Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français, opposé à des ressortissants étrangers parents de quatre enfants. En l’espèce, un couple de nationalité russe, entré en France en 2016, avait vu ses multiples demandes d’asile successivement rejetées. Demeurés sur le territoire malgré de précédentes mesures d’éloignement, les intéressés ont sollicité en 2022 leur admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. La préfète du Bas-Rhin a rejeté leurs demandes par deux arrêtés du 14 novembre 2023, leur a enjoint de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Saisi par les requérants, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs recours tendant à l’annulation de ces décisions par un jugement du 6 mai 2024. Le couple a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que les arrêtés préfectoraux portaient une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale, méconnaissaient l’intérêt supérieur de leurs enfants et les exposaient à des risques en cas de retour dans leur pays d’origine. Il revenait donc à la cour de déterminer si un refus de séjour peut être légalement opposé à des parents d’enfants scolarisés, présents sur le territoire depuis plusieurs années mais en situation irrégulière continue, au regard des attaches qu’ils conservent dans leur pays d’origine. La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, estimant que les décisions préfectorales n’avaient pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des requérants et n’étaient pas fondées sur une appréciation erronée de leur situation.
La solution retenue par la cour administrative d’appel témoigne d’une application rigoureuse des conditions d’octroi d’un titre de séjour, privilégiant une analyse stricte de la situation administrative des étrangers sur les éléments factuels de leur intégration (I). Cette approche, si elle réaffirme la maîtrise par l’État des flux migratoires, conduit à une interprétation restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant (II).
I. Une application rigoureuse des conditions d’admission au séjour
La cour confirme la décision préfectorale en procédant à un contrôle classique de la proportionnalité de l’ingérence dans la vie privée et familiale des requérants (A), tout en écartant de manière catégorique les risques allégués en cas de retour (B).
A. Le contrôle de la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée et familiale
La cour effectue une balance des intérêts en présence, conformément aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle prend en compte la durée de présence des intéressés sur le territoire, soit sept ans et demi, ainsi que la scolarisation de leurs enfants. Cependant, elle minore la portée de ces éléments en soulignant que le séjour prolongé en France est principalement la conséquence des multiples demandes d’asile rejetées. La cour relève que les requérants se sont maintenus sur le territoire en dépit de précédentes obligations de quitter le territoire, ce qui fragilise leur prétention à une intégration stable. De plus, elle oppose à leur situation en France la persistance de liens solides dans leur pays d’origine, où ils ont vécu la majeure partie de leur existence et où résident encore de nombreux membres de leur famille. La juridiction administrative estime que la cellule familiale a vocation à se reconstituer en Russie, pays dont les enfants possèdent également la nationalité. Elle énonce de manière significative que « les bons résultats scolaires de leurs enfants mineurs ne sauraient constituer en eux-mêmes un motif d’admission au séjour ». Par cette formule, la cour signifie que l’intégration réussie des enfants ne suffit pas à régulariser la situation de parents dont le séjour a toujours été précaire. L’atteinte portée à la vie privée et familiale est ainsi jugée proportionnée aux buts poursuivis, notamment la défense de l’ordre public et le contrôle de l’immigration.
B. Le rejet des risques allégués en cas de retour
Les requérants invoquaient également une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, arguant de risques encourus en cas de retour en Russie. La cour examine ces arguments mais les écarte faute d’éléments probants. Concernant le risque lié à l’activité politique d’un membre de la famille, elle constate que les requérants ne produisent aucune pièce tangible pour l’étayer. Quant au risque d’enrôlement militaire, la cour le rejette par une double motivation. D’une part, elle relève que le requérant, né en 1987, a dépassé l’âge limite d’appel sous les drapeaux. D’autre part, et à titre subsidiaire, elle rappelle que les obligations du service militaire ne constituent pas, en elles-mêmes, des traitements inhumains ou dégradants. Elle précise en outre que la situation géopolitique ne justifie pas, à la date de sa décision, un risque actuel et personnel de mobilisation forcée pour les requérants. En exigeant la preuve de « risques actuels et personnels », la cour se conforme à une jurisprudence constante qui impose à l’étranger d’établir de manière crédible qu’il serait personnellement et directement exposé à des traitements prohibés par la convention. L’absence de tels éléments conduit logiquement au rejet de ce moyen.
II. Une interprétation restrictive de la protection des attaches personnelles et familiales
Au-delà de son orthodoxie juridique, la décision révèle une primauté accordée à la souveraineté de l’État dans le contrôle de l’immigration (A), ce qui la conduit à apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant à travers le prisme de la situation administrative de ses parents (B).
A. La primauté du contrôle de l’immigration sur les considérations d’intégration
L’arrêt illustre une tendance jurisprudentielle qui consiste à ne pas laisser une situation administrative irrégulière, même prolongée, créer des droits acquis à un séjour. La cour prend soin de noter que la présence des requérants en France s’explique par l’examen de leurs demandes d’asile et qu’ils s’y sont maintenus après le rejet définitif de celles-ci. Ce faisant, elle considère que la durée du séjour ne constitue pas en soi un facteur d’intégration suffisant lorsqu’elle résulte de la longueur des procédures contentieuses et du non-respect de mesures d’éloignement antérieures. Cette analyse réaffirme le principe selon lequel l’étranger ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour fonder un droit au séjour. En conséquence, les éléments d’intégration tels que la scolarisation des enfants, bien que pris en compte, sont placés au second plan. La décision entérine une conception où la régularité du séjour demeure la condition préalable à la pleine reconnaissance des liens personnels et familiaux développés en France. La stabilité de la résidence et l’insertion sociale ne peuvent être valablement invoquées que si elles se sont construites dans un cadre légal.
B. L’intérêt supérieur de l’enfant apprécié au travers de la situation parentale
Bien que l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant soit invoqué, la cour ne lui confère pas une portée autonome qui primerait sur les autres considérations. L’intérêt supérieur des enfants est bien examiné, mais il est apprécié de manière globale, en lien indissociable avec la situation de leurs parents. La cour estime que cet intérêt n’est pas nécessairement de demeurer en France, mais plutôt de ne pas être séparé de leur cellule familiale. Puisque les parents ont vocation à retourner dans leur pays d’origine, l’intérêt des enfants est de les y accompagner pour y poursuivre leur scolarité. Cette approche subordonne de fait le bien-être de l’enfant à la régularité de la situation administrative de ses parents. Elle reflète une lecture où l’intérêt de l’enfant ne saurait faire obstacle à l’exécution d’une mesure d’éloignement légalement justifiée à l’encontre de ses parents. La solution, quoique conforme à une jurisprudence bien établie, interroge sur la portée effective de la « considération primordiale » que doit constituer l’intérêt de l’enfant dans toutes les décisions le concernant. En l’espèce, cet intérêt semble s’effacer devant les impératifs de la politique migratoire.