Par un arrêt en date du 18 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy a été amenée à se prononcer sur les conditions dans lesquelles l’administration peut écarter les actes d’état civil étrangers produits à l’appui d’une demande de titre de séjour. En l’espèce, un ressortissant guinéen, entré sur le territoire français en 2018, avait été confié au service de l’aide sociale à l’enfance par un jugement du tribunal pour enfants de l’année 2019. Sur le fondement de sa prise en charge et de sa scolarisation, l’intéressé a sollicité, en 2020, la délivrance d’une carte de séjour temporaire.
Saisi de cette demande, le préfet de Meurthe-et-Moselle a, par un arrêté du 18 janvier 2023, refusé de délivrer le titre de séjour, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de A…, qui, par un jugement du 6 juillet 2023, a rejeté sa demande. L’intéressé a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la présomption de validité de ses actes d’état civil n’avait pas été renversée par l’administration, qu’il remplissait les conditions d’obtention d’un titre de séjour en tant qu’ancien mineur confié à l’aide sociale à l’enfance et que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La question de droit qui se posait à la cour était donc de déterminer si un ensemble d’éléments matériels et d’expertises mettant en évidence des anomalies et des incohérences suffisait à l’administration pour renverser la présomption de validité d’actes d’état civil étrangers, sans qu’une vérification formelle auprès des autorités du pays d’origine soit nécessaire.
La Cour administrative d’appel de Nancy a rejeté la requête, confirmant la légalité du refus de titre de séjour. Elle a jugé que les « atypismes », les erreurs formelles relevées sur les documents par un rapport d’examen technique, ainsi que les conclusions d’une expertise médico-légale constituaient des « circonstances [qui] suffisent à faire naître un doute caractérisé sur le caractère frauduleux des documents présentés et sont de nature à renverser la présomption de validité ». Par conséquent, la cour a estimé que le requérant ne justifiait pas de son état civil de manière probante, ce qui faisait obstacle à sa demande de titre de séjour. Cette décision, en confirmant le pouvoir de l’administration de contester la force probante des actes étrangers (I), souligne la place centrale de l’appréciation souveraine du juge dans le contrôle de la matérialité des faits (II).
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I. La contestation de la force probante des actes d’état civil étrangers
La Cour administrative d’appel, en validant le raisonnement du préfet, rappelle la portée de la présomption de validité attachée aux actes d’état civil étrangers (A) avant de confirmer les modalités de son renversement par l’administration (B).
**A. Une présomption de validité à caractère simple**
L’article 47 du code civil énonce que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ». Ce texte consacre une présomption de régularité pour les documents établis par une autorité étrangère. Cependant, cette présomption n’est pas irréfragable ; le même article précise qu’elle peut être écartée « si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
Dans le cas présent, le requérant se prévalait de cette présomption pour contester le refus du préfet. La cour prend soin de rappeler ce principe, qui constitue le point de départ de l’analyse. Elle souligne qu’il incombe en principe à l’administration d’apporter la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme des documents qui lui sont présentés. L’enjeu est de taille, car la reconnaissance de l’état civil conditionne l’accès à de nombreux droits, dont le droit au séjour. La décision illustre ainsi la tension entre la foi attachée à un acte officiel étranger et la nécessité pour l’administration de s’assurer de l’identité réelle des personnes qui sollicitent un droit sur son territoire.
**B. Le renversement de la présomption par un faisceau d’indices**
La Cour administrative d’appel confirme que l’administration peut renverser cette présomption en se fondant sur un ensemble d’éléments concordants. En l’espèce, le préfet ne s’est pas contenté d’un doute abstrait, mais s’est appuyé sur des éléments matériels précis. La cour énumère un « rapport d’examen technique documentaire » qui relève des « atypismes » et des formes « incorrectes », ainsi qu’une « expertise médico-légale » qui concluait à la majorité probable de l’intéressé.
C’est la convergence de ces éléments qui fonde la conviction du juge. La cour estime en effet que « ces circonstances suffisent à faire naître un doute caractérisé sur le caractère frauduleux des documents présentés ». Elle entérine ainsi la méthode du faisceau d’indices, bien connue en droit administratif, pour écarter un acte qui, pris isolément, aurait pu bénéficier d’une présomption de validité. La décision montre que l’administration n’est pas tenue de prouver la fraude de manière absolue, mais doit seulement établir un doute suffisamment sérieux et étayé pour que la charge de la preuve soit en quelque sorte retournée au demandeur.
La solution retenue par la cour, si elle s’inscrit dans une approche classique du contrôle administratif, met en lumière le rôle déterminant du juge dans l’appréciation de la valeur probante des éléments qui lui sont soumis.
II. L’office du juge dans l’appréciation des doutes sur l’authenticité
L’arrêt illustre la pleine compétence du juge administratif pour se forger sa propre conviction au regard des pièces du dossier (A), aboutissant à une solution d’espèce dont la portée reste mesurée (B).
**A. L’appréciation souveraine des éléments de preuve**
La cour ne se limite pas à constater que l’administration a un doute ; elle examine la pertinence des éléments qui le fondent. Il est rappelé qu’il appartient au juge de « former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ». Cette formule souligne que le juge n’est lié ni par l’affirmation du requérant, ni par les suspicions du préfet. Il exerce un contrôle concret et approfondi sur la matérialité des faits.
La cour précise également un point important de procédure : « l’autorité administrative n’est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d’un autre État afin d’établir qu’un acte d’état civil (…) est dépourvu d’authenticité ». Cette précision est essentielle. Elle évite d’imposer à l’administration une charge excessive, voire impossible à satisfaire, lorsque la coopération internationale est difficile ou lorsque la fraude est manifeste. En validant cette approche pragmatique, la cour renforce l’efficacité du contrôle de l’administration, sous la surveillance du juge qui doit veiller à ce que le doute soit suffisamment caractérisé pour justifier une telle abstention.
**B. Une solution d’espèce aux conséquences logiques**
La portée de cet arrêt doit être appréciée avec mesure. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais de l’application de principes bien établis à une situation factuelle particulière. La solution dépend entièrement des éléments spécifiques du dossier : la nature des anomalies sur les documents, la présence d’une expertise technique et d’un examen médical. En l’absence d’un tel faisceau d’indices, la solution aurait sans doute été différente. Il s’agit donc bien d’une décision d’espèce.
La force de cette décision réside dans sa logique implacable. Une fois la non-fiabilité de l’état civil établie, les autres moyens du requérant s’effondrent. La demande au titre de l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui suppose d’avoir été confié à l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de seize ans, devient infondée, car la date de naissance n’est plus prouvée. De même, l’argument tiré de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est affaibli, car l’ancienneté du séjour et l’intensité des liens en France ne peuvent être appréciées avec certitude. La décision de la cour est ainsi une parfaite illustration de la manière dont une question préjudicielle, celle de l’état civil, peut déterminer l’issue de l’ensemble d’un contentieux du droit des étrangers.