Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, la cour administrative d’appel a statué sur la situation d’une ressortissante arménienne entrée en France en 2016. Après le rejet de sa demande d’asile en 2018 et une première obligation de quitter le territoire français non exécutée, l’intéressée avait sollicité en 2022 son admission exceptionnelle au séjour au titre du travail. Le préfet de la Marne a opposé un refus à cette demande par un arrêté du 16 janvier 2024, assorti d’une obligation de quitter le territoire français, d’une interdiction de retour de douze mois et de la fixation du pays de destination. L’étrangère a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui a rejeté sa requête par un jugement du 11 juin 2024. C’est dans ces conditions que la requérante a interjeté appel, soutenant notamment que le refus de séjour méconnaissait plusieurs dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et que les mesures d’éloignement portaient une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.
La question posée à la cour administrative d’appel était donc de savoir si les éléments de vie privée et familiale et l’insertion professionnelle de la requérante étaient de nature à justifier son admission exceptionnelle au séjour et, par voie de conséquence, à entacher d’illégalité les mesures d’éloignement prises à son encontre. La cour répond par la négative, considérant que ni les liens familiaux, ni le contrat de travail produit ne constituent des motifs exceptionnels ou des considérations humanitaires suffisants. Elle estime que les mesures d’éloignement ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressée.
Il convient donc d’analyser la confirmation par le juge d’appel d’une appréciation stricte des conditions de l’admission exceptionnelle au séjour (I), avant de s’attarder sur la validation logique des mesures d’éloignement qui en découlent (II).
I. Le contrôle de l’appréciation stricte des conditions de l’admission exceptionnelle au séjour
La cour administrative d’appel examine rigoureusement les moyens soulevés par la requérante, en écartant d’abord un argument procéduralement irrecevable (A) avant de procéder à une appréciation souveraine des éléments de fond justifiant l’admission au séjour (B).
A. Le rejet d’un moyen fondé sur un fondement non invoqué
La requérante invoquait pour la première fois en appel la méconnaissance de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, relatif à la délivrance d’un titre de séjour pour des liens personnels et familiaux. La cour écarte ce moyen comme étant inopérant. Elle relève que la demande d’admission au séjour avait été présentée « sur le seul fondement de l’article L. 435-1 » du même code, et que l’administration n’avait donc pas à examiner la situation de l’intéressée au regard d’une autre disposition.
Cette position rappelle une règle classique du contentieux administratif selon laquelle l’office du juge se limite à l’examen des fondements juridiques sur lesquels l’administration s’est prononcée. En l’espèce, le préfet n’ayant pas examiné la demande au titre de l’article L. 423-23, la requérante ne pouvait « utilement invoquer une méconnaissance » de cet article. Le juge se refuse ainsi à substituer son analyse à celle que le préfet aurait pu mener sur un autre terrain juridique, ce qui confirme la portée limitée du contrôle exercé sur les décisions de refus de séjour lorsque la demande est précisément ciblée.
B. L’appréciation souveraine des éléments d’intégration personnelle et professionnelle
Le cœur du raisonnement de la cour porte sur l’appréciation des motifs exceptionnels ou des considérations humanitaires prévus par l’article L. 435-1. La cour examine successivement les arguments relatifs à la vie privée et familiale et ceux liés à l’insertion professionnelle. Elle considère que la présence de l’intéressée et de son époux en France, bien que durable, est fragilisée par son caractère irrégulier, faisant suite à une première mesure d’éloignement non respectée. La cour note que le couple a « vocation à retourner dans leur pays d’origine où ils pourront reconstituer la cellule familiale ». De même, la présence de ses enfants et petits-enfants en France n’est pas jugée déterminante, faute de preuve d’une dépendance de ces derniers à son égard.
Concernant l’insertion professionnelle, si la requérante justifie d’un contrat de travail à durée indéterminée, la cour estime que « ce seul contrat de travail ne saurait être regardé comme constituant en l’espèce un motif exceptionnel d’admission au séjour ». Cette formule, constante en jurisprudence, rappelle que l’existence d’un emploi ne crée aucun droit automatique à la régularisation. La cour entérine l’appréciation du préfet qui, sous le contrôle du juge, dispose d’un large pouvoir pour déterminer ce qui constitue un « motif exceptionnel », en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
II. La validation des mesures consécutives au refus de titre de séjour
Le refus de titre de séjour étant jugé légal, la cour examine les conséquences sur les autres décisions de l’arrêté préfectoral. Elle confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire français (A) ainsi que celle des mesures complémentaires qui l’assortissent (B).
A. La confirmation de l’obligation de quitter le territoire en l’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale
La requérante soutenait que l’obligation de quitter le territoire français méconnaissait l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour procède à une balance des intérêts en présence. D’un côté, les liens familiaux de l’intéressée en France ; de l’autre, l’intérêt de l’État à maîtriser les flux migratoires. La cour reprend les éléments déjà analysés pour écarter le moyen, notamment le fait que le séjour de l’intéressée et de son époux est irrégulier et que la cellule familiale peut se reconstituer dans leur pays d’origine.
La cour rappelle à cet égard une solution classique selon laquelle « les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantissent pas à l’étranger le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer sa vie privée et familiale ». L’ingérence dans la vie privée et familiale de la requérante est ainsi jugée nécessaire et proportionnée aux buts poursuivis, notamment la défense de l’ordre public et le bien-être économique du pays. La décision confirme la prééminence des prérogatives de l’État en matière de contrôle de l’immigration face à des situations personnelles jugées insuffisamment stables ou anciennes.
B. La légalité justifiée de l’interdiction de retour et de la fixation du pays de destination
Enfin, la cour valide les dernières mesures contestées. Le moyen tiré des risques encourus en cas de retour en Arménie, au sens de l’article 3 de la Convention européenne, est rejeté faute d’éléments « suffisamment probants pour établir » des risques « actuels, personnels et sérieux ». La cour se réfère au rejet antérieur de la demande d’asile pour renforcer sa conviction, démontrant la cohérence de l’ensemble des décisions prises à l’encontre de la requérante.
L’interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an est également jugée légale. La cour estime la décision suffisamment motivée, le préfet ayant pris en compte la durée de présence, les attaches familiales et, surtout, le fait qu’elle avait déjà fait l’objet d’une précédente mesure d’éloignement. Cette mesure n’est pas jugée disproportionnée, apparaissant comme la conséquence logique d’un maintien irrégulier sur le territoire malgré une première décision administrative. La décision illustre ainsi une application rigoureuse de l’ensemble de l’arsenal juridique dont dispose l’administration pour assurer l’effectivité de ses décisions d’éloignement.