Cour d’appel administrative de Nancy, le 19 décembre 2024, n°22NC00098

Par un arrêt en date du 19 décembre 2024, la Cour administrative d’appel a tranché une affaire relative aux conditions d’imposition en France d’un contribuable résident fiscal français, mais percevant des revenus d’une activité exercée au Luxembourg. L’administration fiscale avait procédé à un redressement fiscal portant, d’une part, sur une prétendue activité de consultant informatique non déclarée, et, d’autre part, sur les salaires perçus d’une société luxembourgeoise. Le contribuable soutenait n’avoir jamais exercé d’activité indépendante et affirmait que ses salaires, liés à un emploi exercé au Luxembourg, n’étaient pas imposables en France.

Saisi du litige, le tribunal administratif de Strasbourg avait rejeté la demande du contribuable par un jugement du 9 novembre 2021. Ce dernier a donc interjeté appel de cette décision. Il s’agissait alors pour la Cour de déterminer si l’administration fiscale rapportait une preuve suffisante de l’exercice d’une activité occulte justifiant une imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, et si les salaires perçus pour une activité exercée au Luxembourg pour un employeur luxembourgeois pouvaient être soumis à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales en France, malgré les dispositions conventionnelles et européennes.

À cette double interrogation, la Cour administrative d’appel a répondu par la négative. Elle a jugé que les éléments fournis par l’administration n’étaient pas suffisants pour établir l’existence d’une activité indépendante distincte de l’emploi salarié, relevant qu’« une telle circonstance ne suffirait pas à établir l’existence d’une activité non commerciale indépendante distincte de son emploi salarié ». Concernant les salaires, elle a estimé que, l’activité ayant été exercée au Luxembourg, les stipulations de la convention fiscale franco-luxembourgeoise faisaient obstacle à leur imposition en France, et que le principe d’unicité de la législation de sécurité sociale prévu par le droit de l’Union européenne interdisait leur assujettissement aux contributions sociales françaises.

L’arrêt permet ainsi de réaffirmer, d’une part, les exigences probatoires pesant sur l’administration fiscale lorsqu’elle allègue l’existence d’une activité occulte (I), et de rappeler, d’autre part, la primauté des conventions internationales et du droit de l’Union européenne en matière d’imposition des revenus de source étrangère (II).

I. La censure de la qualification d’activité occulte faute de preuve probante

La Cour a d’abord examiné les rectifications fondées sur l’existence supposée d’une activité de consultant indépendant. Elle a exercé un contrôle rigoureux sur les éléments de preuve apportés par l’administration, les jugeant insuffisants (A), ce qui a eu pour conséquence de priver de fondement l’ensemble du régime d’imposition appliqué à ce titre (B).

A. L’appréciation restrictive des éléments de preuve fournis par l’administration fiscale

L’administration fiscale fondait ses allégations sur des renseignements transmis par son homologue luxembourgeoise, incluant un tableau et des relevés de compte. La Cour s’est livrée à une analyse minutieuse de chaque élément pour en contester la force probante. Elle a notamment relevé que l’interprétation par l’administration de certains termes et opérations financières était erronée.

En effet, la juridiction a souligné que les documents présentés ne permettaient pas de conclure à l’exercice d’une activité de consultant indépendant pour des clients propres, distincte de l’activité salariée. Elle a notamment écarté la qualification d’honoraires donnée par l’administration à des sommes désignées par le terme « margin call », rappelant que celui-ci a une signification financière précise qui ne correspond pas au paiement de prestations. La Cour a précisé que « le terme  » margin call  » en anglais signifiant l’appel de marge effectué par un établissement financier à son client afin qu’il comble un découvert sur ses positions à terme et non pas le paiement d’honoraires de prestations de services ». De même, les crédits intitulés « bonifications » sur un compte bancaire ont été jugés non probants, le requérant ayant démontré qu’il s’agissait de virements entre ses propres comptes. En agissant de la sorte, la Cour réaffirme que la charge de la preuve de l’existence d’une activité imposable incombe à l’administration, et que cette preuve ne peut reposer sur des suppositions ou des interprétations extensives d’éléments ambigus.

B. Le rejet conséquent du régime d’imposition des bénéfices non commerciaux

La réfutation de l’existence même de l’activité indépendante a logiquement entraîné l’annulation de toutes les conséquences fiscales que l’administration en avait tirées. En l’absence de revenus issus d’une occupation lucrative ne se rattachant pas à une autre catégorie, l’imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement de l’article 92 du code général des impôts était infondée.

Par voie de conséquence, la procédure d’évaluation d’office, appliquée sans mise en demeure préalable en raison du caractère prétendument occulte de l’activité, a été jugée irrégulière. L’absence d’activité occulte avérée a également privé de base légale l’application du délai de reprise étendu à dix ans prévu par l’article L. 169 du livre des procédures fiscales. La décision illustre ainsi parfaitement le lien de dépendance entre la qualification des faits et le régime de procédure et de fond applicable. En censurant la qualification initiale, la Cour a invalidé l’ensemble de la construction juridique de l’administration, y compris les pénalités pour activité occulte. Cet arrêt rappelle que les procédures dérogatoires et les délais de prescription étendus, qui sont des mesures graves, ne peuvent être mis en œuvre que si les faits qui les justifient sont établis de manière incontestable.

II. La consécration de l’exonération des revenus salariaux de source luxembourgeoise

Dans un second temps, la Cour s’est prononcée sur le sort des salaires perçus par le contribuable. Elle a confirmé leur non-imposabilité en France en se fondant successivement sur la convention fiscale bilatérale pour l’impôt sur le revenu (A) et sur le droit de l’Union européenne pour les contributions sociales (B).

A. L’application de la convention fiscale bilatérale pour l’impôt sur le revenu

La Cour a suivi le raisonnement classique en matière de fiscalité internationale. Après avoir constaté que le contribuable était bien résident fiscal de France, ce qui le rendait en principe passible de l’impôt sur l’ensemble de ses revenus en vertu de l’article 4 A du code général des impôts, elle a vérifié si la convention franco-luxembourgeoise faisait obstacle à cette imposition.

Pour ce faire, le point déterminant était le lieu d’exercice de l’activité. Contrairement à ce que soutenait l’administration, la Cour a estimé que le lieu de travail effectif et habituel se situait au Luxembourg, notamment dans les locaux du Parlement européen, client de l’employeur. Elle a jugé que l’usage de la faculté de télétravail en France n’était pas établi à titre habituel, concluant que « le lieu d’exercice de l’activité salariée de M. B… au cours des années litigieuses était le Luxembourg ». Dès lors, en application de l’article 14 de la convention fiscale, qui attribue le droit d’imposer les salaires à l’État où s’exerce l’activité personnelle, la France n’était pas compétente pour imposer ces revenus. L’arrêt réaffirme ainsi la règle fondamentale de la localisation de l’activité comme critère d’attribution du droit d’imposer les salaires et la pleine portée des conventions bilatérales, qui priment sur la loi fiscale interne.

B. L’invocabilité du droit de l’Union européenne pour les contributions sociales

Concernant les contributions sociales (CSG et CRDS), la Cour a changé de fondement juridique pour se baser sur le droit de l’Union européenne, et plus particulièrement sur les règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale. Elle a rappelé le principe d’unicité de la législation applicable, consacré par le règlement (UE) n° 883/2004, selon lequel un travailleur ne peut être soumis qu’à la législation de sécurité sociale d’un seul État membre.

Le contribuable ayant justifié de son affiliation au régime de sécurité sociale luxembourgeois au titre de son activité salariée, il ne pouvait être assujetti en même temps aux prélèvements sociaux en France sur ces mêmes revenus. La Cour a donc logiquement conclu qu’en soumettant ces salaires aux contributions sociales, « l’administration fiscale a méconnu le principe d’unicité des législations de sécurité sociale ». Cette solution, constante en jurisprudence, souligne la distinction de nature juridique entre l’impôt sur le revenu, régi par les conventions fiscales bilatérales, et les prélèvements sociaux qui, en dépit de leur recouvrement par l’administration fiscale, relèvent du champ de la sécurité sociale et sont donc soumis aux règles de coordination de l’Union européenne. L’arrêt offre une illustration claire de l’articulation entre ces différentes sources de droit pour garantir la situation juridique du travailleur mobile au sein de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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