Cour d’appel administrative de Nancy, le 22 avril 2025, n°21NC03029

Par un arrêt en date du 22 avril 2025, la Cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’un régime indemnitaire spécifique à une fonctionnaire de l’État mise à disposition d’une collectivité territoriale. La solution apportée par cet arrêt illustre la distinction entre le lieu d’affectation et le corps d’origine d’un agent pour la détermination de ses droits à rémunération.

Une chargée d’études documentaires, après avoir débuté sa carrière au sein des archives nationales, a été successivement mutée dans plusieurs services d’archives départementales à sa demande. Plusieurs années après sa dernière mutation, elle a été placée en position de mise à disposition auprès du même service départemental. Estimant devoir bénéficier du régime indemnitaire plus favorable des agents exerçant en administration centrale, au motif qu’il s’agissait de son administration d’origine, elle a sollicité le versement des sommes correspondantes pour la période de 2015 à 2019.

Suite au rejet implicite de sa demande par le ministre de la culture, l’agente a saisi le tribunal administratif de Besançon, qui a rejeté son recours. L’intéressée a alors interjeté appel, soutenant notamment que le service où elle était affectée devait être assimilé à une administration centrale et qu’une rupture d’égalité existait entre sa situation et celle des agents demeurés dans les services centraux. Le problème de droit soumis à la cour consistait donc à déterminer si un fonctionnaire de l’État, mis à disposition d’une collectivité territoriale, peut prétendre au bénéfice du régime indemnitaire des administrations centrales au seul motif qu’il y a débuté sa carrière, alors même qu’il était affecté dans un service déconcentré au moment de sa mise à disposition.

La cour a répondu par la négative, considérant que le bénéfice des indemnités liées à un exercice en administration centrale est subordonné à une affectation effective dans un tel service au moment de la mise à disposition. La solution retenue, fondée sur une interprétation stricte des conditions d’affectation, conduit à une application rigoureuse du principe d’égalité, différenciant les situations selon les régimes indemnitaires applicables dans le temps.

I. Une interprétation stricte de la condition d’affectation en administration centrale

Pour rejeter la requête de l’agente, la cour administrative d’appel a procédé à une analyse factuelle de sa situation administrative, en la confrontant aux textes régissant la position de mise à disposition. Elle a ainsi rappelé que le droit à un régime indemnitaire dépend de l’affectation réelle de l’agent (A), avant de réfuter l’idée que les services départementaux d’archives pourraient être assimilés à une administration centrale (B).

A. La réaffirmation du critère de l’affectation effective au moment de la mise à disposition

Le raisonnement de la requérante reposait sur une lecture extensive des dispositions relatives à la mise à disposition, selon lesquelles le fonctionnaire « demeure dans son corps d’origine, est réputé occuper son emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante ». Toutefois, la cour a précisé la portée de ce principe en matière indemnitaire. Elle énonce clairement que, si les agents mis à disposition peuvent conserver le bénéfice de certaines indemnités, c’est à la condition qu’ils aient occupé, « au moment de leur mise à disposition, un emploi dans un service d’administration centrale ouvrant droit à ces indemnités ».

En l’espèce, la cour a relevé que la fonctionnaire « était déjà affectée aux archives départementales du Doubs avant même sa mise à disposition le 1er juillet 2013 et n’exerçait pas ses fonctions en administration centrale ». Cette constatation factuelle est déterminante, car elle démontre que la condition d’affectation effective dans un service central n’était pas remplie lorsque la mise à disposition a été formellement prononcée. Le fait que l’agente ait appartenu par le passé à une administration centrale est jugé inopérant. La cour ancre ainsi le droit à l’indemnité dans la réalité fonctionnelle et géographique de l’agent au moment précis où son statut change, plutôt que dans son historique de carrière ou son corps d’appartenance.

B. Le rejet de l’assimilation des services départementaux d’archives à une administration centrale

La requérante tentait également de soutenir que les missions exercées au sein des archives départementales justifiaient une assimilation à un service d’administration centrale. La cour a écarté cet argument en analysant la nature juridique de ces services. Elle rappelle qu’ils constituent à la fois « des services des départements placés sous l’autorité du président du conseil […] départemental » et « des services déconcentrés de l’Etat placés sous l’autorité du préfet de département et du ministre chargé de la culture ».

Cette double nature n’entraîne pas pour autant une requalification en administration centrale. Bien que ces services exercent une mission régalienne de « contrôle scientifique et technique », ils demeurent organiquement des services déconcentrés de l’État. La convention de mise à disposition elle-même distinguait les missions exercées au nom de l’État de celles relevant de l’autorité du président du conseil général. En refusant cette assimilation, la cour confirme une conception stricte de la notion d’administration centrale, limitée aux structures ministérielles et services directement rattachés, et rejette une approche purement fonctionnelle qui aurait pu étendre le bénéfice de régimes indemnitaires dérogatoires.

II. Une application différenciée du principe d’égalité de traitement

Après avoir écarté le droit de l’agente au régime indemnitaire des administrations centrales, la cour examine le moyen tiré de la rupture d’égalité. Elle justifie la différence de traitement en distinguant deux périodes, marquées par une évolution réglementaire (A), et vérifie l’absence de traitement inéquitable dans le cadre du nouveau dispositif unifié (B).

A. La légalité de la distinction indemnitaire antérieure au RIFSEEP

Pour la période courant jusqu’au 1er juillet 2017, la cour constate que le droit positif organisait une différence de traitement entre les agents. Elle souligne que « les fonctionnaires affectés en administration centrale n’étaient pas, jusqu’au 1er juillet 2017, s’agissant du régime indemnitaire, dans la même situation de droit ». En effet, l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS) était régie par des décrets distincts selon que l’agent relevait des services centraux ou des services déconcentrés.

Cette différence de textes justifie en soi une différence de traitement. Le principe d’égalité impose de traiter de manière identique des personnes placées dans une situation identique. Or, en vertu de réglementations distinctes, un agent en service déconcentré n’était pas dans la même situation de droit qu’un agent en administration centrale au regard de l’IFTS. La cour applique ici une jurisprudence constante, selon laquelle une différence de traitement fondée sur une différence de situation juridique objective, découlant de textes différents, n’est pas constitutive d’une rupture d’égalité. Par conséquent, le refus d’accorder à la requérante l’IFTS des administrations centrales et la prime de rendement associée était légal.

B. L’absence de rupture d’égalité dans le cadre du nouveau régime unifié

À compter du 1er juillet 2017, le régime indemnitaire a été profondément modifié par la mise en place du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP). La cour note que ce nouveau régime « a supprimé la distinction existante entre les services centraux et les services déconcentrés ». Désormais, la rémunération indemnitaire est déterminée par l’appartenance à des groupes de fonctions, indépendamment du lieu d’affectation.

La cour procède alors à un contrôle concret de la situation de la requérante au regard de ce nouveau cadre. Elle constate que l’agente a bien été classée dans un groupe de fonctions de son corps et a perçu des montants au titre de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) qui étaient « supérieurs au socle indemnitaire du groupe de fonctions de la requérante ». Dès lors que l’administration a correctement appliqué les nouvelles règles unifiées et que l’agente n’a pas été traitée différemment d’autres agents placés dans le même groupe de fonctions, aucune rupture d’égalité ne pouvait être caractérisée pour la période postérieure au 1er juillet 2017. Le rejet de la demande est donc confirmé pour l’intégralité de la période litigieuse.

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Hassan KOHEN
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