conditions fixées par les dispositions de l’article L. 423-7 ».

Cet arrêt illustre parfaitement l’office du juge administratif, qui assure d’abord une censure formelle du jugement de première instance avant de procéder à une validation matérielle de l’acte administratif contesté. La cour procède ainsi à une annulation pour un motif de régularité procédurale (I), avant de rejeter au fond la requête par le biais d’une substitution de motif (II).

***

I. L’annulation prononcée pour une irrégularité procédurale

L’intervention du juge d’appel est d’abord motivée par un vice de forme affectant le jugement de première instance, tenant à une omission de statuer (A), ce qui l’amène à user de son pouvoir d’évocation pour rejuger l’affaire au fond (B).

A. La sanction de l’omission de statuer des premiers juges

Le juge administratif est tenu de répondre à l’ensemble des moyens opérants soulevés par les parties dans leurs écritures. Le manquement à cette obligation constitue une irrégularité qui vicie le jugement. En l’espèce, la requérante avait contesté devant le tribunal administratif l’appréciation du préfet selon laquelle sa présence constituerait une menace pour l’ordre public. Or, les juges marseillais n’ont pas examiné cet argument. La cour d’appel en tire la conséquence logique en relevant que « Le tribunal administratif de Marseille n’a pas visé ce moyen et n’y a pas répondu. Son jugement est, par suite, irrégulier et doit être annulé ». Cette solution, classique, rappelle l’exigence d’un examen complet et effectif des contestations portées devant le juge, garantie fondamentale du droit à un procès équitable. L’annulation s’imposait donc sans discussion, le juge de première instance n’ayant pas rempli la plénitude de son office.

B. La mise en œuvre du pouvoir d’évocation

Une fois l’annulation du jugement prononcée, la cour administrative d’appel aurait pu renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif pour qu’il statue à nouveau. Cependant, dans un souci de bonne administration de la justice et de célérité, elle a choisi d’évoquer l’affaire. Ce pouvoir lui permet de se saisir de l’entier litige et de statuer directement sur la demande de première instance. La cour l’exprime de manière concise : « Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A… devant le tribunal administratif ». Par ce biais, la juridiction d’appel se transforme en juge de premier et dernier ressort pour les faits de l’espèce. Cette technique procédurale permet d’éviter un allongement des délais de jugement, ce qui est particulièrement pertinent en contentieux des étrangers, où la situation des personnes est souvent précaire. La cour se place ainsi dans la même position que le premier juge pour apprécier la légalité de l’arrêté préfectoral.

II. Le rejet au fond par la validation de l’acte administratif

Après avoir réglé la question procédurale, la cour d’appel examine les arguments de fond et valide la décision du préfet en neutralisant le motif potentiellement illégal (A), puis en confirmant que le refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l’intéressée (B).

A. La neutralisation du moyen illégal par la substitution de motifs

La requérante contestait le motif tiré de la menace à l’ordre public, d’autant plus qu’elle avait été relaxée des poursuites pénales qui pesaient sur elle. Le juge administratif aurait pu constater une erreur d’appréciation du préfet sur ce point. Toutefois, il applique la théorie de la substitution de motifs, un mécanisme jurisprudentiel qui permet de sauver un acte administratif reposant sur plusieurs fondements, dont l’un est illégal. Il considère que le motif principal, tiré de ce que la requérante n’était pas parente d’un enfant français et ne pouvait donc se prévaloir de l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, suffisait à lui seul à justifier légalement le refus. La cour estime en effet « qu’il aurait pris la même décision s’il s’était seulement fondé sur cette circonstance ». Par conséquent, les moyens contestant le second motif deviennent inopérants. Cette technique pragmatique évite des annulations pour des illégalités n’ayant pas d’incidence réelle sur le dispositif de la décision administrative.

B. L’appréciation de l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale

La requérante invoquait également les articles L. 423-23 du CESEDA et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protègent le droit à la vie privée et familiale. Le juge examine alors si le refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à ce droit. Il procède à un bilan concret de la situation de l’intéressée. Il constate que, bien qu’elle réside en France depuis plusieurs années et y ait eu trois enfants, ces derniers sont de nationalité comorienne, tout comme elle. Le juge relève qu’elle « ne justifie pas de liens suffisamment intenses, anciens et stables sur le territoire français et ne démontre pas être dans l’impossibilité de reconstituer sa cellule familiale dans son pays d’origine ». Dans cette balance des intérêts, le droit de l’État à maîtriser les flux migratoires l’emporte sur la situation personnelle de la requérante. De même, la cour écarte l’argument fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant, considérant que la décision n’a « ni pour objet, ni pour effet de séparer Mme A… de ses enfants », la famille pouvant se reconstituer aux Comores. Cette appréciation, bien que sévère pour l’intéressée, s’inscrit dans une jurisprudence constante en matière de droit des étrangers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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