Cour d’appel administrative de Nancy, le 20 mars 2025, n°24NC00631

Par un arrêt en date du 20 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un citoyen algérien, entré irrégulièrement sur le territoire national et qui s’y maintenait sans titre de séjour, a fait l’objet d’un contrôle alors qu’il exerçait une activité professionnelle non déclarée. L’autorité préfectorale a pris à son encontre un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour d’une durée d’un an. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Nancy afin d’obtenir l’annulation de cette décision, mais sa demande a été rejetée. Il a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’arrêté était entaché d’une erreur de droit, l’administration n’ayant pas fait une correcte application de l’accord franco-algérien, et d’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation personnelle. Il appartenait donc aux juges du fond de déterminer si l’autorité préfectorale pouvait légalement fonder sa décision sur les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et si l’appréciation des faits justifiait l’ensemble des mesures prononcées. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que l’arrêté n’est entaché d’aucune des illégalités soulevées.

La décision de la cour administrative d’appel confirme ainsi la pleine applicabilité du droit commun de l’éloignement à un ressortissant algérien en situation irrégulière, en procédant à une interprétation stricte des conditions de son intégration (I). Elle valide par voie de conséquence les mesures accessoires à l’obligation de quitter le territoire, qui en renforcent le caractère coercitif (II).

I. La confirmation de la légalité de l’obligation de quitter le territoire

La cour valide le raisonnement de l’autorité préfectorale en écartant l’application exclusive de l’accord franco-algérien en matière d’éloignement (A), et en retenant une appréciation restrictive des liens de l’intéressé avec la France (B).

A. L’application du droit commun de l’éloignement au détriment de l’accord franco-algérien

La juridiction administrative rappelle que les mesures d’éloignement visant les ressortissants algériens ne relèvent pas du champ d’application de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Elle juge en effet que cet accord « n’ayant pas pour objet de régir les mesures d’éloignement applicables aux ressortissants des Etats parties à cette convention se trouvant en situation irrégulière sur le territoire de l’autre Etat », l’autorité préfectorale a pu légalement se fonder sur les dispositions de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette solution réaffirme une jurisprudence constante qui opère une distinction claire entre le régime de l’entrée et du séjour des Algériens, qui est régi de manière complète et exclusive par l’accord, et celui de leur éloignement, qui demeure soumis au droit commun. Le juge précise néanmoins que l’administration a bien procédé à un examen de la situation de l’étranger au regard de l’accord, en vérifiant s’il pouvait « prétendre de plein droit à un certificat de résidence », ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Cette approche pragmatique permet de s’assurer que l’étranger ne remplit les conditions d’aucun titre de séjour, que ce soit en vertu du droit spécial ou du droit commun, avant de valider la mesure d’éloignement.

B. L’appréciation restrictive de l’intégration personnelle et professionnelle

La cour administrative d’appel exerce ensuite un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la situation du requérant, en se livrant à une analyse détaillée des éléments produits. Elle considère que la présence de l’intéressé sur le territoire, estimée à environ un an et demi au plus, un hébergement précaire, et une situation familiale caractérisée par l’absence de charges de famille et la présence de la plupart de ses proches en Algérie, ne constituent pas des liens privés et familiaux d’une intensité suffisante. Sur le plan professionnel, les juges estiment que l’occupation irrégulière d’un emploi, même corroborée par une promesse d’embauche postérieure à la décision, « ne saurait attester une intégration professionnelle particulière ». De même, la cour écarte la situation particulière du père du requérant, ancien supplétif de l’armée française, en jugeant qu’elle « ne saurai[t] établir l’existence de liens d’une particulière intensité avec la société française ». Cette appréciation sévère des critères d’intégration témoigne de la marge de manœuvre considérable laissée à l’administration, le juge ne censurant que les erreurs les plus flagrantes dans l’évaluation des situations individuelles.

Ayant ainsi validé le principe même de l’obligation de quitter le territoire, la cour examine les décisions qui l’accompagnent et qui visent à garantir son exécution effective.

II. La validation des mesures accessoires renforçant l’éloignement

Le rejet des moyens dirigés contre l’obligation de quitter le territoire entraîne logiquement la validation des autres mesures, qu’il s’agisse du refus d’accorder un délai de départ volontaire (A) ou du prononcé d’une interdiction de retour sur le territoire français (B).

A. La justification du refus de délai de départ volontaire

La cour confirme la légalité du refus d’octroyer un délai de départ volontaire, mesure qui oblige l’étranger à quitter le territoire sans délai. Elle relève que l’administration s’est fondée sur le « risque que l’étranger se soustraie à la décision », lequel est présumé par l’article L. 612-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile lorsque l’étranger est entré irrégulièrement et n’a pas sollicité de titre de séjour. Le requérant se trouvant dans ce cas de figure, il lui incombait de démontrer l’existence de « circonstances particulières » pour renverser cette présomption. Or, la cour juge que le fait d’avoir « déclaré aux policiers qui recueillaient ses observations qu’il souhaitait régulariser sa situation » ne constitue pas une telle circonstance. Cette analyse montre que la présomption de risque de fuite est difficile à combattre en pratique, conduisant à une application quasi automatique du départ sans délai pour une catégorie importante d’étrangers en situation irrégulière. La décision est ainsi privée d’un délai qui lui permettrait d’organiser son départ, ce qui justifie en retour le prononcé d’une interdiction de retour.

B. Le caractère proportionné de l’interdiction de retour

Enfin, la cour administrative d’appel valide le prononcé d’une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an. Cette mesure est une conséquence directe du refus de délai de départ volontaire, comme le prévoit l’article L. 612-6 du code. Le juge examine ensuite si des « circonstances humanitaires » auraient dû conduire l’administration à ne pas édicter une telle interdiction, et si sa durée est proportionnée. Il écarte l’argument du requérant relatif à sa marginalisation en Algérie, relevant une contradiction avec ses déclarations initiales sur les motifs de son départ. De plus, il constate que l’arrêté attaqué mentionne la prise en compte des critères prévus par la loi, tels que la durée de présence et la nature des liens avec la France, pour fixer la durée de l’interdiction. En concluant que la durée de douze mois n’est entachée d’aucune erreur, la cour confirme que cette mesure, bien que privative de liberté de circulation, est considérée comme une sanction administrative justifiée au regard de la situation de l’intéressé et de son maintien irrégulier sur le territoire.

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