En l’espèce, une décision rendue par une cour administrative d’appel le 18 mars 2025 examine les conditions de légalité d’une mesure d’assignation à résidence prise à l’encontre de ressortissants étrangers sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français. Des ressortissants étrangers, entrés régulièrement en France mais s’y étant maintenus après l’expiration de leur droit au séjour, ont fait l’objet d’arrêtés préfectoraux leur refusant la délivrance de titres de séjour et leur faisant obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours. N’ayant pas déféré à ces obligations, l’autorité administrative a pris à leur encontre, plusieurs mois plus tard, des arrêtés d’assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Les intéressés ont contesté ces mesures d’assignation à résidence devant le tribunal administratif, qui a rejeté leurs demandes. Ils ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant l’illégalité des assignations à résidence. À l’appui de leur argumentation, ils ont notamment soulevé, par la voie de l’exception, l’illégalité des décisions initiales portant obligation de quitter le territoire, arguant que celles-ci n’étaient pas définitives et que, par conséquent, une perspective raisonnable d’éloignement faisait défaut.
La question de droit soulevée devant la cour était donc de savoir si le caractère non définitif d’une obligation de quitter le territoire français, en raison d’un recours contentieux pendant, fait obstacle à ce que l’autorité administrative puisse légalement prendre une mesure d’assignation à résidence pour garantir l’exécution de ladite obligation.
La cour administrative d’appel répond par la négative et rejette les requêtes. Elle juge que l’absence de caractère définitif d’une décision d’éloignement ne la prive pas de son caractère exécutoire une fois le délai de recours expiré ou, en cas de saisine, après que le juge de première instance a statué. Par conséquent, la perspective d’éloignement demeure raisonnable et justifie le recours à une mesure coercitive telle que l’assignation à résidence pour s’assurer de la future exécution de l’obligation.
Il convient d’analyser la manière dont le juge administratif conforte la légalité de l’assignation à résidence en la rattachant étroitement à la force exécutoire de l’obligation de quitter le territoire (I), avant d’examiner comment cette solution s’appuie sur un contrôle limité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux par la décision d’éloignement initiale (II).
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I. La validation de l’assignation à résidence, une mesure consécutive à une obligation de quitter le territoire exécutoire
La cour confirme la validité de l’assignation à résidence en distinguant clairement le caractère non définitif d’une décision de sa force exécutoire (A), ce qui lui permet de reconnaître le caractère nécessaire de la mesure de police administrative contestée (B).
A. L’articulation entre le caractère non définitif et la force exécutoire de l’obligation de quitter le territoire
L’argument principal des requérants reposait sur l’idée que la perspective raisonnable d’éloignement, condition de l’assignation à résidence, ne pouvait être établie tant que la légalité de l’obligation de quitter le territoire n’avait pas été définitivement tranchée en justice. La cour écarte ce raisonnement en opérant une distinction fondamentale du droit administratif contentieux. Elle rappelle que si l’administration ne peut procéder à une exécution d’office avant que le juge n’ait statué en première instance, cette suspension temporaire ne remet pas en cause le principe même de l’applicabilité de la décision.
Ainsi, la cour énonce que « l’absence de caractère définitif de cette décision n’a, en revanche, pas pour effet de la priver de son caractère exécutoire ». Cette précision est essentielle car elle signifie que, dès lors que le délai de départ volontaire est expiré et que les voies de recours ordinaires n’ont plus d’effet suspensif automatique, l’administration est en droit de préparer l’exécution de sa décision. L’assignation à résidence devient alors un outil à sa disposition pour s’assurer que l’étranger demeure à sa disposition en vue de son éloignement effectif, lequel reste une « perspective raisonnable ».
B. La consécration du caractère nécessaire de l’assignation à résidence
Une fois le principe de l’existence d’une perspective raisonnable d’éloignement posé, la cour examine le caractère nécessaire de la mesure. En l’espèce, les ressortissants étrangers n’avaient pas respecté l’obligation de quitter le territoire qui leur avait été notifiée plusieurs mois auparavant. Ce manquement à leur obligation est un élément factuel déterminant pour l’administration. La cour valide ce constat en se fondant sur les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Elle juge en effet que « lorsque l’étranger n’a pas satisfait à son obligation d’exécuter la décision d’éloignement dont il fait l’objet, l’autorité administrative peut décider de l’assigner à résidence, une telle décision étant nécessaire en vue de l’exécution d’office de cette obligation ». Loin d’être une mesure disproportionnée, l’assignation à résidence est présentée comme une alternative à la rétention administrative, justifiée par le comportement de l’étranger qui, en se maintenant sur le territoire, rend incertaine l’exécution de la décision d’éloignement sans une mesure de surveillance. Le juge confirme ainsi que la nécessité de la mesure découle directement de la non-exécution de l’obligation de départ.
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II. Le contrôle restreint de l’atteinte aux droits fondamentaux, fondement de la légalité de la mesure d’éloignement
La solidité de la décision d’assignation à résidence dépend de la légalité de l’obligation de quitter le territoire initialement prononcée. Le juge d’appel, saisi par voie d’exception, procède à une appréciation factuelle de l’atteinte au droit à la vie privée et familiale (A), ce qui aboutit à la confirmation d’une solution d’espèce à la portée jurisprudentielle limitée (B).
A. L’appréciation factuelle de l’atteinte au droit à la vie privée et familiale
Les requérants invoquaient une violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale, garanti tant par l’accord franco-algérien que par la Convention européenne des droits de l’homme. Pour écarter ce moyen, le juge se livre à un contrôle de proportionnalité concret, mettant en balance l’intérêt général qui s’attache à l’exécution des décisions d’éloignement et la situation personnelle et familiale des intéressés. Plusieurs éléments factuels sont pris en compte, tels que la durée et les conditions du séjour, la solidité des attaches en France et l’existence de liens dans le pays d’origine.
La cour relève que les séjours des requérants étaient relativement récents, qu’ils s’étaient maintenus en situation irrégulière et que leurs liens familiaux se limitaient à la cellule familiale elle-même visée par les mesures d’éloignement. Elle en conclut que « compte tenu des durées et des conditions des séjours des requérants en France, il ne ressort pas des pièces des dossiers que leurs liens personnels et familiaux en France seraient tels que les refus du préfet […] porteraient à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ». Le juge administratif réaffirme ici sa méthode classique du bilan, où l’intégration en France doit être suffisamment ancienne et stable pour faire obstacle à une mesure d’éloignement.
B. La confirmation d’une solution d’espèce à la portée limitée
En définitive, cette décision s’inscrit dans une jurisprudence bien établie et apparaît davantage comme une décision d’espèce qu’un arrêt de principe. Le raisonnement de la cour est fortement ancré dans les faits particuliers du dossier. Les éléments soulevés par les requérants, comme la scolarisation ou les inconvénients liés à la mesure, sont jugés insuffisants pour remettre en cause la légalité des arrêtés. La cour précise d’ailleurs qu’une mesure d’assignation à résidence « n’est pas subordonnée à la condition qu’elles n’emportent pas d’inconvénients pour les personnes en faisant l’objet ».
Cette affirmation illustre le fait que, dans le contentieux du droit des étrangers, le juge applique avec rigueur les critères légaux et ne reconnaît une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux que dans des circonstances exceptionnelles. La portée de cet arrêt est donc principalement de rappeler aux praticiens et aux justiciables la logique séquentielle du droit de l’éloignement : une obligation de quitter le territoire exécutoire mais non exécutée par l’étranger ouvre à l’administration la faculté de prendre des mesures coercitives pour en garantir l’effectivité, sauf à démontrer une atteinte exceptionnellement grave à une liberté fondamentale.