Par un arrêt en date du 19 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur la légalité du refus de délivrance d’un titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, au motif principal du caractère douteux des documents d’état civil produits à l’appui de sa demande.
Un individu se déclarant ressortissant malien, entré en France en 2019 et pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour après sa majorité. Le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté sa demande par un arrêté du 6 décembre 2021, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande d’annulation de ce refus de séjour par un jugement du 25 mai 2022. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’administration n’avait pas légalement renversé la présomption d’authenticité de ses actes d’état civil étrangers. La question de droit posée à la cour était de déterminer si un faisceau d’indices matériels, relevés par un rapport technique, suffit à l’administration pour écarter la force probante d’actes d’état civil étrangers et, par conséquent, refuser un titre de séjour dont l’obtention est conditionnée à l’âge du demandeur. La Cour administrative d’appel de Nancy a confirmé le jugement de première instance, estimant que l’accumulation d’irrégularités et d’incohérences factuelles suffit à renverser la présomption de validité attachée aux documents d’état civil en vertu de l’article 47 du code civil.
La décision de la cour s’articule autour de la confirmation de la méthode d’appréciation de l’administration face à des actes contestés, avant d’en tirer les conséquences inéluctables sur le droit au séjour du demandeur.
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I. La consolidation de la méthode administrative d’appréciation de la force probante des actes d’état civil étrangers
La cour valide le raisonnement du préfet en rappelant d’abord que la présomption de validité des actes étrangers n’est pas absolue, puis en admettant qu’un ensemble d’indices techniques peut suffire à la renverser.
A. Le caractère réfragable de la présomption de validité attachée aux actes étrangers
La cour rappelle la règle posée par l’article 47 du code civil, selon lequel un acte d’état civil étranger fait foi en France. Elle précise cependant immédiatement la portée de cette présomption. En effet, cette dernière n’est pas irréfragable et peut être combattue par l’administration. Pour ce faire, il lui appartient d’établir le caractère frauduleux ou erroné du document. La charge de la preuve incombe donc à l’autorité administrative qui entend écarter un tel acte. L’arrêt souligne qu’il incombe à cette dernière « de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ».
Cette solution, classique en jurisprudence, réaffirme que le juge administratif exerce un plein contrôle sur l’appréciation des actes d’état civil. Il ne s’agit pas pour l’administration de simplement émettre un doute, mais bien de le fonder sur des éléments concrets et objectifs. La cour rappelle que le juge forme sa propre conviction « au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ». Ainsi, la présentation par l’étranger d’autres documents, comme une carte consulaire ou un passeport, doit être prise en compte, sans pour autant que ces pièces bénéficient d’une force probante supérieure par principe.
B. La reconnaissance du faisceau d’indices techniques comme preuve de la falsification
Dans cette affaire, pour écarter les documents produits, le préfet s’est appuyé sur un rapport d’examen technique documentaire. L’arrêt prend soin de détailler les nombreux éléments soulevés par ce rapport, démontrant une analyse approfondie et non une simple suspicion. Parmi les irrégularités constatées figuraient l’usage d’une technique d’impression inappropriée, l’absence d’informations obligatoires comme le numéro d’identification nationale (NINA) ou la qualité de l’officier d’état civil, des dimensions irrégulières du document et des incohérences entre les différents actes produits.
La cour considère que ces multiples anomalies techniques et factuelles constituent un faisceau d’indices suffisant pour caractériser la nature apocryphe des documents. Elle estime que « ces circonstances sont propres à établir le caractère apocryphe des documents présentés » et sont « de nature à renverser la présomption de validité ». La cour écarte par ailleurs l’argument du requérant, fondé sur une attestation consulaire relative au caractère non modernisé des services d’état civil maliens, jugeant cette pièce insuffisante pour remettre en cause les conclusions de l’expertise. En se fondant sur des éléments aussi précis qu’une « erreur grossière » dans le texte préimprimé, la cour valide le refus du préfet, le considérant exempt d’erreur de fait et d’erreur manifeste d’appréciation.
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II. Les conséquences du défaut de preuve de l’état civil sur le droit au séjour
Une fois le caractère non probant des actes d’état civil établi, la cour en déduit logiquement l’impossibilité pour le requérant de bénéficier du régime de protection spécifique qu’il invoquait, tout en écartant les autres fondements possibles à sa demande de régularisation.
A. L’impossibilité de bénéficier du titre de séjour destiné aux jeunes majeurs
Le requérant fondait sa demande de titre de séjour sur l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte prévoit la délivrance d’une carte de séjour « vie privée et familiale » à l’étranger confié au service de l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de seize ans, sous certaines conditions. L’âge du demandeur constitue donc un critère essentiel d’éligibilité à ce dispositif. Or, en l’espèce, les documents censés établir l’âge du requérant ayant été jugés dépourvus de valeur probante, ce dernier ne pouvait plus justifier remplir cette condition.
La cour applique un raisonnement syllogistique rigoureux. Elle énonce que « dès lors que le préfet a valablement constaté que les documents présentés par M. A… ne permettaient pas d’établir son âge (…), le préfet pouvait, pour ce seul motif, refuser la demande de titre de séjour présentée par le requérant ». La contestation de l’état civil anéantit donc la base même de la demande de titre de séjour. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 423-22 est ainsi logiquement écarté, sans que la cour ait à examiner les autres conditions posées par le texte, telles que le caractère réel et sérieux du suivi de la formation.
B. L’appréciation restrictive des autres possibilités de régularisation
L’arrêt examine ensuite les autres fondements juridiques potentiels pour une admission au séjour. La cour écarte d’abord le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 423-23 du même code, le jugeant « inopérant » dès lors que l’intéressé n’avait pas sollicité de titre sur cette base en première instance. Plus significativement, elle se penche sur l’admission exceptionnelle au séjour prévue par l’article L. 435-1 du même code, qui permet de délivrer un titre pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels.
Malgré les éléments d’intégration mis en avant par le requérant, tels que le suivi d’une formation, la conclusion d’un contrat d’apprentissage et le bénéfice d’un contrat jeune majeur, la cour estime que ces éléments ne « constituent pas des motifs exceptionnels ou des circonstances humanitaires ». Ce faisant, elle confirme le large pouvoir d’appréciation dont dispose le préfet en la matière et refuse de censurer sa décision pour erreur manifeste d’appréciation. La situation personnelle du requérant, célibataire, sans charges de famille en France et ne démontrant pas être dépourvu de toute attache dans son pays d’origine, a pesé dans la balance. La cour confirme ainsi une approche stricte de l’admission exceptionnelle au séjour, qui ne saurait se substituer aux voies de régularisation de droit commun lorsque leurs conditions ne sont pas remplies.