Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, une cour administrative d’appel a statué sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour un étranger dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale spécifique. En l’espèce, une ressortissante géorgienne souffrait d’une pathologie rhumatismale chronique pour laquelle un traitement par perfusions d’une spécialité pharmaceutique précise s’était révélé seul efficace, après l’échec d’autres thérapies. L’autorité préfectorale lui a opposé un refus de séjour, assorti d’une obligation de quitter le territoire français, en se fondant sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Cet avis estimait qu’un traitement approprié était disponible dans son pays d’origine. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision par un jugement du 18 décembre 2023, en joignant à l’administration de lui délivrer une carte de séjour temporaire. La préfète a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le principe actif du médicament administré à la requérante était bien disponible en Géorgie sous d’autres formes commerciales. Il appartenait donc à la cour de déterminer si la disponibilité du seul principe actif d’un médicament dans le pays d’origine suffit à caractériser l’existence d’un traitement approprié au sens de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, alors même que les pièces du dossier établissent que seule une spécialité précise, non disponible dans ledit pays, est efficace pour la patiente. La cour administrative d’appel rejette la requête de la préfète. Elle juge que l’existence d’un traitement approprié doit s’apprécier au regard de son efficacité concrète pour le patient, et non de la simple disponibilité de son principe actif. Dès lors qu’il est démontré que seule une spécialité pharmaceutique non disponible dans le pays d’origine permet une amélioration de l’état de santé de l’étranger, les autres traitements, bien qu’équivalents en théorie, ne sauraient constituer une alternative appropriée.
I. L’appréciation concrète de l’accès effectif au traitement approprié
La décision commentée se distingue par son approche pragmatique de la notion de traitement approprié, en refusant une analyse purement théorique de l’offre de soins (A) pour lui préférer une évaluation personnalisée de l’efficacité de la prise en charge médicale (B).
A. Le rejet d’une analyse abstraite de l’offre de soins
La cour écarte l’argumentation de l’administration, qui reposait sur une vision généralisante de la disponibilité des soins. L’autorité préfectorale soutenait en effet que « le principe actif du Remsima, l’infliximab, est disponible en Géorgie sous d’autres formes commerciales et que les études médicales démontrent que toutes les formes de ce principe actif ont la même efficacité ». Ce raisonnement consiste à assimiler l’existence d’un composant chimique à l’existence d’un traitement effectif pour une personne donnée. Or, le juge administratif rappelle que la finalité de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est d’assurer à l’étranger une prise en charge adaptée à sa situation personnelle. En se contentant de vérifier la présence d’un principe actif dans le système de santé du pays d’origine, l’administration opère une appréciation abstraite qui ignore l’historique médical du patient et les réactions spécifiques de son organisme. La cour souligne ainsi que la simple équivalence théorique des traitements ne suffit pas à remplir la condition légale, marquant une distance avec une approche purement administrative et déshumanisée du dossier.
B. La consécration d’une approche personnalisée de l’efficacité du traitement
À l’inverse de la vision de l’administration, la cour fonde son raisonnement sur les éléments médicaux propres à la situation de la requérante. Elle retient qu’« il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment du certificat médical du 2 mai 2023, que seul l’infliximab administré sous la forme d’injection de Remsima permet une amélioration de l’état de santé de Mme A… ». Ce faisant, le juge procède à une analyse *in concreto* qui prend en considération le parcours de soins de l’intéressée et l’inefficacité avérée des alternatives thérapeutiques. La décision accorde une force probante déterminante au certificat médical circonstancié qui atteste de l’échec des traitements antérieurs et de l’amélioration de l’état de la patiente uniquement depuis l’instauration de la nouvelle thérapie. En concluant qu’il « n’existe pas de traitement approprié » en Géorgie, la cour définit cette notion non comme un traitement existant en théorie, mais comme celui qui est réellement et personnellement efficace. Cette approche place l’effectivité du soin au cœur de l’appréciation et garantit que la protection accordée par la loi ne soit pas vidée de sa substance par une interprétation trop rigide.
II. La portée du contrôle du juge sur la notion de traitement approprié
En procédant à cette analyse détaillée, la cour réaffirme l’étendue du contrôle du juge administratif sur les données médicales soumises à son examen (A), ce qui a pour conséquence de redéfinir les obligations pesant sur l’autorité préfectorale (B).
A. L’office du juge administratif dans l’appréciation des données médicales
Cette décision illustre de manière particulièrement claire la plénitude du contrôle exercé par le juge de l’excès de pouvoir sur les décisions de refus de séjour pour soins. Conformément aux règles de procédure, le juge administratif ne se considère pas lié par l’avis du collège de médecins de l’OFII. Si cet avis constitue un élément d’appréciation essentiel, il ne saurait faire obstacle à un examen contradictoire des faits lorsque le requérant produit des éléments médicaux précis et documentés le contestant. En l’espèce, la cour a examiné l’ensemble des pièces, confrontant l’avis général de l’OFII aux certificats médicaux spécifiques versés au débat par la requérante. Elle a ainsi exercé son plein office en appréciant souverainement la valeur probante des différents éléments pour forger sa conviction. L’arrêt confirme que le secret médical n’est pas un obstacle infranchissable pour le juge, dès lors que le demandeur lui-même choisit de produire les informations nécessaires pour lui permettre de statuer en pleine connaissance de cause. Le juge n’est donc pas un simple validateur de l’avis médical initial, mais bien l’arbitre final de la situation médicale de l’étranger.
B. La redéfinition des obligations de l’autorité préfectorale
La portée de cet arrêt réside principalement dans le renforcement des exigences qui pèsent sur l’administration. Celle-ci ne peut plus se retrancher derrière la seule mention de la disponibilité d’un principe actif dans le pays d’origine, surtout face à un dossier médical étayé démontrant le contraire. La décision l’oblige implicitement à un examen plus approfondi, qui doit tenir compte de la situation personnelle et de l’historique thérapeutique de chaque demandeur. Pour refuser un titre de séjour, l’autorité préfectorale devra désormais s’assurer que le traitement disponible à l’étranger est non seulement accessible, mais également susceptible d’être efficace pour la pathologie et la condition spécifiques de l’individu. En cas de doute ou d’éléments médicaux contradictoires, il lui appartiendra de mener des investigations plus poussées. Cette jurisprudence a pour effet de limiter la marge d’appréciation de l’administration en la contraignant à une analyse qualitative et non plus seulement quantitative de l’offre de soins dans le pays de renvoi. Elle pourrait ainsi conduire à une protection accrue pour les étrangers atteints de pathologies complexes nécessitant des traitements de pointe ou très personnalisés.