Cour d’appel administrative de Nancy, le 11 mars 2025, n°24NC00600

Par un arrêt en date du 11 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour sollicité sur le fondement de la vie privée et familiale, ainsi que sur l’étendue du contrôle exercé par le juge administratif en la matière. En l’espèce, deux ressortissants étrangers, parents de quatre enfants dont deux mineurs scolarisés sur le territoire national, résidaient en France depuis la fin de l’année 2016. Après le rejet de leurs demandes d’asile, ils ont sollicité leur admission au séjour en invoquant l’intensité de leurs liens personnels et familiaux en France, ainsi que leurs efforts d’intégration. Suite au silence gardé par l’administration préfectorale, valant décision implicite de rejet, les intéressés ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg. En cours d’instance, le préfet a pris des arrêtés explicites refusant les titres de séjour, assortis d’une obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif a rejeté l’ensemble de leurs demandes par un jugement du 7 décembre 2023, conduisant les requérants à interjeter appel. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si le refus d’autoriser le séjour, malgré une présence durable et des efforts d’intégration manifestes, portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés. La cour était également amenée à statuer sur la recevabilité de conclusions dirigées pour la première fois en appel contre les mesures d’éloignement. La juridiction d’appel a rejeté les requêtes. D’une part, elle a jugé irrecevables les conclusions de l’une des requérantes contre l’obligation de quitter le territoire, au motif qu’elles constituaient des conclusions nouvelles en appel. D’autre part, sur le fond, elle a estimé que, nonobstant les éléments d’intégration avancés, la situation de séjour irrégulier des intéressés justifiait les décisions de refus, lesquelles n’emportaient ni une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale, ni une méconnaissance de l’intérêt supérieur de leurs enfants. La décision de la cour se distingue d’abord par une application rigoureuse des règles de procédure qui circonscrit le périmètre du litige (I), avant de procéder à une appréciation concrète du droit au séjour qui conforte la marge d’appréciation de l’autorité administrative (II).

I. La délimitation procédurale du litige, une restriction de l’office du juge d’appel

La cour administrative d’appel opère une application stricte des règles de procédure contentieuse, conduisant d’une part à une irrecevabilité partielle des demandes (A) et, d’autre part, à un contrôle restreint des décisions accessoires (B).

A. L’irrecevabilité opposée aux conclusions nouvelles en appel

La cour rappelle qu’une demande d’annulation formée initialement contre un refus implicite de titre de séjour ne peut s’étendre aux mesures d’éloignement notifiées par une décision expresse ultérieure si ces dernières n’ont pas été contestées en première instance. Pour l’une des requérantes, la contestation de l’obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi n’a été formulée qu’au stade de l’appel. La cour qualifie logiquement ces prétentions de conclusions nouvelles, et les déclare, à ce titre, irrecevables. Elle précise que si la décision expresse de refus de séjour se substitue au refus implicite, « elle ne peut conduire à regarder cette demande comme étant également dirigée contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ». Cette position, conforme à une jurisprudence établie, garantit le respect du double degré de juridiction en interdisant qu’un litige soit porté pour la première fois devant le juge d’appel. Elle contraint ainsi les justiciables à une grande vigilance quant à l’étendue des actes administratifs qu’ils entendent contester devant le premier juge.

B. Le contrôle mécanique des décisions subséquentes à l’obligation de quitter le territoire

Concernant le requérant dont les conclusions étaient recevables dans leur totalité, la cour exerce un contrôle en cascade sur les décisions accompagnant le refus de séjour. La légalité de l’obligation de quitter le territoire est d’abord examinée. La cour écarte les moyens d’incompétence et d’insuffisance de motivation, rappelant que la décision portant obligation de quitter le territoire « n’a pas à faire l’objet d’une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour ». Une fois la légalité de cette mesure principale confirmée, le juge en déduit nécessairement celle des décisions accessoires. Ainsi, les contestations visant la décision octroyant un délai de départ volontaire et celle fixant le pays de destination sont rejetées par voie de conséquence. Le juge administratif confirme ici que ces mesures forment un bloc dont la validité dépend entièrement de la légalité du refus de séjour et de l’obligation de quitter le territoire qui en découle. L’analyse se concentre donc sur l’acte initial, les autres n’étant que son prolongement logique et nécessaire.

Après avoir ainsi rigoureusement cadré l’objet du litige, la cour s’est livrée à un examen au fond des refus de titre de séjour, confirmant la solution retenue par les premiers juges.

II. L’appréciation concrète du droit au respect de la vie privée et familiale, une confirmation du pouvoir d’appréciation préfectoral

L’arrêt illustre la méthode du bilan employée par le juge pour évaluer l’atteinte au droit à la vie privée et familiale. Il met en balance les efforts d’intégration des étrangers avec leur situation administrative (A), tout en examinant la situation des enfants au regard de la possibilité de reconstituer la cellule familiale dans le pays d’origine (B).

A. La prévalence de la situation de séjour irrégulier sur les efforts d’intégration

La cour prend soin de relever l’ensemble des éléments attestant des efforts d’intégration du couple : une présence en France depuis près de sept ans, la scolarisation des enfants, le suivi de cours de français, des activités bénévoles et des promesses d’embauche. Toutefois, elle conclut que ces faits ne suffisent pas à rendre le refus de séjour disproportionné. L’arrêt met en exergue la fragilité de leur situation administrative, en soulignant qu’ils « se sont maintenus irrégulièrement en France », et relève l’existence d’une précédente mesure d’éloignement pour l’un des conjoints. La cour estime que « si ces éléments démontrent les efforts des intéressés pour s’intégrer dans la société française, ils sont toutefois insuffisants pour regarder le refus du titre de séjour comme portant une atteinte à leur vie privée et familiale ». Cette analyse confirme une ligne jurisprudentielle constante selon laquelle l’ancienneté du séjour et l’intégration sociale ne créent pas un droit automatique à la régularisation, l’autorité préfectorale conservant une large marge d’appréciation pour opposer la précarité du droit au séjour.

B. L’intérêt supérieur de l’enfant apprécié au prisme de la reconstitution de la cellule familiale

Face au moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, la cour procède à une analyse pragmatique. Elle reconnaît la scolarisation des deux enfants mineurs, mais considère que cette seule circonstance « ne suffit pas à établir qu’un retour dans leur pays d’origine, où ils pourront poursuivre leur scolarité, porterait atteinte à leur intérêt supérieur ». L’élément décisif du raisonnement réside dans le fait que les requérants n’apportent aucune preuve d’une impossibilité de reconstituer la cellule familiale dans leur pays. En l’absence d’obstacles avérés à un tel retour, le juge estime que l’intérêt des enfants n’est pas méconnu par une décision qui implique un départ du territoire français avec leurs parents. Cette approche, classique en contentieux des étrangers, subordonne l’intérêt de l’enfant à la stabilité du séjour de ses parents, sauf circonstances exceptionnelles qui rendraient le retour impossible ou particulièrement préjudiciable, lesquelles n’étaient pas établies en l’espèce.

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Hassan KOHEN
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