Par un arrêt rendu le 8 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille précise le contrôle des risques en cas de renvoi d’un ressortissant étranger vers le Kenya. Un requérant conteste la fixation de son pays d’origine comme destination d’une mesure d’éloignement, alléguant des menaces sérieuses liées à son orientation sexuelle dans cet État. Le tribunal administratif de Marseille rejette sa demande en février 2023, estimant que la réalité des risques personnels n’est pas suffisamment établie par les pièces du dossier. L’intéressé soutient devant la juridiction d’appel que l’exécution de cette mesure l’exposerait à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde. La question posée au juge administratif porte sur l’obligation de s’assurer de l’absence de risques réels malgré le rejet préalable d’une demande d’asile par les autorités compétentes. La Cour annule partiellement l’arrêté en considérant que la situation générale dans le pays de destination caractérise une méconnaissance manifeste des libertés fondamentales de la personne. L’étude de cette décision impose d’analyser d’abord l’appréciation souveraine des risques encourus (I) avant d’envisager l’autonomie du contrôle juridictionnel exercé par la Cour administrative d’appel (II).
I. L’examen approfondi des risques encourus dans le pays de destination
A. Le caractère complet de l’instruction de la situation personnelle
L’autorité administrative doit s’assurer que les mesures d’éloignement n’exposent pas l’étranger à des traitements prohibés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette obligation impérieuse impose un « examen approfondi et complet de sa situation » individuelle afin d’évaluer la persistance de menaces graves et actuelles dans le pays de destination désigné. Le juge vérifie si l’administration a procédé à une analyse circonstanciée des éléments de fait et de droit avant d’édicter la mesure de renvoi vers l’État d’origine. Bien que l’obligation de quitter le territoire soit validée, le choix de la destination fait l’objet d’un contrôle de légalité autonome et particulièrement exigeant par le juge.
B. La reconnaissance de persécutions liées à l’orientation sexuelle
La Cour administrative d’appel de Marseille relève que les « personnes homosexuelles sont victimes au Kenya d’importantes discriminations » rendant leur situation particulièrement précaire et dangereuse sur l’ensemble du territoire national. Des rapports internationaux confirment l’existence d’actes de harcèlement, de violences physiques et de poursuites pénales abusives à l’encontre de cette catégorie vulnérable de la population locale. Le requérant produit des éléments probants, comme son adhésion à une association de défense des droits humains, pour démontrer l’actualité de son exposition personnelle aux risques allégués. La juridiction en conclut qu’il existe un « risque de persécutions en raison de leur orientation sexuelle », justifiant ainsi l’annulation de la décision désignant le pays de renvoi. La reconnaissance de ces risques impose alors de s’interroger sur l’articulation entre ce contrôle juridictionnel et les décisions rendues par les instances nationales chargées de l’asile.
II. L’autonomie du contrôle de légalité face aux décisions d’asile
A. L’indépendance de l’appréciation au regard des sources documentaires
L’appréciation souveraine du juge administratif ne se trouve pas liée par les refus antérieurs opposés par l’office chargé de la protection des réfugiés et des apatrides durant l’instruction. La Cour fonde sa conviction sur des sources publiques et documentaires variées, palliant ainsi les éventuelles carences de l’instruction menée durant la phase initiale de la procédure d’asile. Elle rappelle qu’une décision négative de la juridiction spécialisée ne dispense pas l’autorité préfectorale de vérifier l’absence de menaces au moment de l’exécution du renvoi. Cette approche garantit l’effectivité du droit à la vie et à la sûreté tel que protégé par les instruments juridiques internationaux ratifiés par la puissance publique française.
B. Les conséquences limitées de l’annulation sur la mesure d’éloignement
Le juge précise que la décision portant obligation de quitter le territoire français demeure une « décision distincte de celle fixant le pays de renvoi » selon les dispositions du droit interne. L’annulation du choix du pays de destination n’entraîne pas automatiquement la remise en cause de la mesure d’éloignement prise par l’administration dans le cadre de sa compétence. L’intéressé conserve son titre de séjour provisoire mais l’autorité compétente devra statuer à nouveau sur la détermination d’une destination conforme aux exigences de la convention européenne de sauvegarde. Cette solution concilie la nécessaire efficacité des mesures de police des étrangers avec le respect impérieux de l’intégrité physique de chaque personne humaine protégée par le droit.