Cour d’appel administrative de Nancy, le 19 décembre 2024, n°23NC03480

Par un arrêt en date du 19 décembre 2024, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conséquences d’une défaillance technique du réseau informatique des avocats au regard de la computation d’un délai de recours en contentieux des étrangers. En l’espèce, une ressortissante étrangère a fait l’objet, le 19 octobre 2023, de plusieurs décisions préfectorales, dont une obligation de quitter le territoire français sans délai et une assignation à résidence. L’intéressée a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de ces actes. Par une ordonnance du 30 octobre 2023, le magistrat désigné a rejeté sa demande comme tardive. La requérante a interjeté appel de cette ordonnance, faisant valoir que le non-respect du délai de recours de quarante-huit heures était imputable à une panne généralisée du réseau privé virtuel des avocats qui l’avait empêchée de déposer sa requête par voie dématérialisée, seule modalité de saisine prévue pour les avocats. Se posait donc à la cour la question de savoir si une panne avérée du portail de communication électronique obligatoire pouvait constituer une circonstance de force majeure justifiant la prorogation d’un délai de recours non susceptible d’extension. La cour administrative d’appel a répondu par la négative et a rejeté la requête. Elle a considéré qu’en dépit de l’indisponibilité de l’application informatique dédiée, il appartenait au conseil de la requérante d’utiliser toute autre voie de transmission pour saisir la juridiction avant l’expiration du délai. Le juge d’appel a constaté que le courriel adressé au greffe par l’avocate n’avait été envoyé qu’après la fin de ce délai, rendant ainsi la requête irrecevable.

Cette décision, qui réaffirme une application stricte des règles de procédure, illustre la prévalence de l’impératif de célérité sur les aléas techniques liés à la dématérialisation (I). Elle interroge néanmoins sur l’équilibre entre la sécurité juridique et le droit à un recours effectif pour les justiciables (II).

I. La confirmation d’une conception rigoureuse de l’obligation de diligence procédurale

La solution retenue par la cour administrative d’appel repose sur une lecture stricte des textes encadrant les délais de recours en matière d’éloignement des étrangers, réaffirmant leur caractère intangible (A). En conséquence, la défaillance d’un outil de communication, même obligatoire, est jugée insuffisante pour excuser la tardiveté de la saisine (B).

A. Le rappel de l’intangibilité des délais de recours en contentieux des étrangers

Le contentieux de l’éloignement des étrangers assorti d’une mesure de rétention ou d’assignation à résidence est soumis à des délais de recours particulièrement brefs. L’article L. 614-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa version alors applicable, enferme la saisine du tribunal administratif dans un délai de quarante-huit heures. Ce délai, qui court à compter de la notification des décisions, est conçu pour garantir un examen rapide de la situation de la personne privée de liberté.

La rigueur de ce dispositif est renforcée par les dispositions du code de justice administrative. L’article R. 776-5 précise que ces délais « ne sont susceptibles d’aucune prorogation ». La jurisprudence administrative a constamment confirmé le caractère impératif de ces délais, écartant toute possibilité de dérogation, y compris en cas d’erreur de l’administration ou de circonstances particulières tenant à la situation du requérant. L’arrêt commenté s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle en refusant de considérer la panne du réseau informatique comme un motif de report du délai. La cour rappelle ainsi que la célérité de la procédure constitue une garantie essentielle, tant pour l’administration, qui doit pouvoir exécuter ses décisions, que pour l’étranger, qui bénéficie d’un jugement rapide.

B. La neutralisation de la panne technique comme cause exonératoire

La requérante soutenait que la panne du réseau privé virtuel des avocats constituait un événement de force majeure, insurmontable et extérieur, qui aurait dû justifier la recevabilité de sa requête. La cour écarte cet argument en opérant une distinction fondamentale entre l’impossibilité de recourir au mode de saisine normal et l’impossibilité de saisir la juridiction elle-même. Si le juge reconnaît que l’interruption du service « était de nature à empêcher la saisine de la juridiction par la voie de Télérecours », il considère que cette circonstance ne dispensait pas l’avocat de sa mission.

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’obligation pour le mandataire d’anticiper les défaillances techniques et de mettre en œuvre des moyens alternatifs. L’arrêt énonce qu’il « incombait à la requérante ou à son conseil de saisir dans le délai de recours le greffe de la juridiction par tous moyens à charge ensuite de régularisation ». Cette formule consacre l’existence d’une obligation de diligence renforcée pesant sur l’auxiliaire de justice. Le recours à une télécopie, à un dépôt physique au greffe ou même à un courriel, sous réserve qu’il soit adressé en temps utile, demeure une possibilité qui doit être explorée. En l’espèce, l’envoi d’un message électronique après l’expiration du délai a été jugé inopérant, non pas en raison de sa forme, mais de sa tardiveté. La panne technique est ainsi ramenée au rang d’un simple obstacle, et non d’un empêchement absolu.

Cette interprétation exigeante des devoirs de l’avocat, si elle garantit l’efficacité des délais de procédure, soulève des questions quant à ses implications pratiques et sa compatibilité avec les garanties fondamentales du procès.

II. La portée d’une solution protectrice des exigences de la justice administrative

En faisant primer la stricte observance des délais sur les difficultés techniques rencontrées par les avocats, la cour administrative d’appel opère une répartition des risques liés à la dématérialisation qui tend à responsabiliser les professionnels du droit (A). Une telle approche, si elle est cohérente avec l’objectif de bonne administration de la justice, peut être discutée au regard de sa conciliation avec le droit à un recours juridictionnel effectif (B).

A. La responsabilisation accrue des auxiliaires de justice face à la dématérialisation

La dématérialisation des procédures judiciaires, si elle offre des gains d’efficacité, introduit une dépendance accrue à l’égard d’infrastructures technologiques qui ne sont pas infaillibles. L’arrêt commenté illustre la position du juge administratif face à ce risque : il appartient à l’utilisateur professionnel, en l’occurrence l’avocat, d’en assumer les conséquences et de prévoir des solutions de repli. Cette solution conduit à faire peser sur l’auxiliaire de justice une charge de prévoyance particulièrement lourde, surtout dans le cadre d’un délai de quarante-huit heures qui inclut des jours non ouvrés.

On peut y voir une incitation pour les professionnels à ne pas attendre le dernier moment pour accomplir leurs diligences et à se doter de moyens variés pour faire face à toute éventualité. Toutefois, cette exigence peut sembler excessive lorsque la panne est générale et que les alternatives ne sont ni explicitement prévues par les textes régissant l’application défaillante, ni toujours matériellement réalisables dans l’urgence. La décision ne précise pas, par exemple, comment un avocat qui n’exerce pas à proximité du siège de la juridiction pourrait matériellement déposer un recours au greffe durant un week-end. En se contentant d’affirmer qu’une saisine « par tous moyens » était possible, l’arrêt laisse une part d’incertitude sur les modalités pratiques de cette obligation.

B. Une conciliation discutable entre sécurité juridique et droit au recours effectif

En définitive, la décision procède à une mise en balance entre deux impératifs : la sécurité juridique, qui commande que les délais de recours soient fixes et prévisibles, et le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti notamment par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En refusant de considérer la panne technique comme une excuse légitime, la cour fait nettement prévaloir le premier impératif. La solution est rigoureuse mais cohérente, car admettre une dérogation reviendrait à ouvrir une brèche dans le caractère intangible des délais et à créer une source d’insécurité juridique, chaque panne pouvant donner lieu à un contentieux distinct sur son caractère insurmontable.

Cependant, on peut se demander si une application aussi stricte ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge. Dans une situation où l’unique voie de transmission légalement imposée à une profession est hors service, exiger la mise en œuvre de moyens alternatifs non standardisés, dans un délai très court, peut s’analyser comme une charge excessive. La solution aurait pu être différente si la panne avait été accompagnée d’une absence totale d’alternative crédible ou si le conseil avait démontré avoir tenté, en vain, de joindre le greffe par une autre voie avant l’expiration du délai. L’arrêt constitue ainsi un avertissement pour les praticiens, mais également un jalon dans la réflexion sur l’adaptation des règles de procédure à l’ère numérique, entre efficacité et équité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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