Cour d’appel administrative de Nancy, le 11 mars 2025, n°23NC01580

Un récent arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 11 mars 2025 offre un éclaircissement sur la nature juridique des avertissements adressés par l’autorité préfectorale aux exploitants de débits de boissons. En l’espèce, à la suite d’une altercation survenue au sein d’un établissement, le préfet avait notifié à la société exploitante un acte intitulé « avertissement », fondé sur les dispositions du code de la santé publique. L’exploitant a formé un recours gracieux, lequel fut implicitement rejeté. Saisi par la société, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en annulation de l’acte préfectoral. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’avertissement était entaché d’erreurs de droit et d’appréciation, notamment quant à la caractérisation de l’état d’ivresse de sa clientèle. Se posait dès lors à la cour la question de savoir si un document, bien que qualifié d’avertissement par l’administration, constitue nécessairement une décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que l’acte en cause, se bornant à un simple rappel à la réglementation, était dépourvu d’effet juridique et ne constituait pas un acte faisant grief. Par conséquent, elle a jugé la demande d’annulation irrecevable.

La solution retenue par la cour repose sur une analyse pragmatique de la décision préfectorale, la distinguant des mesures coercitives prévues par les textes (I). Cette requalification détermine logiquement l’issue du litige, en opposant l’irrecevabilité du recours à l’encontre d’un acte qui ne modifie pas l’ordonnancement juridique (II).

I. La requalification de l’avertissement préfectoral en simple mesure d’information

La cour administrative d’appel procède à une analyse précise de la nature de l’acte contesté, dépassant sa simple dénomination pour en révéler la véritable substance. Elle s’attache à examiner la portée réelle de l’acte pour le distinguer des sanctions formellement prévues par la loi.

A. L’analyse de la portée réelle de l’acte litigieux

Le juge d’appel ne s’est pas arrêté à la qualification d’ « avertissement » donnée par le préfet à sa décision. Il a plutôt recherché si cet acte produisait des effets juridiques contraignants à l’encontre de l’administré. La cour relève ainsi que le préfet a « uniquement alerté la SARL Discomar qu’à défaut de se conformer strictement à la réglementation en vigueur, elle se verrait ‘dans l’obligation d’entamer une procédure de fermeture administrative' ». Cette formulation révèle que l’acte ne constitue pas en lui-même une sanction, mais une simple mise en garde préventive. En ne prononçant aucune mesure affectant directement la situation juridique de l’exploitant, l’acte s’apparente davantage à un rappel à la loi qu’à une décision exécutoire. La démarche du juge consiste donc à privilégier une approche matérielle de l’acte administratif, se concentrant sur son contenu et ses effets plutôt que sur sa forme.

B. La distinction avec les avertissements prévus par le code de la santé publique

L’article L. 3332-15 du code de la santé publique, visé dans l’acte préfectoral, prévoit l’avertissement dans deux hypothèses distinctes. Il peut s’agir d’une mesure préalable et obligatoire avant une décision de fermeture, ou d’une sanction se substituant à la fermeture. L’arrêt commenté met en lumière que l’acte litigieux n’entre dans aucune de ces deux catégories. Il n’est ni la première étape formelle d’une procédure de sanction, ni une sanction autonome. La cour souligne que l’acte, « alors même qu’il vise l’article L. 3332-15 du code de la santé publique (…), ne l’applique pas ». En opérant cette distinction, elle clarifie le régime juridique de l’avertissement administratif et circonscrit son champ d’application aux seules mesures ayant une portée contraignante. Tout rappel à la réglementation, même s’il est qualifié d’avertissement, n’acquiert pas pour autant la nature d’une décision susceptible de recours.

Cette requalification de l’acte emporte une conséquence procédurale déterminante quant à la recevabilité de la requête de la société exploitante.

II. L’irrecevabilité du recours, conséquence de l’absence d’acte faisant grief

En établissant que l’avertissement contesté n’avait pas de caractère décisoire, la cour en tire la conclusion logique sur le plan contentieux. La solution réaffirme une condition fondamentale de la recevabilité du recours pour excès de pouvoir, rappelant ainsi les principes directeurs du contentieux administratif.

A. L’affirmation du caractère non décisoire de l’acte

La conséquence directe de la requalification opérée par la cour est de dénier à l’acte tout caractère décisoire. Un acte faisant grief est une condition essentielle pour qu’un recours en annulation soit recevable. Il s’agit d’un acte qui modifie la situation juridique de son destinataire ou lui impose des obligations nouvelles. En l’espèce, la cour estime que la lettre du préfet ne fait qu’annoncer une éventuelle procédure future. Elle est donc « dépourvu d’effet juridique » et, par conséquent, « n’est pas susceptible de recours ». Cette solution est conforme à une jurisprudence constante qui écarte du prétoire les mesures préparatoires, les simples avis ou les vœux. Le juge administratif confirme ainsi son rôle de censeur des actes produisant des effets de droit, et non de toutes les communications émanant de l’administration.

B. La portée de la solution : un rappel à l’orthodoxie du contentieux administratif

Cette décision, bien que rendue dans un cas d’espèce précis, revêt une portée pédagogique importante. Elle rappelle aux administrés et à l’administration elle-même la distinction fondamentale entre un acte décisoire et une simple mesure d’information. Pour l’administration, cela souligne que la dénomination d’un acte ne suffit pas à lui conférer une nature juridique précise. Pour les justiciables, cela constitue un rappel que le recours pour excès de pouvoir est réservé aux seuls actes qui affectent leur situation juridique. En jugeant la fin de non-recevoir fondée, la cour évite de se prononcer sur le fond des arguments de la société, relatifs à l’appréciation des faits. Cette approche rigoureuse garantit la bonne administration de la justice en évitant l’engorgement des tribunaux par des recours dirigés contre des actes qui ne sont pas de véritables décisions.

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Hassan KOHEN
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