En l’espèce, un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 15 mai 2025 vient préciser les contours de la faute que peut constituer le refus, par un salarié protégé, d’un changement de son lieu de travail. La décision émane d’un contexte de réorganisation d’entreprise visant à sauvegarder sa compétitivité, laquelle a conduit un employeur à transférer le poste d’une salariée, membre du comité social et économique, d’une agence à une autre. La salariée, estimant qu’il s’agissait d’une modification de son contrat de travail, a contesté ce changement. Après s’être présentée sur le nouveau site, elle a été placée en arrêt maladie puis a formalisé son opposition. L’employeur, considérant ce refus comme fautif, a sollicité et obtenu de l’inspecteur du travail l’autorisation de la licencier pour motif disciplinaire. La salariée a alors saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette autorisation. Le tribunal ayant rejeté sa demande par un jugement du 19 décembre 2023, la salariée a interjeté appel, soutenant notamment que la décision administrative était entachée d’incompétence territoriale, d’erreur d’appréciation quant à la nature de la modification de son lieu de travail, et d’erreur de droit. Se posait alors à la cour la question de savoir si le refus par une salariée protégée d’une nouvelle affectation géographique, imposée dans le cadre d’un projet de réorganisation, caractérisait une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, validant l’analyse de l’autorité administrative. Elle a considéré que le déplacement du lieu de travail, s’effectuant au sein du même secteur géographique, ne constituait qu’un simple changement des conditions de travail et non une modification du contrat. Le refus de la salariée, en l’absence d’une atteinte à l’exercice de son mandat ou de conséquences personnelles disproportionnées, revêtait ainsi un caractère de gravité suffisant pour fonder une autorisation de licenciement.
La solution retenue par la cour administrative d’appel repose sur une qualification rigoureuse du changement du lieu de travail, préalable nécessaire à l’appréciation de la faute du salarié (I). Une fois cette qualification établie, la cour procède à une analyse concrète de la gravité du comportement du salarié pour justifier l’autorisation de licenciement (II).
I. La qualification du changement du lieu de travail, préalable à l’appréciation de la faute
La cour confirme d’abord la compétence de l’inspecteur du travail, fondée sur le lieu effectif d’exercice des fonctions (A), avant de valider la qualification de simple changement des conditions de travail en application du critère du secteur géographique (B).
A. La confirmation de la compétence de l’inspecteur du travail du nouveau lieu d’affectation
La requérante soulevait l’incompétence territoriale de l’auteur de la décision, un moyen de légalité externe qui, s’il était fondé, aurait suffi à entraîner l’annulation de l’autorisation de licenciement. La cour écarte cet argument en se fondant sur une interprétation pragmatique des dispositions du code du travail. Conformément à l’article L. 2421-3 du code du travail, la compétence de l’inspecteur du travail s’apprécie au regard de l’établissement où le salarié est employé, défini comme son « lieu de travail principal » pour une demande d’autorisation fondée sur un motif personnel. La cour relève que le transfert du poste de la salariée a pris effet à une date précise, et surtout que « la salariée s’y est d’ailleurs rendue les 6 et 7 avril 2021 avant de faire l’objet d’un arrêt de travail ». Ce fait matériel, bien que bref, suffit à établir que son nouveau lieu de travail principal était bien celui de la nouvelle agence. En conséquence, l’inspecteur du travail dont dépendait la commune de cette nouvelle affectation était territorialement compétent pour instruire la demande de l’employeur. Cette solution pragmatique assure une cohérence entre la réalité de l’organisation de l’entreprise et la compétence de l’autorité administrative.
B. La caractérisation du déplacement du lieu de travail au sein d’un même secteur géographique
Le cœur du raisonnement juridique portait sur la distinction entre la modification du contrat de travail, qui requiert l’accord du salarié, et le simple changement des conditions de travail, qui relève du pouvoir de direction de l’employeur. La cour rappelle la jurisprudence constante selon laquelle, en l’absence de clause claire contractualisant le lieu de travail, un déplacement à l’intérieur d’un même secteur géographique constitue un simple changement des conditions de travail. L’appréciation de ce secteur géographique doit se faire de manière objective. En l’espèce, la cour a constaté que « l’ancien lieu de travail de Mme A…, situé à Metz Actipôle, et le nouveau site à Creutzwald, dont l’employeur soutient, sans être contredit, qu’il se trouve à une distance de 39 kilomètres, appartenaient au même secteur géographique ». La salariée elle-même ne contestait pas ce point, reconnaissant que le trajet s’effectuait par autoroute en une demi-heure. Dès lors que le contrat de travail ne stipulait pas que le lieu d’affectation était un élément essentiel, la cour conclut logiquement que le changement de site ne constituait pas une modification du contrat.
II. L’appréciation de la faute justifiant l’autorisation de licenciement
La qualification de simple changement des conditions de travail étant acquise, la cour examine les conséquences du refus de la salariée. Elle écarte d’abord la thèse d’un licenciement économique déguisé (A), puis apprécie la gravité du refus au regard des circonstances de l’espèce (B).
A. Le rejet de la qualification de modification du contrat pour motif économique
La requérante tentait de faire valoir que la procédure de l’article L. 1222-6 du code du travail, applicable en cas de modification du contrat pour motif économique, aurait dû être mise en œuvre. La cour juge ce moyen « inopérant » par une application rigoureuse de la qualification précédemment établie. Elle souligne que « le lieu de travail ne constituait pas, selon les termes mêmes du contrat signé par Mme A… le 28 août 1996, un élément essentiel de sa relation de travail avec son employeur ». Par conséquent, la procédure spécifique à la modification d’un élément essentiel du contrat pour motif économique n’était pas applicable. De même, l’inspecteur du travail étant saisi d’une demande de licenciement pour motif disciplinaire, il était tenu par ce cadre. Il ne pouvait substituer un motif économique au motif de faute invoqué par l’employeur. Cette position réaffirme le principe selon lequel l’autorité administrative et le juge contrôlent la matérialité et la gravité des faits invoqués au soutien d’un licenciement disciplinaire, sans pouvoir se substituer à l’employeur dans le choix du motif de la rupture.
B. L’appréciation de la gravité suffisante du refus du salarié protégé
Le refus par un salarié, même protégé, d’un changement de ses conditions de travail constitue en principe une faute. Il revenait cependant à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de vérifier si cette faute était d’une « gravité suffisante pour justifier son licenciement ». La cour procède ici à un contrôle concret et proportionné. Elle prend en compte l’allongement du temps de trajet et l’augmentation de la distance, mais elle oppose à ces inconvénients les mesures proposées par l’employeur, à savoir « de prendre en charge ses frais supplémentaires, à savoir l’intégralité de ses frais de péages ainsi que de ses frais de carburant ». Face à cette compensation financière et en l’absence d’autres éléments démontrant une atteinte disproportionnée à sa situation personnelle ou à l’exercice de son mandat, la cour estime que le refus n’était pas légitime. Elle conclut que « le refus de la requérante d’accepter le seul changement de son lieu de travail doit être regardé comme présentant un caractère de gravité suffisant pour justifier son licenciement ». Cet arrêt illustre que la protection exceptionnelle accordée aux représentants du personnel ne les exonère pas de leurs obligations contractuelles et ne fait pas obstacle à l’exercice normal du pouvoir de direction de l’employeur, dès lors que le changement imposé ne vise pas à entraver le mandat et que ses conséquences sont raisonnables.