Cour d’appel administrative de Nancy, le 10 juillet 2025, n°24NC00516

Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français notifiée à un ressortissant étranger. En l’espèce, un citoyen russe, entré en France en 2019, avait vu sa demande d’asile puis sa demande de réexamen définitivement rejetées par les autorités compétentes. Peu après avoir déposé une demande de titre de séjour sur un autre fondement, l’administration lui a enjoint de quitter le territoire, assortissant cette mesure d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. L’intéressé, père de deux enfants dont un fils majeur bénéficiant du statut de réfugié et une fille mineure scolarisée en France, a contesté cette décision. Saisi du litige, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête par un jugement du 2 février 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’administration n’avait pas correctement examiné sa situation, que sa demande de titre de séjour faisait obstacle à l’édiction d’une mesure d’éloignement, et que cette dernière portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le problème de droit soumis à la cour consistait donc à déterminer si, d’une part, le dépôt d’une demande de titre de séjour par un étranger dont le droit au maintien au titre de l’asile a pris fin peut paralyser la compétence de l’autorité administrative pour édicter une mesure d’éloignement, et, d’autre part, si une telle mesure est conforme aux exigences conventionnelles relatives à la vie privée et familiale au regard des liens tissés par l’étranger sur le territoire. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la demande de titre de séjour était sans incidence sur la légalité de l’obligation de quitter le territoire et que cette dernière ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans la vie privée et familiale du requérant. La décision de la cour confirme ainsi avec fermeté la portée des pouvoirs de l’administration en matière d’éloignement (I), tout en procédant à une application rigoureuse des garanties conventionnelles relatives à la situation personnelle de l’étranger (II).

I. La confirmation de la plénitude du pouvoir d’éloignement de l’administration

La cour administrative d’appel rappelle d’abord que la compétence de l’autorité préfectorale pour édicter une obligation de quitter le territoire n’est pas neutralisée par une demande de régularisation pendante (A). Elle ajoute ensuite que de simples erreurs factuelles contenues dans l’arrêté ne suffisent pas, en l’absence d’incidence sur le sens de la décision, à en entraîner l’annulation (B).

A. L’inefficacité d’une demande de titre de séjour non assortie d’un droit au séjour

Le requérant soutenait que la préfète ne pouvait légalement lui enjoindre de quitter le territoire alors même qu’il avait sollicité son admission au séjour. La cour écarte ce moyen en s’appuyant sur une jurisprudence bien établie. Elle énonce que « le seul dépôt d’une demande de titre de séjour ne s’oppose pas à ce que l’autorité administrative décide de prendre une obligation de quitter le territoire français ». Cette solution réaffirme l’autonomie de la procédure d’éloignement engagée sur le fondement du rejet définitif d’une demande d’asile. La fin du droit au maintien sur le territoire qui en découle place l’étranger en situation irrégulière et habilite l’administration à agir. La cour précise toutefois la seule limite à ce principe : la situation où « la loi prescrit l’attribution de plein droit d’un titre de séjour à l’intéressé ». En l’espèce, la demande du requérant, fondée sur l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, n’ouvrait pas un tel droit automatique mais impliquait une simple faculté pour l’administration d’accorder le titre sollicité. Par conséquent, la préfète restait pleinement compétente pour prononcer la mesure d’éloignement, le dépôt d’une demande de titre n’ayant créé aucune protection particulière pour le requérant.

B. La neutralisation des erreurs de fait non déterminantes

Le requérant invoquait également des erreurs factuelles commises par la préfète dans l’examen de sa situation, notamment concernant la situation de son fils majeur. La cour reconnaît l’existence d’inexactitudes mais juge qu’elles sont sans conséquence sur la légalité de l’acte contesté. Elle considère en effet que « de telles inexactitudes sont sans incidence sur le sens de l’arrêté litigieux ». Cette position illustre la théorie des motifs surabondants et l’exigence d’un lien de causalité entre l’erreur commise et la décision prise. Pour que l’annulation soit encourue, il faut que l’erreur de fait ait été déterminante, c’est-à-dire qu’en son absence, l’administration aurait pu prendre une décision différente. En l’occurrence, le juge estime que, même en prenant en compte les faits exacts, notamment le statut de réfugié du fils majeur, la décision d’éloignement aurait été identique, car elle se fonde principalement sur le rejet de la demande d’asile du père. Ce faisant, la cour préserve la marge d’appréciation de l’administration et confirme que seules les erreurs substantielles ayant vicié son consentement sont susceptibles d’être sanctionnées.

Ayant ainsi validé la procédure administrative, la cour s’est ensuite attachée à contrôler l’appréciation portée sur la situation personnelle du requérant, ce qui l’a conduite à une interprétation restrictive de la protection de la vie familiale.

II. Une appréciation restrictive de la protection de la vie privée et familiale

La cour procède à une analyse concrète des liens de l’intéressé en France, mais en relativise la portée au regard des conditions de son séjour (A). Cette appréciation la conduit à considérer que l’intérêt supérieur de l’enfant ne fait pas obstacle à la mesure d’éloignement (B).

A. La relativisation des attaches en France en raison de la précarité du séjour

Le requérant invoquait une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour examine les éléments avancés, tels que la durée de présence en France et la scolarisation de sa fille. Elle les juge cependant insuffisants pour caractériser une atteinte disproportionnée. La juridiction rappelle que ce texte « ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale ». Elle souligne que le séjour de l’intéressé a toujours été précaire, car lié à l’instruction de ses demandes d’asile. Plus encore, la cour opère une distinction au sein de la cellule familiale : elle estime que le fils majeur, bien qu’ayant obtenu le statut de réfugié, « doit être regardé, eu égard à son âge et malgré sa scolarité, comme ayant constitué sa propre cellule familiale ». Cette dissociation permet de minimiser la force des liens familiaux sur le territoire français et de conclure que la vie familiale peut se reconstituer avec sa fille mineure dans le pays d’origine.

B. La conciliation de l’intérêt supérieur de l’enfant avec l’objectif de maîtrise des flux migratoires

L’argument tiré de la méconnaissance de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant est également écarté par la cour. Le juge considère que l’intérêt supérieur de l’enfant ne s’oppose pas à la décision d’éloignement du parent. En effet, il est précisé que la fille mineure « peut accompagner son père dans leur pays d’origine, où M. C… a vécu jusqu’à l’âge de 43 ans et où la cellule familiale pourra se reconstituer ». La cour estime donc que l’intérêt de l’enfant est préservé dès lors qu’elle n’est pas séparée de son parent, quand bien même cela impliquerait de quitter le pays où elle est scolarisée et a ses habitudes. Cette solution montre que, si l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale, il n’est pas absolu et est mis en balance avec d’autres impératifs, notamment le droit de l’État de contrôler l’immigration. En l’absence de droit au séjour du parent, l’intérêt de l’enfant à demeurer en France est considéré comme secondaire face à la légitimité de la mesure d’éloignement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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