Cour d’appel administrative de Nancy, le 17 juillet 2025, n°23NC02742

Par une décision en date du 17 juillet 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’expulsion d’un ressortissant étranger dont la présence constituait une menace pour l’ordre public. En l’espèce, un individu de nationalité guinéenne, entré sur le territoire national en 2018 alors qu’il était mineur, a fait l’objet d’une condamnation pénale en 2021 pour des faits de violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. Suite à cette condamnation, le préfet de la Meuse a pris, le 27 décembre 2021, un arrêté prononçant son expulsion du territoire français et fixant le pays de destination. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Nancy a annulé ces décisions par un jugement du 22 juin 2023, au motif que l’arrêté d’expulsion méconnaissait son droit de solliciter l’asile. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la juridiction de première instance avait commis une erreur de droit. L’enjeu central du litige portait sur la question de savoir si l’engagement d’une procédure de demande d’asile faisait obstacle à l’édiction d’une mesure d’expulsion fondée sur une menace grave à l’ordre public. La cour administrative d’appel répond par la négative, annulant le jugement de première instance et validant l’arrêté préfectoral. Elle juge que la demande d’asile, enregistrée postérieurement à l’arrêté litigieux, n’empêchait pas son édiction mais seulement sa mise à exécution. La cour estime en outre que les faits commis par l’intéressé caractérisaient une menace grave à l’ordre public et que celui-ci n’apportait pas la preuve des risques personnels qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

La décision de la cour administrative d’appel réaffirme avec clarté la primauté de la sauvegarde de l’ordre public, justifiant une mesure d’expulsion malgré les protections invoquées par le requérant (I). Ce faisant, elle applique de manière rigoureuse les exigences probatoires pesant sur l’étranger qui se prévaut de circonstances personnelles pour faire obstacle à son éloignement (II).

I. L’expulsion, une mesure justifiée par la gravité de la menace à l’ordre public

La cour valide l’arrêté d’expulsion en se fondant sur une appréciation objective de la dangerosité du comportement de l’individu (A) et en clarifiant la portée du droit au maintien sur le territoire dont bénéficient les demandeurs d’asile (B).

A. La caractérisation souveraine de la menace grave à l’ordre public

La cour administrative d’appel confirme que la mesure d’expulsion repose sur une qualification juridique exacte des faits. Elle relève que l’intéressé a été condamné à une peine d’emprisonnement pour « des faits de violence commis (…) sur sa compagne et requalifiés en violences suivies de mutilation ou infirmité permanente ». Pour les juges, la « gravité des faits en cause », combinée à leur « caractère récent et des antécédents », suffit à constituer une menace grave pour l’ordre public au sens de l’article L. 631-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette approche démontre que l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, dispose d’une marge d’appréciation significative pour évaluer la dangerosité d’un individu.

De plus, l’arrêt précise que les « troubles psychiques à l’origine de ces actes » sont sans incidence sur la qualification de la menace. Cette dissociation entre l’état de santé mentale de l’auteur et la matérialité de ses agissements permet de maintenir l’effectivité de la mesure de police administrative. Le raisonnement du juge se concentre sur les conséquences objectives des actes pour la sécurité publique, plutôt que sur les causes subjectives du passage à l’acte, lesquelles relèvent d’une autre analyse, notamment lors de l’examen des protections contre l’éloignement.

B. L’inefficacité du droit au maintien sur le territoire face à l’édiction de la mesure

La cour censure le raisonnement du tribunal administratif en opérant une distinction fondamentale entre l’édiction d’une mesure d’expulsion et son exécution. Les premiers juges avaient annulé l’arrêté au motif qu’il portait atteinte au droit d’asile de l’intéressé. La cour rectifie cette analyse en soulignant que l’individu n’a enregistré sa demande d’asile que le 10 février 2022, soit après l’arrêté d’expulsion du 27 décembre 2021. Le droit au maintien sur le territoire n’était donc pas encore constitué.

Surtout, la cour énonce une règle de portée générale en ajoutant que, de toute manière, « l’enregistrement d’une demande d’asile, même antérieure à la décision d’expulsion, n’aurait pas fait obstacle à l’édiction de cette dernière, mais seulement à son exécution ». Cette précision est essentielle : le droit au maintien prévu par l’article L. 541-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne paralyse pas la compétence du préfet pour prendre une décision d’expulsion. Il suspend uniquement la possibilité matérielle de renvoyer l’étranger tant que l’instance d’asile n’a pas statué définitivement. Cette solution concilie la nécessité de préserver l’ordre public avec les garanties procédurales offertes aux demandeurs d’asile.

II. Le rejet des protections subsidiaires en l’absence de preuves suffisantes

La cour écarte les autres moyens soulevés par le requérant en appliquant une logique probatoire stricte, que ce soit concernant le risque lié à son état de santé (A) ou l’atteinte alléguée à sa vie privée et familiale (B).

A. L’exigence d’une démonstration personnelle et circonstanciée du défaut de soins

Le requérant invoquait une double protection liée à son état de santé : celle de l’article L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui protège certaines catégories d’étrangers de l’expulsion, et celle de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. Dans les deux cas, il soutenait que son retour en Guinée le priverait de l’accès aux soins psychiatriques nécessaires. La cour rejette l’argumentation en relevant l’insuffisance des preuves apportées. Elle note que les certificats médicaux, bien qu’attestant d’une pathologie sévère, « ne se prononcent pas quant à la disponibilité des soins en Guinée ».

De même, les rapports généraux sur le système de santé guinéen ne suffisent pas. La cour exige que l’étranger apporte des « précision[s] quant à sa situation personnelle en Guinée et à l’impossibilité qui en résulterait d’accéder personnellement aux soins ». Cette approche place la charge de la preuve sur le requérant, qui doit démontrer de manière circonstanciée et individualisée qu’un défaut de prise en charge appropriée aurait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité. En l’absence de tels éléments, la protection ne peut être accordée.

B. La mise en balance proportionnée de l’ingérence dans la vie privée et familiale

Enfin, la cour examine la décision d’expulsion au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle effectue une mise en balance classique entre le droit au respect de la vie privée et familiale de l’étranger et les impératifs de l’ordre public. L’analyse se révèle rapidement défavorable au requérant. La cour constate qu’il est « célibataire et sans enfants, et y est dépourvu d’attaches familiales ». De plus, il « ne démontre pas l’intensité des liens noués sur le territoire ».

Face à cette faible intégration sociale et familiale, la cour oppose la « gravité de la menace pour l’ordre public » que l’intéressé représente. La balance penche donc nettement en faveur de la mesure d’expulsion, qui est jugée proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales. L’ingérence dans la vie privée du requérant est ainsi considérée comme nécessaire dans une société démocratique. Cette solution illustre une application constante de la jurisprudence européenne et nationale en matière de contentieux de l’éloignement des étrangers ayant commis des infractions pénales.

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