Cour d’appel administrative de Marseille, le 8 juillet 2025, n°24MA01157

Par un arrêt en date du 8 juillet 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une décision de non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée d’une agente publique et sur les fautes que l’administration aurait commises à son encontre. En l’espèce, une éducatrice employée par la protection judiciaire de la jeunesse depuis 2018 par des contrats successifs s’est vue notifier, le 26 août 2021, la décision de ne pas renouveler son dernier engagement qui arrivait à son terme le 31 août 2021. L’agente a formé un recours gracieux, qui fut rejeté, puis a saisi le tribunal administratif de Nice d’une demande d’annulation de cette décision ainsi que d’une demande indemnitaire visant à réparer les préjudices qu’elle estimait avoir subis du fait de l’illégalité de la décision, d’un harcèlement moral et de diverses fautes procédurales. Par un jugement du 27 février 2024, les premiers juges ont rejeté ses conclusions en annulation mais ont condamné l’État à lui verser une somme limitée en réparation d’un préjudice financier lié à des congés non soldés, écartant le surplus de ses prétentions. L’agente a interjeté appel de ce jugement, en tant qu’il ne faisait pas intégralement droit à ses demandes. Elle soutenait notamment que la décision de non-renouvellement était entachée d’un vice de procédure, d’une erreur manifeste d’appréciation, et qu’elle s’inscrivait dans un contexte de harcèlement moral justifiant une indemnisation conséquente. Il était donc demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si des irrégularités procédurales affectent la légalité d’une décision de non-renouvellement de contrat, et dans quelles conditions la responsabilité de l’administration peut être engagée du fait de cette décision et des conditions de travail de l’agent. La cour rejette la requête, considérant que les vices de procédure invoqués sont sans incidence sur la légalité de la décision de non-renouvellement et que les faits de harcèlement moral ne sont pas établis.

La solution retenue par la cour illustre une application rigoureuse des principes encadrant la fin des contrats à durée déterminée dans la fonction publique. Elle confirme ainsi la portée limitée des garanties procédurales entourant une décision de non-renouvellement (I), tout en réaffirmant les exigences probatoires strictes pesant sur l’agent qui invoque un harcèlement moral (II).

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I. La confirmation d’une portée limitée des garanties procédurales

La cour administrative d’appel valide la décision de non-renouvellement en distinguant nettement la légalité de l’acte des éventuelles fautes procédurales commises par l’administration. Elle juge ainsi que l’absence d’entretien préalable, bien que requise par les textes, ne constitue pas une garantie substantielle pour l’agent (A) et rappelle que l’appréciation de l’intérêt du service demeure le seul fondement de la décision (B).

A. La relativisation de l’absence d’entretien préalable

La requérante invoquait la méconnaissance de l’article 45 du décret du 17 janvier 1986, qui impose la tenue d’un entretien préalable avant toute décision de non-renouvellement pour les agents justifiant d’une certaine ancienneté. La cour écarte cependant ce moyen en s’appuyant sur une interprétation restrictive de la portée de cette formalité. Elle juge en effet que, sauf caractère disciplinaire de la mesure, l’omission de cet entretien ne constitue pas pour l’agent « une garantie dont la privation serait de nature par elle-même à entraîner l’annulation de la décision de non renouvellement, sans que le juge ait à rechercher si l’absence d’entretien a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision ». Cette solution, classique en contentieux administratif s’agissant des vices de procédure, prend ici un relief particulier. En considérant que l’agente se trouvait dans « la situation juridique de fin de contrat sans droit au renouvellement de celui-ci », la cour minimise la portée protectrice de l’entretien. Celui-ci est réduit à une simple occasion d’échange, dont la suppression n’affecte pas en soi la légalité de la décision finale. Le juge refuse ainsi de sanctionner par l’annulation une irrégularité qui, bien que réelle, est jugée insusceptible d’avoir modifié la substance de la décision prise en considération de la manière de servir de l’agente. De même, la méconnaissance du délai de prévenance, autre manquement de l’administration, est jugée comme une circonstance « sans incidence sur la légalité de la décision », susceptible uniquement d’engager la responsabilité de l’administration pour faute.

B. La primauté de l’intérêt du service dans l’appréciation de la manière de servir

L’arrêt réaffirme avec force qu’un agent public recruté par contrat à durée déterminée ne détient aucun droit au renouvellement de son engagement. L’administration peut donc y mettre un terme pour un motif tiré de l’intérêt du service, lequel peut tenir à des considérations relatives à la personne de l’agent. Pour justifier sa décision, l’administration se fondait sur un bilan de fin de contrat faisant état d’un travail de qualité moyenne, de retards, d’un manque d’organisation et de difficultés relationnelles. La cour examine en détail les arguments de la requérante qui contestait cette évaluation, en la confrontant à un précédent compte rendu d’entretien professionnel et aux circonstances particulières de son service. Elle reconnaît l’existence d’un contexte difficile, marqué par la présence d’un mineur particulièrement virulent et des tensions internes. Toutefois, elle estime que ces éléments « n’est pas de nature, par elle-même, à remettre en cause l’appréciation portée par sa hiérarchie sur sa manière de servir ». En procédant à cette analyse concrète, le juge exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation qui, tout en étant approfondi, laisse une marge de manœuvre considérable à l’administration. La décision de non-renouvellement, dès lors qu’elle repose sur des éléments factuels liés à la performance et au comportement de l’agent, est jugée justifiée par l’intérêt du service, indépendamment des difficultés de l’environnement de travail.

Cette validation de la décision de fond n’excluait cependant pas un examen des fautes potentielles de l’employeur. La cour s’attache donc à vérifier le bien-fondé des allégations de harcèlement moral, mais en appliquant là encore un cadre d’analyse rigoureux.

II. La réaffirmation des exigences probatoires en matière de harcèlement moral

Après avoir écarté l’illégalité de la décision de non-renouvellement, le juge d’appel se penche sur la responsabilité de l’administration. Il rejette les prétentions de la requérante en rappelant le régime probatoire exigeant qui pèse sur l’agent s’estimant victime de harcèlement (A), ce qui le conduit logiquement à limiter strictement le droit à réparation aux seules fautes avérées et à leur préjudice direct (B).

A. L’insuffisance des éléments présentés pour présumer le harcèlement

L’arrêt rappelle utilement le mécanisme probatoire à deux temps applicable en matière de harcèlement moral, issu de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Il appartient d’abord à l’agent de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement. Si cette condition est remplie, il incombe ensuite à l’administration de démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. En l’espèce, la cour estime que la première étape de ce raisonnement n’est pas franchie. La requérante produisait une main courante, un certificat médical faisant état d’un syndrome anxio-dépressif et une attestation d’un psychologue. La cour analyse méthodiquement chacun de ces éléments pour conclure qu’ils sont insuffisants. Le certificat médical est écarté car il « se borne néanmoins à indiquer, sur la base des seules déclarations de l’appelante, que ce syndrome serait en lien avec une situation récurrente de harassement psychologique ». L’attestation du psychologue est également jugée trop isolée pour suffire. La cour relève de surcroît que l’agente « n’établit pas avoir alerté sa hiérarchie des faits qu’elle affirme avoir subis ». Cette approche rigoureuse illustre la difficulté pour un agent d’apporter la preuve d’un faisceau d’indices concordants. Le juge exige des faits précis, matériellement établis et répétés, et ne se contente pas d’un ressenti ou d’un état de santé dégradé, même attesté médicalement, s’il n’est pas corroboré par des éléments objectifs imputables à l’employeur.

B. Une réparation circonscrite au préjudice direct et certain des fautes procédurales

La conséquence logique du raisonnement de la cour est de limiter l’indemnisation. Ayant jugé la décision de non-renouvellement légale et les faits de harcèlement non établis, elle écarte toute réparation des préjudices qui en découleraient, qu’ils soient financiers ou moraux. Restait la question du préjudice né des fautes procédurales que sont l’absence d’entretien et le non-respect du délai de prévenance. Le tribunal administratif avait d’ailleurs reconnu implicitement l’existence d’un préjudice lié à ces fautes, mais sans l’indemniser spécifiquement. En appel, la cour relève que la requérante « ne décrit pas avec suffisamment de précision la nature de ce préjudice ». Cette motivation met en lumière une exigence fondamentale du droit de la responsabilité administrative : la nécessité pour le demandeur de prouver non seulement la faute de l’administration, mais aussi l’existence d’un préjudice direct et certain résultant de cette faute. En l’absence de précisions sur les troubles que lui auraient causés ces manquements procéduraux, distincts de la perte de son emploi, la cour refuse d’allouer une indemnité. Cette solution souligne la dissociation opérée par le juge entre la légalité de la décision et les conditions de son édiction. Si les fautes de procédure peuvent ouvrir droit à réparation, ce n’est pas de manière automatique ; elles ne donnent lieu à indemnisation que si l’agent démontre avoir subi un préjudice spécifique, tel qu’une perte de chance de trouver un autre emploi plus rapidement ou un préjudice moral particulier lié à la brutalité de l’annonce.

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