Cour d’appel administrative de Nancy, le 13 mai 2025, n°23NC03759

Par un arrêt en date du 13 mai 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité nigériane, entré en France en 2019, avait vu sa demande d’asile définitivement rejetée. Il a par la suite eu un enfant avec sa compagne, de même nationalité. Le 7 octobre 2023, la préfète du Bas-Rhin a pris à son encontre un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour d’un an. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Strasbourg, qui a rejeté sa demande par un jugement du 17 novembre 2023. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et méconnaissait l’intérêt supérieur de son enfant. Il faisait valoir sa vie commune avec sa compagne et leur enfant pour contester la mesure d’éloignement. Se posait ainsi au juge d’appel la question de savoir si des éléments de fait postérieurs à une décision administrative, en l’occurrence l’établissement d’une vie familiale stable, peuvent être utilement invoqués pour en contester la légalité. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que l’appréciation de la situation personnelle et familiale de l’étranger doit s’effectuer à la date de l’édiction de l’acte attaqué. Or, à cette date, la communauté de vie n’était pas établie.

La solution retenue par la cour, si elle correspond à une application orthodoxe des principes du contentieux administratif (I), conduit néanmoins à neutraliser la prise en compte de situations humaines évolutives dans l’appréciation de la proportionnalité des mesures d’éloignement (II).

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I. L’application rigoureuse du principe de l’appréciation de la légalité à la date de la décision

Le juge administratif, pour contrôler la légalité d’un acte, se place systématiquement à la date de son édiction. La cour applique ce principe sans détour en refusant de prendre en compte des faits postérieurs à l’arrêté préfectoral (A), confirmant ainsi une position jurisprudentielle bien établie en matière de droit des étrangers (B).

A. Le refus de prendre en compte des éléments factuels postérieurs

La cour écarte le moyen tiré de l’atteinte au droit à la vie privée et familiale en se fondant sur une analyse temporelle stricte. Elle relève que si le requérant « se prévaut de sa communauté de vie avec une ressortissante nigériane (…) avec laquelle il a eu un enfant », cette « communauté de vie avec sa compagne ne date que de novembre 2023, soit postérieurement à l’édiction de la décision litigieuse ». Ce faisant, le juge refuse d’intégrer dans son contrôle de proportionnalité un élément de fait essentiel, la vie de couple effective, au motif de sa postériorité. Le raisonnement opéré est purement juridique et fait abstraction de la réalité matérielle de la situation de l’intéressé au jour où le juge statue. La légalité de l’acte administratif s’apprécie au moment de sa signature, et les changements ultérieurs, même favorables à l’administré, sont inopérants pour vicier rétroactivement la décision. Cette approche garantit la sécurité juridique des actes de l’administration, qui ne sauraient être remis en cause au gré des évolutions de la situation de leurs destinataires.

Cette méthode d’appréciation temporelle de la légalité n’est pas propre à l’espèce mais constitue une solution de principe.

B. La confirmation d’une jurisprudence constante en contentieux des étrangers

En statuant ainsi, la cour administrative d’appel ne fait que réaffirmer une règle fondamentale du contentieux de l’annulation. Le contrôle exercé par le juge de l’excès de pouvoir porte sur l’acte attaqué et s’effectue sur la base des circonstances de droit et de fait prévalant à la date où il a été pris. Cette règle, appliquée à l’ensemble du contentieux administratif, trouve une illustration particulièrement fréquente en droit des étrangers, où les situations personnelles des individus sont par nature évolutives. Le Conseil d’État juge de longue date que les éléments relatifs à la vie privée et familiale d’un étranger ne peuvent être utilement invoqués que s’ils sont antérieurs à la décision contestée. L’arrêt commenté s’inscrit donc dans le sillage de cette jurisprudence constante, qui privilégie la stabilité de l’ordre juridique sur la prise en compte de situations humaines pourtant consolidées au jour de l’audience. La cour confirme ainsi que l’office du juge de l’annulation n’est pas de se substituer à l’administration pour gérer la situation actuelle de l’étranger, mais seulement de vérifier la validité de l’acte au moment où il fut pris.

L’application de ce principe rigoureux n’est cependant pas sans conséquence sur la protection des droits fondamentaux de l’individu.

II. La portée limitée de la protection de la vie privée et familiale face à l’immutabilité de la situation de fait

En figeant son analyse à la date de l’arrêté préfectoral, la cour opère une appréciation nécessairement restrictive des liens personnels de l’étranger (A), ce qui l’oriente implicitement vers d’autres voies pour obtenir la reconnaissance de son droit au séjour (B).

A. Une appréciation restrictive des liens personnels et familiaux

La décision aboutit à une conclusion paradoxale au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Alors même que l’existence d’une vie familiale est matériellement avérée au jour du jugement, celle-ci est juridiquement ignorée. La protection de la vie privée et familiale, ainsi que la considération primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant protégée par la Convention de New York, se trouvent subordonnées au respect d’un principe de procédure contentieuse. En relevant que le requérant « n’établit pas avoir en France des liens personnels et familiaux, autre qu’avec sa compagne et son fils, d’une particulière intensité », la cour minimise la portée du noyau familial nouvellement constitué. Cette approche, bien que juridiquement fondée, interroge sur la conciliation entre l’impératif de sécurité juridique et la nécessité d’une protection effective des droits fondamentaux, qui commanderaient une appréciation plus concrète et actuelle de la situation de l’individu. L’intérêt de l’enfant à vivre avec ses deux parents est de fait écarté de l’analyse au profit d’une orthodoxie juridique stricte.

Cette décision, si elle est défavorable au requérant dans le cadre de cette instance, ne ferme cependant pas toute perspective de régularisation.

B. L’incitation implicite à la régularisation par d’autres voies

En rejetant la requête, la cour ne statue que sur la légalité de l’arrêté du 7 octobre 2023. Elle ne se prononce pas sur le droit au séjour de l’intéressé au regard de sa situation actuelle. La décision a pour effet implicite de l’orienter vers une autre procédure. Ayant désormais une communauté de vie effective avec sa compagne et son enfant, le requérant peut déposer une nouvelle demande de titre de séjour sur le fondement de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’administration sera alors tenue d’examiner cette nouvelle demande en tenant compte des faits actuels, et notamment de la vie familiale établie postérieurement à l’obligation de quitter le territoire. L’arrêt, tout en validant l’éloignement, souligne en creux que le litige a évolué et que ses données ne sont plus les mêmes. La voie contentieuse de l’annulation étant fermée pour le passé, la voie administrative d’une nouvelle demande s’ouvre pour l’avenir, sur la base d’un dossier consolidé par les faits récents que le juge n’a pu prendre en compte.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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