Cour d’appel administrative de Nancy, le 1 avril 2025, n°24NC01300

Par un arrêt en date du 1er avril 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale pour un étranger en situation irrégulière. En l’espèce, un ressortissant congolais, entré régulièrement en France en 2015 et ayant bénéficié d’un titre de séjour jusqu’en 2018, s’était maintenu sur le territoire après un premier refus de renouvellement assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Ayant sollicité en 2023 son admission exceptionnelle au séjour, il mettait en avant son ancienneté de présence, ses efforts d’intégration et son mariage récent avec une compatriote résidant régulièrement en France. L’autorité préfectorale a rejeté sa demande par un arrêté du 5 octobre 2023, lui a enjoint de quitter le territoire et a fixé le pays de renvoi. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, par un jugement du 9 avril 2024, a rejeté le recours formé contre cette décision. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaissait diverses stipulations conventionnelles. Il appartenait ainsi au juge d’appel de déterminer si la situation personnelle et familiale d’un étranger, malgré une présence prolongée sur le territoire national et un mariage récent, pouvait justifier l’annulation d’un refus de séjour lorsque l’intéressé s’était soustrait à une précédente mesure d’éloignement et conservait des attaches dans son pays d’origine. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la décision préfectorale n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant et qu’elle n’est entachée d’aucune autre illégalité. La juridiction estime que ni l’ancienneté de la présence, en partie due au maintien irrégulier sur le territoire, ni les liens familiaux tissés en France ne sont suffisants pour remettre en cause le refus de l’administration, au regard notamment des liens conservés par l’intéressé et son épouse avec leur pays d’origine.

La solution retenue par la cour administrative d’appel illustre l’application classique du contrôle de proportionnalité en matière de droit au séjour, où les éléments de la vie privée et familiale en France sont mis en balance avec des considérations d’ordre public et les liens maintenus dans le pays d’origine (I). En conséquence de cette analyse, la cour écarte logiquement les autres moyens soulevés, confirmant ainsi la légalité de l’ensemble de la mesure d’éloignement (II).

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I. L’appréciation conventionnelle du droit au respect de la vie privée et familiale

La cour procède à un examen détaillé des liens personnels et familiaux du requérant, reconnaissant leur existence tout en les jugeant insuffisants pour faire droit à sa demande. Elle met en balance les attaches de l’intéressé en France (A) avec les éléments qui justifient le refus de séjour, notamment son comportement passé et ses liens persistants avec son pays d’origine (B).

A. La prise en compte d’attaches personnelles et familiales établies

Le juge administratif ne nie pas les éléments avancés par le requérant pour attester de son intégration et de sa vie familiale en France. L’arrêt mentionne explicitement son entrée en France en janvier 2015, son mariage avec une ressortissante congolaise résidant régulièrement en France, ainsi que la présence de sa sœur sur le territoire national depuis 2012. La cour note également les « efforts d’intégration, notamment par la participation à des activités bénévoles » du requérant. Ces éléments constituent le cœur de l’examen au regard de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La reconnaissance de ces faits démontre que le juge n’occulte aucune facette de la situation personnelle de l’administré. Cependant, cette prise en considération ne préjuge pas de l’issue de la balance des intérêts, elle n’en constitue que le premier terme. Le juge se livre à un inventaire des faits pertinents avant de les peser au regard des motifs qui peuvent légalement justifier un refus.

B. La prévalence des motifs justifiant le refus de séjour

Face aux éléments de la vie privée et familiale en France, la cour oppose plusieurs arguments décisifs qui emportent sa conviction et justifient la légalité de la décision préfectorale. Premièrement, elle relativise l’ancienneté de la présence en soulignant qu’elle « tient au demeurant à ce qu’il n’a pas déféré à une précédente mesure d’éloignement ». Ce faisant, elle signifie que la durée du séjour ne saurait être une prime à l’illégalité et que le comportement de l’étranger est un paramètre essentiel de l’appréciation. Deuxièmement, la cour minimise la portée du mariage en relevant que le requérant « ne se prévaut d’aucune circonstance qui ferait obstacle à ce que son épouse le suive au Congo, pays dont elle a, comme lui, la nationalité ». Cette analyse, classique en contentieux des étrangers, déplace le centre de la vie familiale vers le pays d’origine lorsque les deux conjoints en partagent la nationalité. Enfin, le juge constate que le requérant « n’est pas dépourvu d’attaches dans son pays d’origine où résident ses quatre enfants » et où il a vécu jusqu’à un âge avancé. La combinaison de ces facteurs conduit la cour à conclure que le refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, validant l’analyse de l’autorité préfectorale.

Ayant ainsi écarté le moyen principal du requérant par une application rigoureuse du bilan coûts-avantages, la cour se tourne vers les autres arguments soulevés, qui apparaissent dès lors comme voués à l’échec.

II. Le rejet des moyens subsidiaires et la validation de la mesure d’éloignement

La confirmation de la légalité du refus de séjour entraîne mécaniquement le rejet des moyens dirigés contre l’obligation de quitter le territoire qui en découle. La cour écarte ainsi sans surprise les arguments fondés sur des considérations humanitaires ou l’intérêt des enfants (A), ce qui la conduit à valider l’ensemble du dispositif d’éloignement, y compris la décision fixant le pays de destination (B).

A. L’inefficacité des considérations humanitaires et de l’intérêt supérieur de l’enfant

Le requérant invoquait également l’article L. 435-1 du CESEDA, qui permet une régularisation pour des « considérations humanitaires » ou des « motifs exceptionnels ». La cour, par une motivation lapidaire mais logique, énonce que « les éléments énoncés au point 3 dont se prévaut le requérant […] ne suffisent pas à caractériser un motif exceptionnel ou une considération humanitaire ». Cette approche confirme que les critères d’appréciation de la vie privée et familiale et ceux de l’admission exceptionnelle au séjour, bien que distincts, reposent sur l’examen des mêmes faits. Une situation jugée non constitutive d’une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale a peu de chances de caractériser un motif exceptionnel. De même, le moyen tiré de la méconnaissance de l’intérêt supérieur de l’enfant est écarté. La cour relève d’une part que les propres enfants du requérant résident au Congo, et d’autre part qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier qu’il aurait tissé avec les enfants de sa compagne des liens d’une intensité telle que la décision en litige méconnaîtrait leur intérêt supérieur ». Cette motivation révèle le niveau d’exigence probatoire requis pour qu’un lien avec des enfants qui ne sont pas les siens soit jugé déterminant.

B. La conséquence inéluctable : une mesure d’éloignement légale

La légalité de l’obligation de quitter le territoire français découle en cascade de celle du refus de séjour. Le moyen tiré de l’illégalité du refus de titre, soulevé par la voie de l’exception, est logiquement écarté. De même, l’argument fondé sur l’article 8 de la Convention européenne est rejeté « pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 3 ». Enfin, la cour examine le moyen dirigé contre la décision fixant le pays de destination, fondé sur l’article 3 de la même convention. Le requérant alléguait des risques liés à son état de santé. La cour juge que les éléments produits « ne permettent pas d’établir la réalité des craintes », écartant le moyen. Cet arrêt constitue une décision d’espèce qui n’innove pas sur le plan juridique. Il offre une illustration pédagogique de la méthode du bilan appliquée par le juge administratif et de la hiérarchie des arguments dans le contentieux du refus de séjour. Il confirme que si la durée de présence et les liens familiaux sont des éléments essentiels, ils peuvent être neutralisés par le comportement de l’étranger et la persistance d’attaches solides dans le pays d’origine, réaffirmant ainsi la marge d’appréciation dont dispose l’administration dans la gestion des flux migratoires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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