Cour d’appel administrative de Nancy, le 11 mars 2025, n°24NC01916

Par un arrêt en date du 11 mars 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance. En l’espèce, un individu ayant fait l’objet de plusieurs condamnations, dont une pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, s’est vu imposer par le ministre de l’intérieur et des outre-mer, à sa libération, un arrêté renouvelant une telle mesure pour une durée de trois mois. Cette décision administrative restreignait sa liberté de circulation à un périmètre géographique déterminé et lui imposait une obligation de présentation quotidienne aux services de police. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Strasbourg afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté, mais sa demande a été rejetée. Il a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la régularité de la procédure ainsi que le bien-fondé de la mesure, qu’il estimait disproportionnée et fondée sur des éléments factuels insuffisants ou anciens. Il soutenait notamment que les conditions posées par le code de la sécurité intérieure n’étaient pas réunies et que la mesure portait une atteinte excessive à sa vie privée, familiale et à sa réinsertion professionnelle. Le ministre, pour sa part, concluait au rejet de la requête, maintenant que la mesure était justifiée par la gravité de la menace que représentait le comportement de l’individu.

Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si le renouvellement d’une mesure de contrôle administratif et de surveillance, fondée sur des condamnations passées et des informations issues d’une note blanche, caractérise une menace actuelle d’une particulière gravité et répond aux exigences de nécessité et de proportionnalité requises par le code de la sécurité intérieure.

La Cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la mesure litigieuse est légalement justifiée et proportionnée. Elle juge que l’administration établit l’existence d’une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics en se fondant sur le passé pénal de l’intéressé, sur des éléments issus des services de renseignement relatifs à son comportement et à son adhésion à une idéologie extrémiste, ainsi que sur ses relations habituelles en détention avec des personnes condamnées pour terrorisme. La Cour estime par ailleurs que les contraintes imposées à l’intéressé ne sont pas excessives au regard de l’objectif de prévention du terrorisme poursuivi.

L’arrêt confirme ainsi la validité d’une mesure préventive restrictive de liberté en s’appuyant sur une appréciation globale de la dangerosité d’un individu, où le juge administratif exerce un contrôle sur la matérialité des faits sans remettre en cause l’appréciation de l’administration. Cette décision illustre l’articulation délicate entre la prévention des actes de terrorisme et la protection des libertés fondamentales.

I. La validation par le juge du bien-fondé de la mesure de surveillance administrative

La Cour administrative d’appel confirme la décision du ministre de l’intérieur en validant la légalité de l’arrêté contesté, tant sur le plan formel que sur le fond. Elle écarte les arguments procéduraux soulevés par le requérant (A) avant de vérifier que les conditions de fond exigées par la loi pour édicter une telle mesure sont bien remplies (B).

**A. Une légalité externe formellement acquise**

Le requérant invoquait plusieurs irrégularités de procédure, notamment l’incompétence du signataire de l’acte et une méconnaissance des obligations d’information des autorités judiciaires. La Cour rejette ces moyens en s’appuyant sur les dispositions spécifiques applicables aux actes liés à la prévention du terrorisme. Concernant l’identité du signataire, l’arrêt rappelle que l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration autorise l’anonymisation des décisions prises pour de tels motifs. Il précise que la procédure dérogatoire au contradictoire, prévue par l’article L. 773-9 du code de justice administrative, a été respectée, le ministre ayant communiqué au juge l’original de l’acte et la délégation de signature, permettant ainsi un contrôle de compétence effectif sans divulguer l’identité de l’agent.

De plus, l’argument tiré du défaut d’information préalable du procureur de la République antiterroriste et du procureur territorialement compétent est jugé inopérant. La Cour énonce que « cette information ne constitue pas une étape de la procédure administrative préalable à son adoption ». Elle relève, en tout état de cause, que cette formalité a bien été accomplie par l’envoi d’un courriel, écartant ainsi l’allégation du requérant selon laquelle l’arrêté aurait été pris avant cette communication. Par cette approche pragmatique, le juge administratif refuse de sanctionner la mesure pour des vices de procédure qu’il estime soit non établis, soit sans incidence sur sa légalité.

**B. Une légalité interne matériellement établie au regard des conditions légales**

L’essentiel du contrôle du juge porte sur le respect des deux conditions cumulatives posées par l’article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure. La première condition est que le comportement de la personne constitue « une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». La Cour estime cette condition remplie en se fondant sur un faisceau d’indices concordants. Elle prend en compte les condamnations pénales antérieures, les éléments de la note blanche qui attestent de « recherches en vue de l’acquisition et de la fabrication d’explosifs », la présence du « drapeau de l’Etat islamique » sur son téléphone, ainsi que ses prises de position idéologiques. La Cour contextualise cette menace en mentionnant « le conflit israélo-palestinien, et de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques », liant le profil de l’individu à un risque terroriste global et actuel.

La seconde condition, alternative, est que la personne soit « en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ». Pour la Cour, cette condition est également satisfaite. Elle s’appuie sur la note des services de renseignements, qui documente de manière précise les contacts du requérant en détention avec plusieurs individus condamnés pour des faits de terrorisme. Le juge estime que « la fréquentation suivie de ces personnes ne résultait pas nécessairement des modalités de la détention » et que les éléments fournis par l’administration sont suffisamment précis et circonstanciés. En considérant cette seconde condition remplie, la Cour souligne qu’elle suffit à elle seule à fonder légalement l’arrêté, ce qui renforce la solidité de la décision administrative.

II. La portée de la mesure au prisme du contrôle juridictionnel

En confirmant la validité de la mesure, la Cour administrative d’appel définit les contours de son contrôle sur des actes qui se situent au croisement de la police administrative et des libertés individuelles. Sa décision consacre un pouvoir d’appréciation étendu de l’autorité administrative (A) tout en procédant à une analyse de la proportionnalité qui privilégie les impératifs sécuritaires (B).

**A. La consécration d’un pouvoir d’appréciation étendu de l’autorité administrative**

Cet arrêt illustre le poids conféré aux informations issues des services de renseignement, notamment les « notes blanches », dans le contentieux des mesures de surveillance. Bien que le requérant ait contesté leur force probante, la Cour considère qu’elles peuvent légalement fonder une décision administrative dès lors qu’elles contiennent des « éléments précis et circonstanciés », même si leur contenu n’est pas corroboré par d’autres preuves judiciaires. Le juge n’exige pas une preuve irréfutable des allégations mais se contente de vérifier que les faits rapportés sont matériellement établis et suffisamment détaillés. En l’espèce, il estime que le ministre, en se fondant sur les antécédents, les relations et le comportement de l’individu, « ne s’est pas fondé sur des faits inexacts » et « a pu sans commettre d’erreur d’appréciation » prendre la mesure contestée.

Cette approche révèle que le contrôle du juge administratif, s’il n’est pas purement formel, reste un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Il ne substitue pas sa propre évaluation de la menace à celle du ministre, autorité la mieux à même d’apprécier le risque terroriste. De même, la prise en compte de faits anciens et du comportement en détention pour justifier une menace actuelle montre une interprétation large de la notion de dangerosité. La Cour accepte que des éléments passés puissent révéler la persistance d’un état d’esprit dangereux, justifiant une mesure préventive à la sortie de prison, même en l’absence de nouveaux actes répréhensibles.

**B. Une appréciation de la proportionnalité limitée par l’objectif de prévention du terrorisme**

Le contrôle de la proportionnalité de la mesure est un aspect central du raisonnement du juge. Le requérant soutenait que les obligations qui lui étaient imposées portaient une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ainsi qu’à son droit d’exercer une activité professionnelle. La Cour écarte cet argument en opérant une balance des intérêts en présence. D’un côté, elle examine concrètement les contraintes de la mesure et constate qu’elles « permett[ent] à M. A… de mener une vie privée et familiale normale et d’exercer son activité professionnelle », le périmètre d’assignation ayant été adapté et les horaires de pointage modifiés pour tenir compte de ses contraintes.

De l’autre côté, elle pèse ces contraintes à l’aune de l’objectif poursuivi. L’arrêt réaffirme avec force l’existence de « raisons sérieuses de penser (…) que le comportement de M. A… constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Face à un tel risque, les restrictions de liberté imposées, bien que significatives, ne sont pas jugées excessives. La Cour rejette également l’argument selon lequel la mesure aurait dû prendre fin avec les Jeux paralympiques, estimant que « les menaces terroristes (…) ne se limitent pas à la période des Jeux paralympiques ». Cette décision démontre que, dans ce type de contentieux, l’impératif de sécurité publique tend à primer sur les libertés individuelles, dès lors que la mesure ne rend pas impossible l’exercice des droits fondamentaux de la personne concernée.

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Hassan KOHEN
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