Cour d’appel administrative de Nancy, le 13 mars 2025, n°23NC03207

Par un arrêt en date du 13 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur le refus d’admission exceptionnelle au séjour opposé à un couple de ressortissants étrangers et sur les obligations de quitter le territoire français qui en découlaient. En l’espèce, deux époux, parents de trois enfants scolarisés en France, s’étaient vu refuser la délivrance de titres de séjour par la préfète du Bas-Rhin le 10 février 2023, au motif qu’ils ne justifiaient pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels au sens de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette décision était assortie d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Les requérants avaient saisi le tribunal administratif de Strasbourg, qui, par un jugement du 28 septembre 2023, a rejeté leurs demandes. C’est dans ce contexte que les intéressés ont interjeté appel, soutenant que la durée de leur présence en France, la scolarisation de leurs enfants et leur intégration justifiaient leur admission au séjour. Ils arguaient également d’une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale et d’une méconnaissance de l’intérêt supérieur de leurs enfants. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si la présence continue sur le territoire national, entretenue par une succession de procédures administratives et contentieuses infructueuses, pouvait constituer un motif exceptionnel justifiant une régularisation, et si un refus fondé sur une telle analyse portait une atteinte excessive aux droits fondamentaux des requérants. La cour administrative d’appel de Nancy a répondu par la négative, considérant que la présence des intéressés ne traduisait pas une intégration suffisante et que le refus de séjour ne méconnaissait ni l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ni l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant. Cette décision, qui s’inscrit dans le cadre d’un contentieux abondant, illustre la portée limitée du pouvoir de régularisation de l’administration et le contrôle restreint exercé par le juge sur celui-ci.

La solution retenue par la cour administrative d’appel repose sur une appréciation stricte des conditions légales de l’admission au séjour (I), qui conduit logiquement à une validation des mesures d’éloignement au regard des droits fondamentaux invoqués (II).

I. Une conception restrictive des conditions de l’admission exceptionnelle au séjour

La cour confirme la position de l’administration en retenant une lecture rigoureuse de la notion de motifs exceptionnels (A), ce qui l’amène à écarter les éléments d’intégration présentés par les requérants (B).

A. La neutralisation de la durée de présence par l’origine contentieuse du séjour

Le juge administratif rappelle que l’admission exceptionnelle au séjour prévue par l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile confère à l’autorité préfectorale un large pouvoir d’appréciation. La cour ne se limite pas à constater la durée de la présence des requérants sur le territoire, mais en analyse la nature et les circonstances. Elle relève ainsi que « la durée de présence des requérants en France n’est justifiée que par les différentes et successives procédures administratives et juridictionnelles qu’ils ont initiées et qui n’ont pas abouti ». En adoptant ce raisonnement, la cour signifie que le maintien sur le territoire obtenu par le seul effet de l’exercice de voies de recours ne saurait être assimilé à un parcours d’intégration créateur de droits. La durée du séjour, bien que matérielle, se trouve ainsi juridiquement dévalorisée, car perçue non comme le signe d’un ancrage dans la société française, mais comme la conséquence d’une situation litigieuse précaire.

B. L’insuffisance des autres éléments d’intégration personnelle et familiale

En complément de cette analyse, la cour examine les autres arguments avancés par les requérants, notamment la scolarisation de leurs trois enfants. Sur ce point, elle considère que les requérants « ne démontrent ni que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer dans leur pays d’origine, ni que leurs trois enfants ne pourraient pas y poursuivre leur scolarité ». Cette approche révèle que la seule scolarisation ne suffit pas à caractériser une intégration telle qu’elle ferait obstacle à une mesure d’éloignement. De même, la promesse d’embauche présentée par l’un des époux est jugée insuffisante pour attester d’une intégration durable. En procédant de la sorte, le juge administratif valide l’examen particulier auquel la préfète a procédé et conclut à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, fermant ainsi la voie à une régularisation sur le fondement de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels.

Cette interprétation stricte des critères d’admission au séjour emporte des conséquences directes sur l’appréciation portée par la cour sur la proportionnalité des mesures d’éloignement.

II. La validation des mesures d’éloignement au regard des droits fondamentaux

Forte de son analyse sur le fond du droit au séjour, la cour écarte sans surprise le grief d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale (A) et confirme que l’intérêt supérieur de l’enfant a été correctement pris en compte (B).

A. Le rejet de l’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale

La cour procède à un contrôle de proportionnalité de l’obligation de quitter le territoire français au regard de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle met en balance l’ingérence dans la vie privée et familiale des requérants et les objectifs de la mesure, à savoir la maîtrise des flux migratoires et la défense de l’ordre public. Ayant préalablement établi la précarité du séjour et le caractère insuffisant de l’intégration, le juge en déduit que l’atteinte portée n’est pas disproportionnée. La décision souligne que rien ne s’oppose à la reconstitution de la cellule familiale dans le pays d’origine. Cette motivation s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de reconnaître un droit à l’installation en France lorsque les liens familiaux peuvent être maintenus hors du territoire national.

B. Une prise en compte formelle de l’intérêt supérieur de l’enfant

Les requérants invoquaient également la méconnaissance de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant. La cour écarte ce moyen en affirmant que l’administration a bien accordé une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants. Elle justifie sa position en relevant que les décisions contestées « n’ont pas pour objet ou pour effet de les séparer de leurs parents, ni de faire obstacle à la poursuite de leur scolarité ». Cette approche, centrée sur l’absence de séparation de la cellule familiale, montre que l’intérêt de l’enfant est apprécié principalement sous l’angle du maintien de ses liens avec ses parents. La perturbation liée à un changement de cadre de vie et de système scolaire est implicitement considérée comme une conséquence acceptable de la situation irrégulière des parents. La décision illustre ainsi une tendance jurisprudentielle qui, tout en affirmant le caractère primordial de l’intérêt de l’enfant, tend à le subordonner à la régularité du séjour de ses parents.

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Hassan KOHEN
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