L’engagement d’un agent par une personne publique au moyen de contrats successifs sur une longue période engendre une situation précaire, source d’un contentieux abondant portant sur les conditions de leur éventuelle transformation en un contrat à durée indéterminée. Par un arrêt en date du 18 mars 2025, une cour administrative d’appel a eu à se prononcer sur le cas d’une assistante d’enseignement artistique employée depuis 2004, d’abord par une communauté urbaine, puis par un établissement public de coopération culturelle. L’agent avait été recruté sous divers statuts, incluant des vacations puis une série de contrats à durée déterminée, dont le dernier, arrivé à échéance en 2018, n’a pas été renouvelé par son employeur.
Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Strasbourg avait rejeté l’essentiel de ses demandes tendant à la requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée et à l’annulation de la décision de non-renouvellement. Le tribunal n’avait fait droit qu’à une indemnisation modique en réparation du préjudice moral résultant du non-respect du délai de prévenance. L’agent a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’ensemble de son ancienneté aurait dû être pris en compte pour lui octroyer le bénéfice d’un engagement à durée indéterminée, et que la décision de ne pas poursuivre la relation contractuelle était entachée d’illégalité.
Le problème de droit soumis aux juges d’appel consistait donc à déterminer si un agent contractuel, employé successivement par plusieurs personnes publiques puis sous des statuts et des catégories hiérarchiques distincts, peut se prévaloir de l’ensemble de son ancienneté pour obtenir la requalification de son engagement en contrat à durée indéterminée et, par suite, contester le bien-fondé du non-renouvellement de son dernier contrat.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’agent ne peut agréger les différentes périodes de service en raison d’un changement d’employeur, mais aussi d’une discontinuité dans la nature de ses fonctions et dans sa catégorie hiérarchique. Par conséquent, l’agent ne remplissait pas les conditions légales pour bénéficier d’un contrat à durée indéterminée. La cour estime en outre que la décision de non-renouvellement, bien que procéduralement imparfaite, était justifiée par un motif tiré de l’intérêt du service. La solution retenue par la cour repose sur une lecture stricte des conditions légales d’accès à un emploi permanent (I), qui la conduit logiquement à valider la décision de l’administration de ne pas poursuivre la relation de travail (II).
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I. Une interprétation stricte des conditions d’accès à l’emploi permanent
La cour administrative d’appel adopte une approche rigoureuse pour déterminer si l’agent pouvait prétendre à la transformation de son contrat en un engagement à durée indéterminée. Elle procède à une analyse fragmentée de la carrière de l’agent, refusant de considérer sa période d’emploi dans sa globalité. Cette analyse repose sur une application cloisonnée des conditions d’ancienneté (A) qui se double d’un refus d’assimiler des statuts d’emploi jugés discontinus (B).
A. L’application cloisonnée des conditions d’ancienneté
La cour écarte d’emblée la période de service accomplie par l’agent de 2004 à 2011, au motif qu’elle était employée par une autre personne publique. En jugeant que les conclusions dirigées contre le nouvel employeur pour cette période antérieure « ne sont pas dirigées contre la bonne personne publique », la cour rappelle un principe fondamental du droit de la fonction publique : les droits et obligations liés à un contrat ne se transfèrent pas automatiquement entre des entités juridiques distinctes, sauf disposition expresse. L’agent ne pouvait donc se prévaloir des années de service effectuées auprès de la communauté urbaine pour le calcul de son ancienneté auprès de l’établissement public qui lui a succédé comme employeur.
Cette approche, juridiquement orthodoxe, met en lumière la vulnérabilité des agents dont le lieu d’exercice et les fonctions demeurent identiques alors que la structure administrative qui les emploie évolue. L’agent, bien qu’ayant exercé dans la même école, se voit opposer la discontinuité des personnes morales qui l’ont recrutée. La solution illustre une application littérale des textes qui, si elle garantit la sécurité juridique, peut aboutir à des situations perçues comme inéquitables pour des agents engagés dans des relations de travail de longue durée.
B. Le refus d’assimiler des statuts d’emploi discontinus
Au-delà du changement d’employeur, la cour poursuit son analyse restrictive en disséquant la carrière de l’agent au sein même du dernier établissement. Elle refuse de prendre en compte la période 2011-2012, durant laquelle l’agent était employée comme vacataire. La cour juge que cette mission, limitée à une année scolaire, répondait à un « besoin ponctuel » et non à un besoin permanent, empêchant de la qualifier d’agent contractuel pour cette période. Cette distinction entre le vacataire et l’agent contractuel est classique, mais son application en l’espèce a pour effet de réduire encore l’ancienneté de l’intéressée.
De surcroît, la cour relève un changement de catégorie hiérarchique à partir de 2012, l’agent passant de fonctions de catégorie A à un poste de catégorie B. Or, les dispositions légales invoquées pour l’obtention d’un contrat à durée indéterminée exigent une durée de service de six ans sur des fonctions « relevant de la même catégorie hiérarchique ». Cette discontinuité dans le statut et la catégorie de l’emploi constitue le second obstacle majeur à la reconnaissance du droit de l’agent à un engagement permanent. L’analyse de la cour confirme que l’administration peut légalement faire usage de différents statuts contractuels qui, mis bout à bout, empêchent les agents d’atteindre les seuils d’ancienneté protecteurs.
II. La validation du non-renouvellement du contrat en dépit d’une procédure critiquable
Ayant écarté le droit de l’agent à la pérennisation de son contrat, la cour examine la légalité de la décision de non-renouvellement. Elle reconnaît l’existence d’irrégularités formelles mais choisit de les neutraliser au regard de la légalité substantielle de la décision. Cette démarche conduit à minimiser l’impact des vices de procédure (A) pour mieux consacrer une acception large de la notion d’intérêt du service (B).
A. La neutralisation des irrégularités procédurales
La cour constate que l’administration n’a pas respecté le délai de prévenance de deux mois pour notifier son intention de ne pas renouveler le contrat. L’agent n’a en effet été informé de manière certaine que douze jours avant l’échéance de son contrat. Cependant, le juge administratif considère que cette circonstance « est, néanmoins, sans incidence sur la légalité de la décision de ne pas le renouveler ». Cette formule, classique en contentieux administratif, illustre la théorie des vices de procédure non substantiels. Le juge estime que, même si le délai avait été respecté, la décision finale de l’administration aurait été identique. Le non-respect du délai n’a donc pas privé l’agent d’une garantie et ne suffit pas à entraîner l’annulation de la décision.
De même, la cour écarte l’argument tiré de l’absence d’entretien préalable obligatoire. Elle interprète strictement les textes pour conclure que cette obligation ne s’appliquait pas au type de contrat détenu par l’agent. En minimisant de la sorte les manquements procéduraux de l’administration, la décision confirme une jurisprudence qui tend à faire prévaloir le fond sur la forme, sauf lorsque l’irrégularité a exercé une influence concrète sur le sens de la décision prise. Une telle approche offre une grande sécurité aux décisions administratives, mais elle peut également être perçue comme une incitation à une certaine négligence procédurale de la part de l’administration.
B. L’appréciation extensive de la notion d’intérêt du service
En dernier lieu, la cour examine le motif de la décision de non-renouvellement. Un agent en contrat à durée déterminée ne bénéficie d’aucun droit au renouvellement, mais l’administration doit justifier sa décision par un motif tiré de l’intérêt du service. En l’espèce, la cour estime que ce motif est établi. L’établissement employeur avait organisé un concours pour pourvoir le poste, auquel l’agent a échoué. Par la suite, un processus de recrutement a été lancé, à l’issue duquel un autre candidat a été classé premier par le jury « au regard de leurs mérites professionnels respectifs ».
La cour en déduit que l’administration « justifie de l’intérêt du service à ne pas renouveler le contrat ». Cette solution réaffirme avec force que le choix du candidat jugé le plus méritant à l’issue d’une procédure de sélection constitue un intérêt du service légitime, qui prime sur la situation d’un agent en poste depuis plusieurs années. La portée de cette décision est significative : elle confère à l’administration une marge de manœuvre considérable pour gérer ses personnels non titulaires, en validant le recours à des procédures de mise en concurrence comme moyen de justifier le non-renouvellement d’un contrat, et ce, même lorsque le recrutement final porte sur un autre agent non titulaire.