Par un arrêt en date du 20 février 2025, la Cour administrative d’appel s’est prononcée sur le recours d’un agent de la fonction publique hospitalière contestant l’évaluation de sa valeur professionnelle. En l’espèce, un infirmier psychiatrique affecté dans un service d’addictologie a fait l’objet d’une évaluation pour l’année 2020. Si sa notation chiffrée s’établissait à un niveau satisfaisant, les appréciations littérales formulées par sa hiérarchie étaient particulièrement critiques, relevant un manque d’investissement et de rigueur mettant en péril le suivi des patients. L’agent a sollicité la révision de cette évaluation auprès de son directeur, qui a rejeté sa demande par une décision du 22 février 2021. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Strasbourg a confirmé la légalité de ce rejet. L’infirmier a alors interjeté appel, arguant que les appréciations ne reflétaient pas sa valeur professionnelle et que l’enquête administrative menée était partiale, tout en produisant des témoignages de collègues en sa faveur. Il appartenait donc à la Cour administrative d’appel de déterminer si l’autorité hiérarchique commet une erreur manifeste d’appréciation en refusant de réviser les appréciations négatives portées sur un agent, lorsque ce dernier produit des témoignages favorables qui se heurtent à un ensemble de rapports et de constats contraires produits par l’administration. La Cour a rejeté la requête, jugeant que les éléments circonstanciés avancés par l’établissement hospitalier justifiaient les appréciations portées, écartant ainsi l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. Cette décision illustre l’application constante du contrôle restreint du juge sur l’évaluation des fonctionnaires (I), tout en précisant la méthode d’appréciation des preuves en présence d’éléments contradictoires (II).
I. L’exercice d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
La Cour administrative d’appel rappelle d’abord le cadre juridique de l’évaluation professionnelle avant d’appliquer son contrôle restreint sur les faits de l’espèce.
**A. Le cadre normatif de l’évaluation professionnelle des fonctionnaires hospitaliers**
La décision prend soin de viser l’ensemble des textes régissant l’appréciation de la valeur professionnelle des agents publics. Elle cite ainsi l’article 17 de la loi du 13 juillet 1983, qui consacre le droit pour tout fonctionnaire à une appréciation de sa valeur professionnelle fondée sur une évaluation individuelle. L’arrêt se réfère également aux dispositions spécifiques de la fonction publique hospitalière, notamment l’article 65 de la loi du 9 janvier 1986 et le décret du 12 juin 2020. Ces textes organisent la procédure d’évaluation autour d’un entretien professionnel annuel et fixent les critères d’appréciation, lesquels doivent porter sur « Les résultats professionnels », « Les compétences et connaissances », « La manière de servir » et « La capacité d’expertise ». Ce rappel normatif permet de souligner que l’évaluation n’est pas un acte discrétionnaire mais une procédure encadrée, qui doit reposer sur des éléments objectifs liés à l’exercice des fonctions de l’agent. La Cour s’assure ainsi que la procédure de contestation, incluant la saisine de l’autorité investie du pouvoir de nomination puis, le cas échéant, de la commission administrative paritaire, a été respectée.
**B. Un contrôle restreint à la censure de l’erreur manifeste**
En matière d’évaluation professionnelle, le juge administratif exerce un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Il ne lui appartient pas de se substituer à l’autorité hiérarchique pour apprécier la valeur professionnelle d’un agent, mais seulement de vérifier que l’appréciation portée ne repose pas sur des faits matériellement inexacts ou n’est pas entachée d’une erreur de qualification juridique des faits ou d’une disproportion évidente. En l’espèce, la Cour examine si les appréciations litigieuses, selon lesquelles l’agent « ne met pas son expérience professionnelle et ses compétences au service de la prise en charge du patient en addictologie », sont manifestement erronées. La conclusion de la Cour est sans équivoque : « M. B… n’est pas fondé à soutenir que le directeur du centre hospitalier de Jury aurait entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation en rejetant sa demande de révision de sa fiche d’évaluation professionnelle au titre de l’année 2020 ». Ce faisant, elle refuse d’entrer dans le détail de l’évaluation et se borne à constater que la décision attaquée n’est pas entachée d’une erreur flagrante.
II. La prévalence d’un faisceau d’indices sur des témoignages isolés
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour opère une mise en balance des éléments produits par les deux parties, en accordant une force probante supérieure aux rapports circonstanciés de l’administration.
**A. La confrontation des éléments de preuve contradictoires**
Le requérant, pour contester les appréciations de ses supérieurs, « se prévaut du témoignage de collègues qui le décrivent comme un infirmier alerte et consciencieux ». Face à ces éléments, l’établissement hospitalier produit des pièces qui dressent un portrait bien différent de l’agent. La Cour relève en effet l’existence de « rapports circonstanciés des 16 juin et 17 décembre 2020 » qui font état de « manquements professionnels de M. B… dans le protocole de suivi et de sortie de service d’un patient, d’une défiance de ses collègues, d’un manque de concertation, de dialogue et d’investissement dans la vie du service ». De plus, l’arrêt mentionne que si « certains témoignages de collègues louent le professionnalisme de l’intéressé, d’autres témoignages mettent en exergue une attitude indélicate voire négligente à l’égard des patients ». La Cour se trouve donc face à deux ensembles de preuves qui s’opposent directement, l’un vantant le professionnalisme de l’agent, l’autre dénonçant de graves insuffisances.
**B. La confirmation de la marge d’appréciation de l’autorité hiérarchique**
Face à cette contradiction, la Cour fait prévaloir les éléments à charge fournis par l’employeur. Elle estime que le faisceau d’indices constitué par les rapports hiérarchiques, les comptes rendus d’entretien et les témoignages concordants faisant état de difficultés relationnelles et de manquements professionnels est suffisant pour justifier légalement les appréciations négatives. Les témoignages favorables produits par le requérant ne suffisent pas à établir que l’administration aurait commis une erreur manifeste dans son appréciation. Cette solution confirme que l’autorité hiérarchique dispose d’une large marge d’appréciation pour évaluer ses agents. Tant que son jugement s’appuie sur des faits précis, matériels et concordants, le juge ne le remettra pas en cause, même en présence d’éléments contraires. Cette décision, qui s’inscrit dans une jurisprudence constante, constitue un arrêt d’espèce dont la solution est entièrement dictée par l’analyse factuelle et la solidité des pièces versées au dossier par l’administration.