Cour d’appel administrative de Marseille, le 8 juillet 2025, n°24MA00760

Par un arrêt en date du 8 juillet 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’une indemnité temporaire de mobilité à un agent de la fonction publique. En l’espèce, une secrétaire administrative, initialement employée par le ministère des armées, a été détachée dans le corps des secrétaires administratifs du ministère de la justice, à sa propre demande. Affectée au service administratif régional d’une cour d’appel, elle a sollicité le bénéfice de l’indemnité temporaire de mobilité. Cette demande lui a été refusée par une décision des chefs de la cour d’appel, au motif que le service administratif régional ne constituait pas une juridiction au sens des textes applicables. L’agente a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette décision, mais sa demande a été rejetée. Elle a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que les premiers juges avaient commis une erreur de droit en ajoutant une condition non prévue par les textes. Le ministre de la justice, en défense, a demandé à la cour de substituer au motif initial un nouveau motif, tiré du fait que la mobilité de l’agente résultait de sa propre demande et non de celle de l’administration. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si un agent public ayant sollicité son détachement pouvait prétendre au bénéfice d’une indemnité temporaire de mobilité, alors même que le décret l’instituant la conditionne à une mobilité « décidée à la demande de l’administration ». La cour administrative d’appel rejette la requête de l’agente. Elle procède à la substitution de motifs demandée par le ministre et juge que la condition d’une mobilité initiée par l’administration n’était pas remplie, ce qui justifiait légalement le refus qui lui avait été opposé.

La solution retenue par la cour administrative d’appel s’articule autour de la validation du refus par une substitution de motifs (I), confirmant par là même une interprétation stricte des conditions d’éligibilité à l’indemnité de mobilité (II).

I. La validation du refus par la substitution de motifs

La cour administrative d’appel, pour rejeter la demande de l’appelante, écarte d’abord le débat sur la nature du service d’affectation (A) pour se concentrer sur un motif plus opérant, celui de l’origine de la demande de mobilité (B).

A. L’éviction du débat sur la nature du service d’affectation

La décision de refus initiale était fondée sur l’idée que l’indemnité n’était due qu’aux agents affectés dans une « juridiction », et que le service administratif régional n’en était pas une. Ce raisonnement, suivi par les premiers juges, soulevait une question d’interprétation des annexes de l’arrêté du 30 juillet 2009. L’appelante contestait cette lecture, arguant que le service administratif régional, bien que n’exerçant pas de fonctions juridictionnelles directes, est un service judiciaire indispensable au fonctionnement de la justice. La cour choisit de ne pas trancher ce débat. En effet, elle constate que le ministre de la Justice propose un autre fondement juridique à la décision. Cette approche pragmatique permet au juge de ne pas se prononcer sur une qualification potentiellement complexe et sujette à discussion, pour se concentrer sur un élément dirimant du dossier. En ayant recours à la technique de la substitution de motifs, le juge de l’excès de pouvoir s’assure que la décision administrative, si elle est justifiée sur un autre fondement, ne soit pas annulée pour une simple erreur dans sa motivation initiale.

B. L’accueil d’un motif dirimant tiré de l’origine de la mobilité

La cour fait droit à la demande de substitution de motifs présentée par le ministre. Elle examine si le motif alternatif est de nature à fonder légalement la décision de refus. Le décret du 17 avril 2008 est explicite : l’indemnité est attribuée à la condition, notamment, de « l’exercice réel d’une mobilité décidée à la demande de l’administration ». Or, il ressort des pièces du dossier que l’agente a été affectée à son nouveau poste « à la suite d’un détachement qu’elle a sollicité ». La cour en déduit logiquement que cette condition essentielle fait défaut. Peu importe, à cet égard, que le précédent poste de l’intéressée ait fait l’objet d’une restructuration. Ce qui compte est l’acte formel initiant la mobilité. La cour constate que ce motif est suffisant pour justifier le refus et que la substitution ne prive pas la requérante d’une garantie procédurale. Cette technique permet de purger le vice initial de la décision et de confirmer sa légalité au regard d’un fondement incontestable, démontrant une application rigoureuse des conditions textuelles.

La cour, ayant ainsi validé le refus sur un nouveau fondement, en profite pour rappeler la portée des conditions d’octroi de l’indemnité, limitant ainsi la portée de potentiels recours fondés sur des situations similaires.

II. La confirmation de l’interprétation stricte des conditions de l’indemnité

En écartant les autres moyens soulevés par l’appelante, la cour renforce le caractère strict des conditions d’octroi de l’indemnité (A) et réaffirme les limites du principe d’égalité en matière d’avantages illégalement accordés (B).

A. Le caractère impératif de la condition d’une mobilité à l’initiative de l’administration

La décision commentée confère une pleine portée à l’article 2 du décret du 17 avril 2008. L’indemnité temporaire de mobilité n’est pas un droit attaché à toute forme de changement d’affectation, mais un instrument incitatif à la disposition de l’administration pour pourvoir des postes présentant une « difficulté particulière ». L’objectif est de compenser les contraintes subies par un agent qui accepte une mutation dans l’intérêt du service. En jugeant que la demande de l’agente elle-même faisait obstacle à l’octroi de l’indemnité, la cour rappelle que la nature de la mobilité est appréciée à l’aune de son initiateur. Une mobilité subie ou acceptée dans l’intérêt du service n’est pas une mobilité choisie pour des convenances personnelles, quand bien même l’environnement professionnel antérieur serait en mutation. La solution est donc orthodoxe et s’inscrit dans une logique de bonne gestion des deniers publics, en réservant le bénéfice de l’indemnité aux seules situations que le texte a entendu viser.

B. Le rejet des arguments fondés sur le principe d’égalité et l’illégalité de l’arrêté

L’appelante invoquait également une rupture d’égalité, se prévalant de la situation d’autres agents qui auraient perçu l’indemnité dans des circonstances similaires. La cour écarte le moyen avec une double argumentation classique et efficace. D’une part, elle relève que la requérante n’apporte pas la preuve que les agents en question se trouvaient exactement dans la même situation qu’elle. D’autre part, et de manière plus fondamentale, elle rappelle que « le principe d’égalité ne peut être utilement invoqué à l’appui d’une demande tendant à l’octroi d’un avantage illégalement accordé ». Nul ne peut se prévaloir de l’illégalité commise au profit d’un tiers pour réclamer le même traitement. Enfin, la cour juge que l’arrêté ministériel du 30 juillet 2009 n’a fait qu’appliquer le décret en listant les emplois réputés difficiles à pourvoir, sans ajouter de condition nouvelle. Par cette décision d’espèce, la cour administrative d’appel applique avec rigueur des principes bien établis du contentieux administratif, et rappelle que les conditions d’octroi d’une prime indemnitaire s’apprécient strictement au regard des textes qui l’instituent.

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