Cour d’appel administrative de Nancy, le 11 février 2025, n°23NC02361

Par un arrêt en date du 11 février 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions du refus des conditions matérielles d’accueil à un demandeur d’asile. Cette décision apporte des précisions sur les obligations de l’administration lorsqu’elle est amenée à réexaminer une situation après une première annulation contentieuse, ainsi que sur l’appréciation du caractère tardif d’une demande d’asile.

En l’espèce, un ressortissant étranger est entré en France en 2012 et y a déposé une première demande d’asile. En application de la procédure Dublin, il a été transféré vers l’Espagne en 2013. Il est revenu en France de manière irrégulière la même année, mais n’a présenté une nouvelle demande d’asile qu’en avril 2016, soit près de trois ans après son retour sur le territoire. L’Office français de l’immigration et de l’intégration lui a notifié une première décision de refus du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, au motif du caractère tardif de sa demande. Saisi par le demandeur, le tribunal administratif a annulé cette décision en 2020 au motif que l’intéressé n’avait pas bénéficié de l’entretien d’évaluation de sa vulnérabilité et a enjoint à l’office de réexaminer sa situation. Après avoir procédé à cet entretien, l’office a pris une nouvelle décision de refus en janvier 2021, fondée sur le même motif de tardiveté. Le demandeur a de nouveau saisi le tribunal administratif, qui a rejeté sa demande par un jugement de janvier 2023. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment l’irrégularité de la procédure de réexamen et contestant l’appréciation de la tardiveté de sa demande.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel si, d’une part, l’administration tenue de réexaminer une situation à la suite d’une annulation pour vice de procédure doit reprendre l’intégralité des formalités, et d’autre part, si un délai de près de trois ans entre le retour irrégulier en France et le dépôt d’une nouvelle demande d’asile constitue un motif légitime de refus des conditions matérielles d’accueil.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’administration n’est pas tenue de reprendre l’intégralité d’une procédure qui n’était pas viciée dans son ensemble lorsque le réexamen fait suite à une annulation contentieuse ciblée. Elle confirme également que le dépôt d’une demande d’asile bien au-delà du délai légal de cent vingt jours après l’entrée en France, sans motif légitime, justifie le refus du bénéfice des conditions matérielles d’accueil. La décision clarifie ainsi l’étendue des obligations procédurales de l’administration après une annulation partielle (I), avant de réaffirmer avec fermeté la sanction attachée au dépôt tardif d’une demande d’asile (II).

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I. La validation d’une procédure de réexamen pragmatique

La cour administrative d’appel valide le procédé suivi par l’office pour réexaminer la situation du requérant après la première annulation. Elle considère que l’administration peut se limiter à purger le vice de procédure sanctionné par le premier jugement, sans avoir à reprendre l’ensemble des formalités initiales. Cette approche consacre une économie de la procédure contradictoire en l’absence de circonstances nouvelles (A) et conduit à neutraliser les vices procéduraux qui n’ont pas eu d’incidence concrète sur la décision (B).

A. L’économie de la procédure contradictoire en l’absence de circonstances nouvelles

La cour estime que l’office n’était pas contraint d’inviter une nouvelle fois le requérant à présenter ses observations avant de prendre sa seconde décision de refus. Le juge relève en effet que la première annulation par le tribunal administratif était motivée uniquement par l’absence d’entretien de vulnérabilité, et non par un défaut du débat contradictoire initial. Dans la mesure où le motif de fond du refus, à savoir la tardiveté de la demande, demeurait identique et qu’aucun changement de fait ou de droit n’était invoqué, la garantie du contradictoire avait été suffisamment respectée lors de la première procédure.

La cour énonce ainsi que « l’administration n’avait aucune obligation de reprendre, en l’absence de changement de circonstances de droit ou de fait, l’intégralité de la procédure qui n’était pas viciée ». Cette solution, conforme à un principe de bonne administration de la justice, évite d’imposer à l’administration la réitération de formalités qui ne se justifie pas, dès lors que le vice sanctionné a été corrigé et que les termes du litige au fond n’ont pas évolué. La procédure administrative est ainsi vue non comme un rituel intangible, mais comme un ensemble de garanties dont la répétition n’est nécessaire qu’en cas de modification substantielle des données du dossier.

B. La neutralisation des vices de procédure sans incidence sur la décision

La cour applique également une lecture pragmatique des autres irrégularités procédurales soulevées par le requérant. Concernant l’entretien de vulnérabilité, elle constate qu’il a bien été réalisé en exécution du premier jugement, purgeant ainsi le vice initial. Elle écarte par ailleurs l’argument tiré de l’état de santé du requérant en soulignant qu’il n’a fourni aucun document médical probant et que les difficultés alléguées étaient antérieures à l’enregistrement de sa nouvelle demande.

De même, s’agissant du défaut d’information supposé sur les modalités de refus ou de réouverture des conditions matérielles d’accueil, le juge d’appel le considère sans portée. Il applique la jurisprudence selon laquelle un vice de procédure n’entache une décision d’illégalité que s’il a privé l’intéressé d’une garantie ou a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision. Or, en l’espèce, le refus étant fondé sur le critère objectif de la tardiveté, la cour juge que « cette circonstance ne saurait en tout état de cause être regardée, en l’espèce, comme ayant privé le requérant d’une garantie ou comme étant de nature à avoir exercé une influence sur le sens de la décision litigieuse ». Cette approche privilégie la substance sur le formalisme, en refusant d’annuler une décision pour un vice qui n’a eu aucune conséquence pratique pour l’administré.

II. La confirmation du caractère tardif de la demande comme motif de refus

Au-delà des aspects procéduraux, la cour confirme sans équivoque la légalité du motif de fond retenu par l’office. Pour ce faire, elle procède à une qualification rigoureuse de la demande d’asile pour déterminer le point de départ du délai de dépôt (A), avant de constater l’absence de motif légitime pouvant justifier le retard accumulé (B).

A. La qualification de la demande d’asile et le point de départ du délai

Le requérant soutenait que sa demande d’asile n’était pas tardive. La cour écarte cette argumentation en procédant à une analyse chronologique précise de sa situation. Elle rappelle que la première demande de 2012 a été clôturée par le transfert de l’intéressé en Espagne. Par conséquent, la demande enregistrée en France en 2016 ne peut être qu’une nouvelle demande, et non la continuation de la première.

Dès lors, le délai de cent vingt jours prévu par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour déposer une demande après une entrée irrégulière a commencé à courir à partir de son retour en France en juin 2013. Le dépôt de la demande en avril 2016 est donc intervenu bien après l’expiration de ce délai. La cour précise que « Cette demande d’asile, qui a été enregistrée au guichet unique le 15 avril 2016, (…) doit ainsi être regardée comme une nouvelle demande d’asile qui devait être déposée dans le délai de cent vingt jours suivant l’entrée de l’intéressé sur le territoire français. » Cette qualification est déterminante, car elle ancre le raisonnement de l’office sur une base factuelle et juridique solide, écartant toute confusion entre les différentes procédures engagées par le requérant.

B. L’absence de motif légitime justifiant le retard

Le code prévoit que le délai de cent vingt jours peut être dépassé en cas de « motif légitime ». L’appréciation de cette notion relève du pouvoir de l’administration, sous le contrôle du juge. En l’espèce, la cour constate non seulement l’absence d’un tel motif, mais relève que le requérant a lui-même fourni la preuve de son absence de diligence.

En effet, elle s’appuie sur un courrier dans lequel l’intéressé admet avoir délibérément attendu dix-huit mois sur les conseils d’un avocat avant de formaliser sa demande. Pour la cour, un tel choix stratégique ne saurait constituer un motif légitime. Elle souligne que « Le requérant qui a d’ailleurs explicitement mentionné dans un courrier du 7 juin 2016 avoir attendu, sur les conseils d’un avocat, dix-huit mois avant de solliciter de nouveau l’asile, ne justifie par aucun motif légitime le non-respect du délai légal. » Cette interprétation stricte de l’exception confirme que le bénéfice des conditions matérielles d’accueil est conditionné à une démarche active et diligente de la part du demandeur. La décision rappelle ainsi que les droits ouverts par la procédure d’asile sont la contrepartie d’obligations précises, au premier rang desquelles figure la célérité dans l’accomplissement des démarches.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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