Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, une cour administrative d’appel précise la portée des obligations incombant au juge administratif à la suite de l’annulation d’une décision d’éloignement.
En l’espèce, une ressortissante étrangère, entrée régulièrement sur le territoire français mais dont la demande d’asile avait été définitivement rejetée, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral lui faisant obligation de quitter le territoire français. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté par un jugement du 21 mars 2024. Toutefois, le premier juge a rejeté les conclusions de la requérante tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, ainsi que sa demande de prise en charge des frais de justice. La requérante a interjeté appel de ce jugement, mais uniquement en ce qu’il rejetait ses conclusions à fin d’injonction et sa demande au titre des frais exposés.
Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel si l’annulation d’une obligation de quitter le territoire français emporte nécessairement pour le juge, lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, l’obligation d’enjoindre à l’autorité administrative de procéder au réexamen de la situation de l’étranger et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. Secondairement, se posait la question de savoir si le juge pouvait refuser d’allouer une somme au titre des frais de justice à la partie ayant obtenu gain de cause en première instance.
La cour répond positivement à la première question en affirmant que l’annulation de l’obligation de quitter le territoire « impliquait nécessairement qu’il soit enjoint à l’Etat de procéder aux mesures prévues par les dispositions ci-dessus reproduites du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Elle censure également l’appréciation du premier juge sur les frais de justice, considérant qu’il y avait lieu de condamner l’État, partie perdante, à verser une somme à ce titre.
La décision de la cour administrative d’appel vient ainsi rappeler avec force les conséquences qui s’attachent de plein droit à l’annulation d’une mesure d’éloignement (I), avant de procéder à une juste rectification concernant l’indemnisation des frais exposés par la requérante (II).
I. L’affirmation des conséquences nécessaires de l’annulation d’une obligation de quitter le territoire
La cour, en réformant le jugement de première instance, souligne que la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour est une suite légale et automatique de l’annulation (A), ce qui confirme le rôle du juge administratif comme garant de l’effectivité de ses propres décisions (B).
A. Une solution imposée par la lettre de la loi
En annulant l’arrêté préfectoral, le tribunal administratif a privé de base légale la situation de la requérante, la plaçant dans une incertitude juridique. Le premier juge a cependant estimé ne pas devoir ordonner les mesures transitoires sollicitées. La cour administrative d’appel censure ce raisonnement en se fondant sur une application stricte des dispositions de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte dispose en effet que si une obligation de quitter le territoire « est annulée, (…) l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ».
Le juge d’appel considère que ces dispositions créent une obligation pour l’administration, et par voie de conséquence, une obligation pour le juge d’en tirer les conséquences lorsqu’il est saisi. En jugeant que l’annulation « impliquait nécessairement » la mise en œuvre de ces mesures, la cour ne laisse place à aucune marge d’appréciation pour le juge du fond. L’emploi de cet adverbe montre que la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour n’est pas une faculté, mais un automatisme procédural destiné à assurer la continuité des droits de l’étranger dont la mesure d’éloignement a été jugée illégale. Le refus du premier juge constituait donc une erreur de droit.
Cette application rigoureuse de la loi s’inscrit dans une logique de protection des droits de l’administré, mais elle met aussi en lumière la fonction du juge en matière d’injonction.
B. L’office du juge administratif, garant de l’effectivité de l’annulation
Au-delà de la seule application de l’article L. 614-16, l’arrêt illustre l’étendue de l’office du juge administratif tel que défini par l’article L. 911-1 du code de justice administrative. Ce dernier permet au juge de prescrire les mesures d’exécution que sa décision implique nécessairement. En l’espèce, l’annulation de l’obligation de quitter le territoire serait dépourvue de portée pratique si l’étranger restait sans droit au séjour dans l’attente d’une nouvelle décision administrative. L’injonction de délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer la situation est donc le corollaire indispensable de l’annulation prononcée.
La cour administrative d’appel exerce ici pleinement son pouvoir d’injonction pour donner son plein effet utile au jugement d’annulation. Elle ne se contente pas de censurer l’illégalité, elle s’assure que les conséquences de cette censure sont concrètement tirées par l’administration. Cette démarche est essentielle pour garantir que le recours juridictionnel ne soit pas une victoire de principe mais un instrument effectif de restauration de la légalité et des droits de l’individu. La cour se positionne ainsi non seulement comme un censeur de l’action administrative, mais aussi comme un acteur de la régularisation de la situation de l’administré, conformément à la volonté du législateur.
Ce souci d’effectivité se retrouve également dans la manière dont la cour règle la question des dépens et des frais de procédure.
II. La rectification de l’appréciation des frais liés au litige
La cour administrative d’appel opère une seconde correction du jugement initial en se penchant sur les frais engagés par la requérante. Elle rappelle ainsi le principe de l’indemnisation due au titre de la première instance lorsque la partie triomphe (A), tout en appliquant de manière distincte les règles spécifiques aux frais engagés durant l’instance d’appel (B).
A. L’indemnisation due au titre des frais de première instance
Le tribunal administratif avait rejeté la demande de la requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Pourtant, l’intéressée avait obtenu l’annulation de l’arrêté préfectoral, ce qui faisait de l’État la « partie perdante » au sens de ces dispositions. La cour d’appel relève que la requérante, assistée d’un avocat sans pour autant bénéficier de l’aide juridictionnelle pour cette première instance, a « nécessairement exposé des frais pour les besoins de cette procédure ».
En réformant le jugement sur ce point, la cour rappelle une règle fondamentale de procédure contentieuse : la partie qui succombe doit, sauf circonstances particulières tenant à l’équité ou à la situation économique des parties, supporter la charge des frais exposés par la partie adverse. Le refus du premier juge, non motivé par de telles considérations, apparaissait donc injustifié. La cour procède à une appréciation souveraine des circonstances de l’espèce pour fixer le montant dû, rétablissant ainsi la requérante dans ses droits financiers découlant de son succès contentieux initial. Cette rectification assure la cohérence entre le sort du litige au fond et ses conséquences financières.
L’approche de la cour est toutefois différente pour les frais liés à l’instance d’appel, en raison d’une situation de fait distincte.
B. L’application distincte des règles relatives aux frais d’appel
Devant la cour, la situation de la requérante était différente, puisqu’elle avait été admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale. En conséquence, ce n’est plus l’article L. 761-1 qui a vocation à s’appliquer directement pour elle, mais l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Ce mécanisme permet à l’avocat d’une partie bénéficiant de l’aide juridictionnelle de demander au juge de condamner la partie adverse à lui verser une somme au titre des frais qu’il a exposés, en renonçant en contrepartie à la part contributive de l’État.
La cour met en œuvre cette procédure de manière classique, en condamnant l’État à verser une somme directement à l’avocat. Cette partie de l’arrêt illustre le traitement différencié des frais de justice selon que la partie bénéficie ou non de l’aide de l’État. Par ailleurs, il est à noter que la cour a également statué sur les conclusions relatives à la restitution du passeport, qu’elle a jugées irrecevables. Elle a considéré que l’injonction de restitution ayant déjà été prononcée en première instance, un éventuel défaut d’exécution relèverait de la procédure spécifique de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, et non d’un nouvel appel au fond. Ce faisant, elle opère une distinction procédurale rigoureuse entre l’appel, qui vise à réformer un jugement, et la procédure d’exécution, qui vise à contraindre l’administration à se conformer à un jugement devenu définitif.