Un militaire engagé a été victime d’un accident de service quelques jours avant le terme de son contrat. L’administration militaire a décidé de ne pas proroger cet engagement et de le radier des contrôles à la date initialement prévue, malgré l’incapacité temporaire de l’intéressé. Estimant que la proposition d’indemnisation formulée par le ministre des armées pour les seuls préjudices corporels était insuffisante, l’agent a saisi la commission des recours des militaires. Par la suite, il a introduit une action en responsabilité devant le tribunal administratif de Marseille, non pas sur le fondement de l’accident, mais en raison de la faute qu’aurait commise l’administration en ne prolongeant pas son contrat durant son congé maladie. Les premiers juges ont rejeté sa demande comme irrecevable au motif que le recours administratif préalable obligatoire n’avait pas été correctement exercé pour ce chef de préjudice distinct. Saisie en appel, la juridiction administrative a été amenée à se prononcer sur la recevabilité de cette action indemnitaire. La question de droit qui se posait était de savoir si la saisine de la commission des recours des militaires, portant exclusivement sur la contestation d’une offre indemnitaire relative aux conséquences physiques d’un accident, pouvait valoir recours administratif préalable pour une action en responsabilité distincte, fondée sur la faute alléguée du non-renouvellement du contrat. La Cour administrative d’appel a répondu par la négative, confirmant l’irrecevabilité des conclusions. Elle a jugé que la demande initiale adressée à la commission ne visait pas à obtenir réparation pour la faute liée au non-renouvellement et que la réclamation ultérieure, bien que correctement formulée, n’avait pas été suivie d’une nouvelle saisine de cette même commission, étape pourtant indispensable.
La solution retenue par la Cour rappelle avec rigueur la nécessité de délimiter précisément l’objet du recours administratif préalable obligatoire exercé par les militaires (I), ce qui confirme le caractère absolument incontournable de cette procédure pour lier le contentieux au fond (II).
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I. Le rappel de la délimitation stricte de l’objet du recours administratif préalable obligatoire
La décision commentée réaffirme le principe selon lequel chaque litige doit faire l’objet d’un recours préalable clairement identifié. Elle se fonde pour cela sur une distinction nécessaire entre les différentes causes juridiques de la demande (A), ce qui la conduit à une interprétation rigoureuse des conditions de naissance du lien contentieux (B).
A. La distinction nécessaire entre la réparation du préjudice corporel et la faute administrative
L’arrêt met en évidence la séparation fondamentale entre deux fondements de responsabilité distincts. D’une part, le requérant avait engagé une démarche pour obtenir réparation des préjudices personnels directement issus de son accident de service, à savoir « les souffrances endurées et du préjudice esthétique permanent ». D’autre part, il cherchait à engager la responsabilité de l’État pour une faute de gestion administrative, constituée par le refus de proroger son contrat pendant son arrêt de travail. La Cour estime que la lettre adressée à la commission des recours, dont les termes sont qualifiés d' »imprécis », ne pouvait concerner que le premier objet.
En effet, le recours administratif préalable doit permettre à l’administration de connaître avec une clarté suffisante la nature et l’étendue des griefs formulés à son encontre afin de pouvoir y répondre. La contestation d’une offre transactionnelle de 185 euros ne saurait raisonnablement être interprétée comme une réclamation portant sur la perte de revenus et de droits à la retraite évaluée par le requérant à plus de 200 000 euros. Cette analyse souligne que la cause juridique d’une demande indemnitaire structure entièrement le litige. Le juge administratif refuse ainsi d’étendre artificiellement la portée d’un recours à un objet qui n’y était manifestement pas inclus, même de manière implicite.
B. L’interprétation rigoureuse de la liaison du contentieux
Au-delà de l’objet de la saisine, la Cour examine la chronologie procédurale pour conclure que le contentieux n’a jamais été valablement lié sur la question de la faute administrative. Le raisonnement est double. D’abord, à supposer même que la première lettre à la commission ait pu concerner le non-renouvellement du contrat, elle n’était pas précédée d’une demande formelle à l’administration sur ce point précis. Or, le recours administratif préalable a pour objet de contester une décision, explicite ou implicite, de l’autorité administrative. Sans décision préalable, la saisine de la commission est sans objet.
Ensuite, la juridiction constate que l’agent a bien tenté de régulariser sa situation par une demande en bonne et due forme le 15 mars 2023. Cette démarche a fait naître une décision implicite de rejet. Cependant, et c’est le point crucial, le requérant n’a pas soumis ce nouveau refus à la commission des recours des militaires avant de poursuivre son action en justice. Il a donc omis l’étape qui aurait permis de lier le contentieux sur cette nouvelle base. Cette exigence formaliste, loin d’être excessive, garantit le bon fonctionnement du filtre précontentieux voulu par le législateur.
II. L’affirmation du caractère incontournable de la saisine de la commission des recours des militaires
En rejetant la requête, l’arrêt ne se contente pas de sanctionner une erreur de procédure ; il délivre un message clair sur l’importance de ce recours préalable. Il souligne l’inefficacité d’une réclamation administrative qui n’est pas suivie du recours obligatoire (A), conférant à la décision une portée pédagogique indéniable sur le bon usage des voies de droit (B).
A. L’inefficacité d’une réclamation tardive non suivie du recours administratif préalable
L’arrêt illustre parfaitement qu’en matière de contentieux militaire, la procédure est séquentielle et que chaque étape conditionne la validité de la suivante. Le fait que le requérant ait adressé « une demande en bonne et due forme » à son administration en mars 2023 démontre qu’il a pris conscience de sa lacune initiale. Cette démarche était nécessaire, mais elle n’était pas suffisante. Le juge rappelle qu’après la naissance d’une décision implicite de rejet sur cette nouvelle demande, il appartenait à l’agent de saisir à nouveau la commission des recours.
Cette exigence réaffirmée montre que la régularisation d’une procédure ne peut être que partielle. Le requérant ne pouvait espérer que sa demande de 2023 vienne « sauver » rétroactivement l’instance déjà engagée devant le tribunal sur un fondement irrecevable. Le juge administratif de première instance, comme celui d’appel, n’était pas valablement saisi. L’omission de la saisine de la commission après le rejet de la demande de 2023 constitue ainsi une seconde fin de non-recevoir qui vient confirmer la première et sceller le sort de la requête.
B. La portée pédagogique de la décision et le rappel de l’office du recours préalable
En précisant explicitement qu’il « appartiendra, le cas échéant, [au requérant] de présenter une nouvelle demande indemnitaire à son administration et, en cas de refus, de saisir la commission des recours des militaires », la Cour dépasse la simple censure. Elle guide l’administré et son conseil sur la marche à suivre pour que sa prétention puisse un jour être examinée au fond. Cette démarche est révélatrice de l’office du juge administratif, qui n’est pas seulement de trancher un litige, mais aussi d’expliquer la règle de droit applicable.
Cette solution réaffirme avec force que le recours devant la commission des recours des militaires n’est pas une simple option. Il s’agit d’une condition de recevabilité d’ordre public pour tout recours contentieux relatif à la situation personnelle d’un militaire, que la demande soit annulatorie ou indemnitaire. L’arrêt confirme que ce mécanisme de recours préalable obligatoire a été conçu comme un véritable filtre, destiné à favoriser une résolution non contentieuse des litiges et à s’assurer que le juge ne soit saisi qu’après que l’administration a eu l’opportunité d’examiner complètement les griefs dans un cadre formalisé.