Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur la légalité d’une mesure de suspension de fonctions et de traitement prise à l’encontre d’un agent hospitalier n’ayant pas satisfait à l’obligation vaccinale contre la Covid-19. En l’espèce, une secrétaire médicale employée par un centre hospitalier public a fait l’objet, le 21 septembre 2021, d’une décision de suspension de ses fonctions et d’interruption du versement de sa rémunération, au motif qu’elle n’avait pas justifié de son statut vaccinal exigé par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande par une ordonnance du 11 mars 2022. La cour administrative d’appel de Nancy, saisie en appel, a annulé cette ordonnance pour un motif de régularité par une décision du 10 mai 2023 mais a néanmoins rejeté au fond la requête de l’agente. Le Conseil d’État, statuant sur le pourvoi de cette dernière par une décision du 20 décembre 2024, a cassé l’arrêt d’appel et a renvoyé l’affaire devant la même cour pour qu’elle soit rejugée.
Devant la juridiction de renvoi, la requérante soutenait principalement que la mesure de suspension constituait une sanction déguisée, qu’elle était entachée d’incompétence et de divers vices de procédure, et qu’elle portait une atteinte disproportionnée à plusieurs de ses droits et libertés fondamentaux. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si une mesure de suspension de fonctions, prise sur le fondement de la loi du 5 août 2021, pouvait être légalement édictée sans les garanties procédurales attachées aux mesures de police ou aux sanctions, et si elle constituait une ingérence justifiée et proportionnée au regard des droits et libertés fondamentaux invoqués par l’agent. La cour administrative d’appel y répond par l’affirmative en rejetant l’ensemble des moyens soulevés. Elle confirme la pleine légalité de la décision de suspension, la qualifiant de mesure sui generis découlant d’une condition nouvelle d’exercice professionnel (I), tout en validant sa conformité aux exigences conventionnelles par une mise en balance avec l’objectif de protection de la santé publique (II).
I. La consécration d’une mesure sui generis, conséquence d’une condition d’exercice professionnel
La cour administrative d’appel s’attache d’abord à définir la nature exacte de la mesure de suspension imposée par la loi sanitaire, ce qui lui permet de valider à la fois sa qualification juridique spécifique (A) et le régime procédural allégé qui en découle (B).
A. Une qualification exclusive de toute nature disciplinaire ou de police
La juridiction écarte fermement la qualification de sanction disciplinaire ou de mesure de police administrative que la requérante tentait de lui attribuer. Elle juge que la suspension n’est pas une punition pour une faute, mais la simple application d’une condition légale nouvelle pour exercer une activité professionnelle. Selon l’arrêt, cette mesure « n’a dès lors pas le caractère d’une sanction administrative nécessitant le respect des garanties procédurales attachées à la procédure disciplinaire ». En la définissant comme « la conséquence du constat que le travailleur ne remplit pas une condition à laquelle est subordonnée l’exercice de son activité professionnelle », la cour lui confère un statut propre, distinct des catégories traditionnelles du droit de la fonction publique. Cette analyse s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’État qui avait déjà considéré que cette suspension n’était pas une mesure prise en considération de la personne. La décision commentée refuse ainsi d’assimiler l’interdiction d’exercer à une mesure conservatoire ou à une sanction déguisée, la présentant plutôt comme un mécanisme automatique déclenché par le non-respect d’une exigence objective posée par le législateur.
B. Un régime procédural allégé et une motivation factuelle suffisante
Logiquement, de cette qualification découle un régime procédural simplifié, que la cour estime avoir été respecté en l’espèce. Le moyen tiré du défaut de procédure contradictoire préalable est rejeté au motif que les dispositions de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration ne s’appliquent pas « aux relations entre l’administration et ses agents ». De même, la cour considère que la motivation de la décision attaquée, bien que succincte, est suffisante. Elle relève que l’acte litigieux « vise notamment la loi du 13 juillet 1983 ainsi que la loi du 5 août 2021 » et « mentionne, au titre des considérations de fait, que l’intéressée n’a pas produit un justificatif de vaccination ». Une telle motivation est jugée adéquate car elle permet à l’agent de comprendre les fondements juridiques et factuels de la mesure. En outre, la cour précise qu’il incombait à l’agent de présenter les justificatifs requis et non à l’employeur de mener des investigations, le « seul constat de l’absence de production » suffisant à fonder légalement la suspension.
II. La validation de la mesure au regard des droits et libertés fondamentaux
Après avoir défini la nature juridique et le régime de la mesure contestée, la cour administrative d’appel s’attache à contrôler sa compatibilité avec les normes supérieures. Elle justifie l’atteinte portée aux droits fondamentaux par l’objectif de santé publique (A) avant de rejeter les autres moyens d’inconventionnalité et d’inconstitutionnalité par une application stricte de son office (B).
A. La justification de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée par l’objectif de santé publique
Le moyen principal de la requérante portait sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui protège notamment le droit à l’intégrité physique. La cour reconnaît qu’une vaccination obligatoire constitue bien une ingérence dans ce droit. Toutefois, elle procède à un contrôle de proportionnalité pour déterminer si cette ingérence est justifiée. Elle estime que la mesure est prévue par la loi, poursuit un but légitime de protection de la santé publique et est nécessaire dans une société démocratique. Pour la cour, « l’obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé ne méconnaît pas le droit à l’intégrité physique garanti par la Convention européenne ». Elle appuie son raisonnement sur la situation pandémique, la vulnérabilité particulière des personnes accueillies dans les établissements de santé, et le caractère ciblé de l’obligation. Le préjudice financier subi par l’agent n’est pas jugé suffisant pour renverser cette balance, d’autant que l’intéressée pouvait mettre fin à la suspension à tout moment en régularisant sa situation.
B. Le rejet pragmatique des autres moyens fondés sur les normes supralégislatives
La cour écarte également les autres griefs d’inconventionnalité et d’inconstitutionnalité par une application stricte de l’office du juge administratif. Les moyens tirés de l’inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 sont jugés irrecevables, la cour rappelant qu’il « n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir de se prononcer sur des moyens relatifs à la constitutionnalité de dispositions législatives » en l’absence de question prioritaire de constitutionnalité. De même, les moyens fondés sur d’autres stipulations de la Convention européenne sont rejetés comme inopérants. L’atteinte au droit à la vie (article 2) est écartée au motif que les vaccins disposaient d’une autorisation de mise sur le marché et n’étaient pas expérimentaux. Le moyen tiré de l’atteinte à la liberté et à la sûreté (article 5) est jugé hors de propos, une obligation vaccinale n’entrant pas dans le champ d’application de cet article. Enfin, la discrimination prohibée par l’article 14 n’est pas caractérisée, la différence de traitement entre agents vaccinés et non vaccinés reposant sur une justification objective et raisonnable liée à la protection de la santé publique.