Cour d’appel administrative de Nancy, le 10 juillet 2025, n°24NC02690

Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy a précisé les conditions de mise en œuvre de la dérogation à l’obligation de scolarisation en établissement pour motif de pratique sportive intensive. En l’espèce, des parents sollicitaient pour leur enfant, instruit en famille depuis l’année scolaire 2021-2022, une autorisation de poursuivre ce mode d’instruction au titre de l’année 2024-2025, en invoquant une pratique sportive conséquente. Leur demande initiale, présentée au directeur académique des services de l’éducation nationale, fut rejetée, tout comme le recours administratif préalable obligatoire subséquemment formé devant la commission académique. Les parents ont alors saisi le tribunal administratif de Besançon, qui a confirmé la décision de l’administration par un jugement du 15 octobre 2024. C’est dans ce contexte qu’ils ont interjeté appel, contestant l’appréciation des premiers juges et de l’administration. Ils soutenaient principalement que l’autorité administrative avait ajouté des conditions non prévues par les textes, notamment l’exigence d’une pratique compétitive, et commis une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’intérêt supérieur de leur enfant. Se posait donc la question de savoir si le refus d’autoriser l’instruction en famille était justifié lorsque l’administration, au terme d’une appréciation concrète, jugeait que l’intensité de la pratique sportive n’était pas incompatible avec une scolarisation en établissement. La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, estimant que les requérants n’établissaient pas que l’organisation des activités sportives de leur enfant rendait impossible sa fréquentation d’un établissement scolaire.

La décision commentée s’inscrit dans le cadre juridique resserré de la loi du 24 août 2021, qui a substitué un régime d’autorisation à l’ancien régime déclaratif pour l’instruction en famille. Elle illustre l’application stricte des conditions dérogatoires (I), validant par là même une marge d’appréciation significative reconnue à l’administration dans l’évaluation de la situation de l’enfant (II).

I. Une interprétation rigoureuse des conditions dérogatoires à l’obligation de scolarisation

L’arrêt réaffirme avec force le caractère principiel de la scolarisation en établissement, ce qui conduit le juge à un contrôle approfondi de la compatibilité effective entre l’emploi du temps de l’enfant et les exigences d’une scolarité classique.

A. La réaffirmation du caractère subsidiaire de l’instruction en famille

Depuis la loi du 24 août 2021, l’instruction en famille n’est plus un choix laissé à la libre appréciation des responsables de l’enfant mais une dérogation soumise à une autorisation administrative pour des motifs limitativement énumérés. La Cour rappelle ce principe en soulignant qu’il appartient à l’autorité administrative « de retenir la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt ». Cette formule place l’instruction en établissement comme la solution de droit commun. La décision commentée témoigne de ce que le fardeau de la preuve repose entièrement sur les demandeurs, qui doivent démontrer que leur situation correspond précisément à l’un des cas dérogatoires, en l’occurrence la pratique d’activités sportives intensives. L’antériorité de l’instruction en famille, même accompagnée de contrôles pédagogiques « très satisfaisants », ne constitue pas un droit acquis ni même une présomption en faveur du maintien de ce mode d’instruction. La Cour écarte cet argument pour se concentrer exclusivement sur le respect des conditions posées par les articles L. 131-5 et R. 131-11-3 du code de l’éducation pour l’année scolaire considérée.

B. Une appréciation concrète de l’incompatibilité avec une scolarisation

La Cour se livre à une analyse factuelle détaillée pour évaluer la contrainte que les activités sportives font peser sur l’emploi du temps de l’enfant. Elle relève que, sur un volume total de vingt heures hebdomadaires consacrées au sport, seule une partie, l’entraînement en club de cyclisme, présente un cadre formalisé. Pour le reste, les activités, bien que variées, s’exercent dans un cadre familial. Le juge met en balance ce volume horaire avec celui d’une instruction en établissement, soit vingt-six heures hebdomadaires, et conclut à l’absence d’incompatibilité manifeste. Il estime en effet « qu’il n’est cependant pas établi qu’il ne pourrait pas exercer ces mêmes activités sportives même de manière intensive après les classes le soir en semaine, le mercredi et les fins de semaine ». Cette approche pragmatique réduit considérablement la portée de la dérogation. Il ne suffit pas de justifier d’un volume horaire sportif important ; il faut encore prouver que ce volume ne peut être aménagé en dehors du temps scolaire. La Cour considère donc que la seule existence de créneaux disponibles en soirée ou le week-end suffit à écarter l’argument de l’incompatibilité.

II. La validation de la latitude d’appréciation de l’autorité administrative

En confirmant le refus d’autorisation, la Cour légitime la méthode d’évaluation de l’administration, fondée sur un faisceau d’indices, et réaffirme la prévalence de l’appréciation administrative de l’intérêt de l’enfant, sauf erreur manifeste.

A. La légitimation de la méthode du faisceau d’indices

Les requérants reprochaient à la commission de recours d’avoir ajouté une condition illégale en tenant compte de l’absence de participation à des compétitions. La Cour écarte ce moyen en opérant une distinction subtile mais décisive. Elle ne considère pas l’engagement en compétition comme un critère autonome, mais comme un élément participant « du faisceau d’indices nécessaires à l’appréciation de l’intensité de la pratique d’une activité ». Ce faisant, le juge valide le pouvoir de l’administration d’interpréter la notion non définie d’« activités sportives ou artistiques intensives ». L’absence de spécialisation dans une discipline ou l’absence de confrontation à la compétition deviennent des indicateurs pertinents, parmi d’autres, pour objectiver l’intensité et le sérieux de l’engagement sportif. Cette solution confère à l’administration une marge de manœuvre notable pour apprécier les situations au cas par cas, au-delà des seuls documents formels exigés par les textes.

B. La primauté de l’évaluation administrative de l’intérêt de l’enfant

L’intérêt supérieur de l’enfant, bien que rappelé comme finalité exclusive de la décision, est interprété à travers le prisme du respect des conditions légales de la dérogation. Les excellents résultats scolaires de l’enfant et son avance d’une année sur les programmes ne suffisent pas à caractériser une erreur manifeste d’appréciation. Pour la Cour, l’intérêt de l’enfant ne se confond pas avec la réussite d’un projet éducatif parental, aussi performant soit-il. L’analyse demeure centrée sur la question de savoir si les contraintes alléguées sont suffisamment fortes pour justifier une exception au principe de scolarisation. En l’absence d’une telle démonstration, la solution de droit commun est réputée la plus conforme à cet intérêt. Le contrôle du juge reste donc restreint à l’erreur manifeste, un seuil élevé qui protège l’appréciation de l’administration, dès lors que celle-ci s’est fondée sur des éléments factuels pertinents et n’a pas commis d’erreur de droit. L’arrêt confirme ainsi une approche où l’intérêt de l’enfant est avant tout servi par le cadre collectif de l’école, sauf circonstances exceptionnelles rigoureusement établies.

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