Cour d’appel administrative de Nancy, le 13 mai 2025, n°23NC02351

Par un arrêt en date du 13 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour sollicité par des parents étrangers au titre de l’état de santé de leur enfant mineur. En l’espèce, deux ressortissants géorgiens, entrés en France en 2021 accompagnés de leur fils, ont vu leurs demandes d’asile rejetées. Ils ont par la suite sollicité l’octroi d’une autorisation provisoire de séjour en arguant de la pathologie de leur enfant. Le préfet de Meurthe-et-Moselle a, par des arrêtés du 10 novembre 2022, refusé de leur accorder un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français sous trente jours et a fixé le pays de destination. Saisis par les intéressés, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande par un jugement du 25 avril 2023. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’état de santé de leur enfant n’avait pas été correctement apprécié au regard de l’offre de soins dans leur pays d’origine, et que les décisions préfectorales portaient une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale ainsi qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le juge d’appel était ainsi conduit à examiner dans quelle mesure l’appréciation de l’administration, fondée sur un avis médical, quant à l’existence d’un traitement approprié dans le pays d’origine, justifiait un refus de séjour et une mesure d’éloignement au regard des droits fondamentaux invoqués. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant la légalité des décisions préfectorales. Elle estime que les requérants n’apportent pas la preuve permettant de contester l’avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), lequel avait conclu à la disponibilité d’un traitement approprié en Géorgie. De plus, elle juge que la mesure d’éloignement ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans la vie privée et familiale des intéressés, compte tenu de leur arrivée récente en France et de la possibilité pour la cellule familiale de se reconstituer dans leur pays d’origine.

Cette décision illustre le contrôle exercé par le juge administratif sur les refus de séjour pour raisons médicales, un contrôle rigoureux mais encadré par la force probante de l’expertise médicale (I). Elle réaffirme par ailleurs une conception stricte de l’atteinte à la vie privée et familiale lorsque le séjour en France est récent, conditionnant l’appréciation de l’intérêt de l’enfant à la question de l’accès aux soins (II).

I. Un contrôle encadré de la condition d’accès aux soins

Le refus de titre de séjour repose sur une appréciation de l’état de santé de l’enfant au regard de l’offre de soins dans son pays d’origine. La cour administrative d’appel confirme la démarche de l’administration en rappelant la place centrale de l’avis médical de l’OFII (A) et en faisant peser sur les requérants la charge de la preuve contraire (B).

A. La primauté de l’avis du collège de médecins de l’OFII

Le raisonnement du juge d’appel s’articule autour de l’avis émis par le collège de médecins de l’OFII, conformément aux dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour rappelle que cet avis constitue l’élément déterminant sur lequel le préfet fonde sa décision. En l’espèce, pour refuser le séjour, le préfet s’est appuyé sur l’avis du 29 août 2022 qui, tout en reconnaissant que l’état de santé du mineur nécessitait une prise en charge dont le défaut « pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité », a estimé qu’il pouvait « bénéficier d’un traitement approprié » dans son pays d’origine. L’arrêt souligne ainsi le rôle pivot de cette expertise médicale, qui évalue non seulement la gravité de la pathologie, mais aussi l’effectivité de l’accès aux soins à l’étranger. Le juge administratif n’entend pas substituer son appréciation à celle des experts, mais vérifie que l’autorité administrative a bien procédé à un examen complet de la situation au vu de cet avis, en contrôlant que la décision n’entraîne pas de risques d’une exceptionnelle gravité. Cette approche confirme la nature technique du contrôle opéré, qui se concentre sur la cohérence de la décision administrative au regard des conclusions médicales.

B. La charge de la preuve pesant sur les requérants

Face à un avis médical défavorable, il appartient au demandeur de le contester en apportant des éléments probants. La cour administrative d’appel met en évidence cette exigence en relevant que les arguments des requérants ne suffisent pas à remettre en cause les conclusions de l’OFII. Ces derniers soutenaient que leur fils, atteint de surdité et d’un trouble du spectre autistique, ne pourrait bénéficier d’un suivi adapté en Géorgie, où son autisme n’avait pas été diagnostiqué. Cependant, la cour estime que « les pièces versées au dossier, si elles permettent d’établir la nécessité d’une prise en charge, ne suffisent pas à considérer que l’enfant n’aurait aucune possibilité de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine ». Cette formule révèle que la simple allégation de l’inexistence ou de l’inadéquation des soins est insuffisante. Les requérants doivent démontrer, par des pièces précises et documentées, que l’accès au traitement approprié serait, en pratique, impossible. En l’absence de tels éléments, l’avis du collège de médecins conserve toute sa force et justifie la décision préfectorale. La solution, bien que sévère pour les intéressés, s’inscrit dans une jurisprudence constante qui impose une charge probatoire élevée à l’étranger qui entend contester une expertise médicale administrative.

Au-delà de cette question technique de l’accès aux soins, la cour procède à une analyse des droits fondamentaux invoqués par les requérants, mais en subordonne largement l’appréciation aux conclusions précédemment établies.

II. Une appréciation restrictive de l’atteinte aux droits fondamentaux

L’arrêt applique les garanties issues du droit européen et international, mais en livre une interprétation stricte. L’analyse de l’atteinte à la vie privée et familiale se fonde principalement sur la durée du séjour des intéressés (A), tandis que l’intérêt supérieur de l’enfant est apprécié au seul prisme de la disponibilité du traitement médical (B).

A. L’application classique du bilan entre droit au séjour et vie familiale

La cour examine le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à travers un bilan proportionné. Elle met en balance le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale et les objectifs de la politique migratoire. Pour conclure à l’absence d’atteinte disproportionnée, le juge retient plusieurs éléments factuels. Il relève que les requérants « ne sont entrés en France qu’en 2021 » et que leur séjour est « très récent à la date des arrêtés contestés ». En outre, il est noté qu’ils ne justifient pas être « dépourvus de toute attache familiale dans leur pays d’origine où ils ont vécu jusqu’aux âges respectifs de 49 et 43 ans ». La possibilité pour la « cellule familiale » de se reconstituer dans le pays d’origine est ainsi un argument central. Cette approche, classique en contentieux des étrangers, tend à minimiser l’intensité des liens créés en France lorsque le séjour est de courte durée et que des attaches subsistent dans le pays d’origine. La gravité de l’état de santé de l’enfant, bien que prise en compte, ne suffit pas à faire pencher la balance en faveur des requérants dès lors que l’accès aux soins à l’étranger est jugé possible.

B. La subordination de l’intérêt supérieur de l’enfant à la question des soins

L’argument fondé sur l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant est également écarté par la cour. Le juge lie directement l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant à la conclusion relative à la disponibilité des soins en Géorgie. Il considère en effet qu’il « n’est pas établi que leur fils ne pourrait bénéficier d’une prise en charge adaptée à son état de santé dans ce pays ». Par conséquent, les décisions contestées ne sont pas regardées comme ayant été prises en méconnaissance de cet intérêt supérieur. Cette approche montre que, dans ce type de contentieux, l’intérêt de l’enfant est principalement évalué sous l’angle de son bien-être physique et de sa santé. Dès lors que la continuité de la prise en charge médicale est jugée assurée dans le pays de retour, le juge estime que l’intérêt de l’enfant n’est pas compromis par l’éloignement, sans nécessairement s’attarder sur d’autres aspects de son développement ou de son intégration sur le territoire français. La solution confirme ainsi que le critère de l’accès effectif aux soins demeure la pierre angulaire de l’appréciation portée par le juge, conditionnant l’ensemble des autres garanties.

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Hassan KOHEN
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