Cour d’appel administrative de Nancy, le 10 juillet 2025, n°24NC03079

Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a précisé les contours du droit d’être entendu et l’étendue de l’examen de la situation personnelle d’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. En l’espèce, un ressortissant de la République démocratique du Congo, entré en France en 2022, a vu sa demande d’asile définitivement rejetée. Postérieurement à l’introduction de sa demande mais avant la décision d’éloignement, il est devenu le père d’un enfant français, né de sa relation avec une ressortissante française. La préfète du Bas-Rhin, sans que cette nouvelle situation familiale ne soit portée à sa connaissance, a pris à son encontre un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français. L’étranger a saisi le tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté sa demande d’annulation de cette décision. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment une violation de son droit d’être entendu avant l’édiction de la mesure d’éloignement et une méconnaissance de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il revenait donc à la cour de déterminer si une autorité administrative méconnaît le droit d’être entendu en ne recueillant pas les observations d’un étranger avant de prononcer une obligation de quitter le territoire français, lorsque ce dernier, après le rejet de sa demande d’asile, a omis de porter à sa connaissance l’existence d’une circonstance nouvelle relative à sa vie privée et familiale. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que les garanties procédurales offertes au cours de la procédure d’asile satisfont à l’exigence du droit d’être entendu et qu’il incombait à l’intéressé d’informer l’administration de sa nouvelle situation.

L’arrêt conforte une conception pragmatique des garanties procédurales encadrant l’édiction d’une obligation de quitter le territoire français (I), ce qui conduit à une appréciation rigoureuse de la situation de l’étranger au regard de ses droits fondamentaux (II).

I. Le cadre procédural consolidé de la mesure d’éloignement

La cour administrative d’appel confirme que le respect des droits de la défense de l’étranger ne se traduit pas par une audition systématique avant la notification d’une obligation de quitter le territoire français (A), et rappelle par ailleurs le périmètre limité de l’obligation d’examen qui pèse sur l’administration (B).

A. Un droit d’être entendu considéré comme satisfait par la procédure d’asile

La cour rappelle avec force que le droit d’être entendu, principe général du droit de l’Union européenne, n’impose pas à l’autorité administrative une obligation d’entendre spécifiquement l’étranger avant l’édiction d’une décision de retour. Elle s’appuie sur une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle ce droit « n’implique toutefois pas que l’administration ait l’obligation de mettre l’intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l’obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu’il a pu être entendu sur l’irrégularité du séjour ou la perspective de l’éloignement ». En effet, le juge considère que la procédure de demande d’asile constitue en elle-même le cadre dans lequel l’étranger a la possibilité de faire valoir l’ensemble des éléments pertinents de sa situation. En sollicitant une protection internationale, le demandeur ne peut ignorer qu’un rejet définitif l’expose à une mesure d’éloignement.

Cette solution place la responsabilité de l’information sur l’étranger, qui doit se montrer diligent en communiquant spontanément à l’autorité préfectorale toute circonstance nouvelle susceptible d’influer sur son droit au séjour. La cour précise à cet égard que la communication d’un élément, telle la naissance d’un enfant, devant la Cour nationale du droit d’asile, juridiction qui statue sur le droit à une protection internationale, ne vaut pas information de l’autorité administrative compétente en matière de séjour. La charge de la preuve d’une telle démarche informative incombe donc entièrement au requérant. L’absence de justification par ce dernier de s’être prévalu de sa paternité auprès de la préfecture conduit ainsi logiquement à écarter le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu.

B. Une obligation d’examen de la situation circonscrite aux informations détenues

La décision commentée réaffirme également le principe selon lequel l’administration n’est tenue de procéder à l’examen de la situation d’un étranger qu’au vu des éléments dont elle dispose dans son dossier. L’article L. 613-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose bien à l’autorité préfectorale de vérifier le droit au séjour de l’intéressé avant de prendre une mesure d’éloignement, mais cette vérification s’opère sur la base des informations en sa possession. La cour juge que la circonstance de la naissance de l’enfant français « n’était pas au nombre des informations en possession de la préfète ».

Par conséquent, le moyen tiré d’un défaut d’examen de sa situation est écarté, car l’administration ne peut se voir reprocher d’avoir ignoré un fait qu’il appartenait à l’administré de lui notifier. De même, la cour souligne que la préfète n’avait pas l’obligation de rechercher si l’étranger pouvait bénéficier d’un titre de séjour en qualité de parent d’enfant français, dès lors qu’aucune demande n’avait été formulée en ce sens. Cette approche renforce l’idée que la procédure administrative n’est pas de nature purement inquisitoire ; elle repose sur un dialogue dans lequel l’administré a un rôle actif à jouer en présentant une demande formelle et en fournissant les justificatifs nécessaires à son instruction. L’omission de l’étranger le prive ainsi de la possibilité d’invoquer utilement une irrégularité procédurale à ce titre.

II. L’appréciation restrictive de l’atteinte aux droits fondamentaux

Cette application rigoureuse des règles de procédure aboutit à une analyse stricte de la proportionnalité de la mesure d’éloignement, que ce soit au regard du droit à une vie privée et familiale (A) ou de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).

A. La mise en balance sévère du droit au respect de la vie privée et familiale

La cour procède à un contrôle de proportionnalité de l’atteinte portée par l’obligation de quitter le territoire français au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Elle met en balance, d’un côté, la situation personnelle de l’intéressé et, de l’autre, les objectifs de la décision, à savoir la maîtrise des flux migratoires. Plusieurs éléments factuels emportent sa conviction quant au caractère proportionné de l’ingérence. Elle relève ainsi la date d’entrée récente de l’étranger, la brièveté de la communauté de vie alléguée avec la mère de son enfant et l’absence de preuve de sa contribution effective à l’entretien et à l’éducation de ce dernier.

De surcroît, la cour prend en compte l’existence d’attaches familiales de l’étranger hors de France, notamment la présence de plusieurs autres enfants dans son pays d’origine ou dans un pays tiers. Elle en conclut que, « compte tenu de la durée et des conditions du séjour [de l’intéressé] en France, comme de sa situation personnelle et familiale et hors de France », la décision préfectorale ne constitue pas une atteinte disproportionnée. Cette motivation illustre l’importance pour l’étranger de pouvoir justifier d’une intégration réelle et de l’effectivité des liens familiaux qu’il invoque. La simple existence d’un lien de filiation avec un enfant français ne suffit pas à faire obstacle, par principe, à une mesure d’éloignement.

B. Une prise en compte conditionnelle de l’intérêt supérieur de l’enfant

Enfin, la cour examine la conformité de la décision attaquée avec l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui érige l’intérêt supérieur de l’enfant en « considération primordiale ». Si elle reconnaît que ces stipulations sont d’effet direct et s’appliquent aux décisions qui affectent, même indirectement, la situation d’un mineur, son analyse des faits la conduit à écarter leur méconnaissance. Le raisonnement du juge s’articule autour du même constat que celui opéré sur le terrain de l’article 8 de la Convention européenne : le requérant « ne justifie pas contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de cet enfant ».

Cette absence de preuve d’une implication concrète dans la vie de l’enfant est déterminante. Elle amène la cour à considérer que la mesure d’éloignement ne porte pas une atteinte d’une gravité telle à l’intérêt supérieur de ce dernier qu’elle devrait être annulée. Elle ajoute qu’il est loisible à l’étranger de solliciter un visa afin de revenir en France de manière régulière pour y exercer ses droits parentaux, le retrait de l’interdiction de retour sur le territoire français lui ouvrant cette possibilité. Cette approche, si elle est juridiquement fondée, démontre que l’intérêt de l’enfant, bien que primordial, n’est pas absolu et est apprécié au regard du comportement du parent et de la réalité de la relation parentale.

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