Cour d’appel administrative de Nancy, le 10 juillet 2025, n°24NC03006

Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’instruction en famille. En l’espèce, des parents avaient sollicité une telle autorisation pour leur enfant au titre de l’année scolaire 2024-2025, en se fondant sur l’existence d’une situation propre à celui-ci motivant leur projet éducatif. Le directeur académique des services de l’éducation nationale avait rejeté cette demande, décision confirmée par la commission académique saisie dans le cadre d’un recours administratif préalable obligatoire. Les parents ont alors saisi le tribunal administratif de Besançon, qui a rejeté leur requête tendant à l’annulation de ce refus. Ils ont interjeté appel de ce jugement. Devant la cour, les requérants soulevaient tant l’irrégularité du jugement de première instance et de la procédure administrative que des erreurs de droit et d’appréciation qu’aurait commises l’administration dans l’examen de leur dossier. Ils soutenaient notamment que l’autorité académique avait excédé ses pouvoirs en ajoutant des critères non prévus par la loi et en procédant à une appréciation erronée des faits. Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si l’administration, pour refuser une autorisation d’instruction en famille fondée sur l’existence d’une situation propre à l’enfant, peut exiger la démonstration d’une spécificité de cette situation comme un préalable à toute analyse de l’intérêt de l’enfant et du projet éducatif. La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’autorité administrative doit, dans un premier temps, vérifier l’existence d’une situation propre à l’enfant justifiant un projet éducatif particulier. Ce n’est que si cette condition est remplie que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération pour comparer les avantages et inconvénients des différents modes d’instruction. En l’absence de preuve d’une telle situation, le refus d’autorisation est légalement justifié, sans qu’il soit besoin pour l’administration d’opérer une balance des intérêts en présence.

L’arrêt précise ainsi la méthodologie que l’administration doit suivre pour examiner une demande d’instruction en famille, en consacrant un contrôle séquentiel et rigoureux (I). Ce faisant, il délivre une interprétation stricte des conditions dérogatoires, qui renforce la primauté du principe de scolarisation en établissement (II).

I. La consécration d’un contrôle administratif séquentiel du projet d’instruction en famille

La cour administrative d’appel, après avoir écarté les moyens de procédure jugés inopérants (A), valide le raisonnement de l’administration qui subordonne l’examen de l’intérêt de l’enfant à la reconnaissance préalable d’une situation particulière (B).

A. La purge des moyens de légalité externe

Les requérants contestaient la régularité de la composition de la commission académique de recours, notamment en raison de la participation de certains de ses membres par visioconférence. La cour écarte ce moyen en relevant d’abord que les conditions de quorum étaient remplies et que la procédure à distance était autorisée par les textes applicables. Surtout, elle applique une jurisprudence constante en rappelant qu’un vice de procédure « n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ». En l’absence de toute démonstration en ce sens par les requérants, la procédure est jugée régulière. Cette approche pragmatique permet au juge de ne pas s’attarder sur des vices formels sans incidence réelle pour se concentrer sur l’examen au fond du litige.

De même, les critiques dirigées contre le jugement de première instance, tenant à une prétendue erreur sur l’intensité du contrôle ou sur la valeur normative des textes appliqués, sont déclarées inopérantes. Par l’effet dévolutif de l’appel, il appartient en effet au juge d’appel de se prononcer directement sur la légalité de la décision administrative contestée, et non d’apprécier la qualité des motifs retenus par les premiers juges. Cette solution classique confirme que le débat en appel se cristallise sur la décision administrative initiale, dont la cour doit examiner le bien-fondé au regard des moyens soulevés par les parties.

B. La confirmation d’une appréciation en deux temps de la demande dérogatoire

Le cœur de l’arrêt réside dans la validation de la méthode d’analyse employée par la commission académique. Les parents reprochaient à celle-ci d’avoir commis une erreur de droit en exigeant la preuve d’une « situation propre à l’enfant nécessitant un projet éducatif spécifique » et en ne procédant pas à une balance des avantages et inconvénients entre scolarisation et instruction en famille. La cour réfute cette argumentation en décomposant le raisonnement que doit tenir l’administration. Elle s’appuie sur l’article L. 131-5 du code de l’éducation, interprété à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 2021. Il en ressort que la démonstration d’une situation propre à l’enfant constitue un prérequis.

La cour entérine ainsi une logique séquentielle. Dans un premier temps, l’administration doit contrôler si la demande « expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille ». Si cette condition de fond n’est pas remplie, l’examen s’arrête. C’est seulement si cette première étape est franchie que l’administration doit, dans un second temps, opérer une mise en balance pour déterminer le mode d’instruction le plus conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. L’arrêt est sur ce point particulièrement clair, précisant que cet intérêt « n’entre en considération que si l’existence de la situation propre est avérée ». En jugeant que la commission n’a pas commis d’erreur de droit en procédant de la sorte, la cour fait de l’existence d’une situation propre non pas un simple élément d’appréciation, mais une condition préalable et autonome.

Cette structuration du contrôle administratif conduit logiquement à une interprétation stricte des éléments pouvant constituer une telle situation, ce qui ne manque pas de renforcer le caractère exceptionnel de la dérogation.

II. Une interprétation restrictive de la notion de « situation propre à l’enfant » au service du principe de scolarisation

En définissant ce qui ne relève pas d’une situation propre, la cour adopte une conception objective de cette notion (A), dont la finalité est de garantir la portée du principe de scolarisation obligatoire en établissement (B).

A. Le rejet d’une conception subjective de la situation de l’enfant

La cour administrative d’appel examine les arguments avancés par les parents pour justifier leur demande et les juge insuffisants pour caractériser une situation propre. Elle précise que « l’antériorité d’une instruction en famille même en présence d’un contrôle pédagogique positif ne suffit pas à caractériser une situation propre à l’enfant ». De même, le projet de la famille de réaliser des visites et des voyages est écarté, au motif que ces activités peuvent se tenir durant les temps libres et les vacances scolaires. Ce faisant, la cour signifie que la « situation propre » ne saurait découler des seuls choix de vie des parents ou de leurs convictions pédagogiques. Les éléments avancés doivent être objectivement et intrinsèquement liés aux besoins spécifiques de l’enfant, qui le distingueraient de la généralité des enfants de son âge.

En l’espèce, la cour constate qu’« aucun des besoins fondamentaux A… qu’ils soient physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ne différent de ceux des enfants de son âge ». Elle valide donc l’appréciation de l’administration selon laquelle l’établissement scolaire est en mesure de répondre à ces besoins. Cette approche objective de la situation de l’enfant a pour effet de limiter considérablement la marge d’appréciation des familles. L’existence d’un projet éducatif, fût-il détaillé et structuré, ne peut suffire si la condition première, attachée à la situation de l’enfant lui-même, n’est pas établie de manière circonstanciée.

B. La portée renforcée du principe de scolarisation en établissement

En validant une grille d’analyse aussi stricte, l’arrêt s’inscrit pleinement dans l’esprit de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui a transformé un régime de liberté déclarative en un régime d’autorisation dérogatoire. L’objectif du législateur était de faire de la scolarisation en établissement le principe sans équivoque, et de l’instruction en famille une exception strictement encadrée. La présente décision illustre parfaitement la traduction jurisprudentielle de cette volonté politique. En faisant de la « situation propre à l’enfant » une porte d’entrée étroite, le juge administratif ferme la voie à des interprétations qui videraient la réforme de sa substance.

La solution retenue a une portée significative pour les futures demandes. Elle confirme que les parents souhaitant instruire leur enfant en famille sur ce fondement ne peuvent se contenter de présenter un projet pédagogique alternatif. Ils doivent avant tout apporter la preuve objective et étayée que la scolarisation en établissement ne serait pas, en raison d’une situation particulière à leur enfant, la solution la plus adaptée. En estimant que le projet des requérants était « très succinct », « non personnalisé » et qu’il ne précisait pas « les modalités d’acquisition du socle commun », la cour renforce l’idée que même si la condition préalable était remplie, le projet éducatif lui-même fait l’objet d’un contrôle exigeant. La décision commentée constitue ainsi une nouvelle pierre à l’édifice d’un droit de l’instruction en famille où la liberté de choix des parents s’efface nettement derrière le principe de scolarisation en établissement, érigé en modalité de droit commun de l’éducation.

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Hassan KOHEN
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