Cour d’appel administrative de Nancy, le 10 juillet 2025, n°24NC03166

La Cour administrative d’appel de Nancy, par une décision rendue le 10 juillet 2025, examine la légalité de la suspension d’un agent public hospitalier refusant de se soumettre à l’obligation vaccinale contre le Covid-19. Cette affaire soulève des interrogations majeures sur la régularité des procédures de rejet par ordonnance ainsi que sur la portée des libertés individuelles face aux impératifs sanitaires.

Un adjoint administratif exerçant ses fonctions au sein d’un établissement public de santé depuis 1982 a été suspendu de ses fonctions le 15 septembre 2021. Cette mesure, accompagnée de l’interruption du versement de sa rémunération, faisait suite à l’absence de présentation d’un justificatif vaccinal ou d’une contre-indication médicale. Par une ordonnance du 11 mars 2022, le président de la deuxième chambre du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande d’annulation. Après une première annulation par la juridiction d’appel puis une cassation par le Conseil d’État le 20 décembre 2024, l’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Nancy. La requérante soutient notamment que sa fonction administrative l’exclut du champ d’application de l’obligation vaccinale et invoque une atteinte disproportionnée à sa vie privée.

La question posée aux juges consiste à savoir si une suspension pour défaut de vaccination constitue une sanction disciplinaire et si elle respecte les exigences conventionnelles de protection de l’intégrité physique. La Cour administrative d’appel de Nancy annule l’ordonnance de première instance pour irrégularité procédurale mais rejette la demande au fond en confirmant la validité de la mesure de suspension.

I. La censure de l’irrégularité procédurale et la confirmation de l’obligation vaccinale

A. Le strict encadrement du rejet par ordonnance du juge unique

La Cour administrative d’appel de Nancy rappelle que le recours à l’ordonnance pour rejeter une requête est strictement limité par les dispositions du code de justice administrative. L’article R. 222-1 permet au président de formation de jugement de rejeter les requêtes ne comportant que des moyens inopérants ou manifestement insusceptibles de prospérer. En l’espèce, les moyens tirés de l’insuffisance de motivation et de la méconnaissance de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’étaient pas manifestement infondés. Ils étaient assortis de faits suffisants pour permettre d’en apprécier le bien-fondé, ce qui imposait un examen par une formation de jugement collégiale.

Dès lors, le magistrat seul ne pouvait légalement écarter ces prétentions sans méconnaître les règles de compétence juridictionnelle fixées par les textes en vigueur. L’annulation de l’ordonnance du 11 mars 2022 est donc prononcée afin de garantir le droit des justiciables à un examen approfondi de leurs moyens de légalité. Cette décision souligne l’importance du principe de collégialité lorsque le litige présente des questions juridiques sérieuses nécessitant un débat contradictoire complet devant les juges du fond.

B. L’application générale de l’obligation vaccinale aux personnels hospitaliers

Le juge administratif précise que l’obligation vaccinale instituée par la loi du 5 août 2021 s’applique à toute personne exerçant son activité dans un établissement de santé. Les dispositions législatives visent les personnels travaillant régulièrement dans ces locaux, indépendamment de la nature exacte de leurs fonctions ou de leur contact direct avec les patients. Un adjoint administratif, bien que n’exerçant pas de soins, demeure soumis à cette exigence légale dès lors qu’il est employé par un établissement public de santé. L’argumentation de l’agent tendant à se soustraire à ce dispositif en raison de son statut purement administratif est donc juridiquement inopérante.

L’administration se trouve ainsi investie du pouvoir de contrôler le statut vaccinal de l’ensemble de ses collaborateurs pour assurer la sécurité sanitaire globale au sein de l’institution. Cette compétence s’exerce de manière automatique dès que le constat de l’absence de justificatif est établi par l’autorité investie du pouvoir de nomination ou son délégataire. La Cour confirme ainsi que le champ d’application de la loi est défini par le lieu d’exercice professionnel plutôt que par la technicité des missions accomplies.

II. La qualification juridique de la suspension et sa conformité conventionnelle

A. Une mesure administrative de constat exclusive de la matière disciplinaire

La décision de suspension pour défaut de vaccination n’est pas qualifiée de sanction disciplinaire par la Cour administrative d’appel de Nancy mais de mesure de gestion. Elle constitue la conséquence directe du « constat que le travailleur ne remplit pas une condition à laquelle est subordonnée l’exercice de son activité professionnelle ». Comme ce n’est pas une mesure prise en considération de la personne, elle n’impose pas le respect d’une procédure contradictoire préalable ou des garanties disciplinaires. L’interruption du traitement est le corollaire nécessaire de l’absence de service fait résultant de l’interdiction légale d’exercer les fonctions professionnelles.

Toutefois, une telle mesure doit être motivée car elle restreint l’exercice des libertés publiques et prive l’intéressé d’un droit garanti par son statut d’agent public. En l’espèce, la décision visait précisément les textes applicables et mentionnait l’absence de production des justificatifs requis, satisfaisant ainsi aux exigences de forme imposées à l’administration. Le juge écarte également le moyen tiré du secret médical puisque l’employeur n’accède qu’à la seule information relative à la satisfaction de l’obligation vaccinale. Cette analyse clarifie le régime juridique de la suspension en la distinguant des mesures de suspension à titre conservatoire prévues par le droit de la fonction publique.

B. La proportionnalité de l’ingérence face aux impératifs de santé publique

L’obligation vaccinale constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et à l’intégrité physique garanti par l’article 8 de la convention européenne. Cependant, la Cour juge que cette ingérence est proportionnée car elle est justifiée par la nécessité de protéger les personnes vulnérables accueillies dans les établissements de soins. L’objectif de santé publique poursuivi par le législateur l’emporte sur les réticences individuelles, d’autant que le dispositif prévoit des exceptions pour les contre-indications médicales avérées. Le rapport entre le risque vaccinal et le bénéfice collectif attendu est estimé suffisant pour valider la restriction imposée aux agents publics hospitaliers.

La mesure de suspension n’est pas indéfinie puisque l’agent peut y mettre fin à tout moment en régularisant sa situation vaccinale conformément aux exigences légales. Le préjudice financier invoqué, bien que réel, ne suffit pas à caractériser une violation disproportionnée des engagements internationaux de la France en matière de droits de l’homme. La juridiction conclut ainsi à la conventionnalité du dispositif, s’inscrivant dans une jurisprudence constante protégeant la santé collective en période de crise épidémique grave. La demande d’annulation est par conséquent rejetée au terme d’un contrôle de proportionnalité rigoureux exercé sur les modalités d’application de la loi.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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