Cour d’appel administrative de Nancy, le 22 avril 2025, n°23NC03581

Par un arrêt en date du 22 avril 2025, la cour administrative d’appel a statué sur la légalité de deux décisions préfectorales refusant un titre de séjour à une ressortissante étrangère. Cette décision est l’occasion pour la juridiction de préciser les conditions d’application du délai de recours raisonnable à une décision implicite de rejet, tout en réaffirmant les exigences probatoires pesant sur le demandeur d’un titre de séjour.

Une ressortissante étrangère, entrée en France en 2004, a obtenu le statut de réfugiée par extension des droits de son concubin l’année suivante. En 2006, elle s’est vu délivrer une carte de résident valable pour une durée de dix ans. En juillet 2016, elle a sollicité le renouvellement de ce titre, mais sa demande est restée sans réponse explicite de l’administration, donnant ainsi naissance à une décision implicite de rejet le 12 novembre 2016. Postérieurement, en 2018, son statut de réfugiée lui a été retiré, à la suite du retrait de celui de son concubin. Face à cette situation, elle a formé une demande d’admission exceptionnelle au séjour, laquelle a été expressément rejetée par le préfet. Par un nouvel acte du 4 mars 2022, le préfet a réitéré son refus de lui délivrer une carte de résident et a également refusé de lui accorder une carte de séjour temporaire au titre de la vie privée et familiale.

Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Strasbourg a, par un jugement du 21 juillet 2023, rejeté sa demande d’annulation de la décision implicite de 2016 comme étant tardive, et a également rejeté sa demande d’annulation de la décision expresse de 2022. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que sa première demande n’était pas irrecevable et que les refus de titre de séjour étaient entachés d’illégalité. Le préfet, pour sa part, a conclu au rejet de la requête.

Il appartenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer, d’une part, si le principe de sécurité juridique et le délai de recours raisonnable qui en découle sont opposables au destinataire d’une décision implicite de rejet dont il n’est pas établi qu’il a eu connaissance. D’autre part, la cour devait se prononcer sur la question de savoir si le préfet pouvait légalement refuser une carte de séjour temporaire au motif que la demanderesse ne justifiait pas de sa nationalité.

À ces questions, la cour répond de manière nuancée. Elle juge d’abord que le délai de recours raisonnable ne peut courir à l’encontre du destinataire d’une décision implicite de rejet que si la preuve de sa connaissance de ladite décision est rapportée par l’administration, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Statuant par la voie de l’évocation, elle annule cette décision implicite comme méconnaissant le droit au renouvellement de plein droit de la carte de résident de la requérante, qui était encore réfugiée à la date de la décision. En revanche, la cour confirme la légalité du second refus de titre de séjour, considérant que la demande de l’intéressée était incomplète faute de justification de sa nationalité.

La solution retenue par la cour administrative d’appel met en lumière une protection procédurale renforcée pour l’administré face à une décision implicite (I), tout en maintenant une exigence stricte quant à l’obligation pour le demandeur de titre de séjour de présenter un dossier complet (II).

I. La censure d’un refus implicite de renouvellement opposé à une réfugiée

La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance en ce qu’il avait déclaré irrecevable le recours contre la décision implicite de rejet. Pour ce faire, elle procède à une application conditionnée du délai de recours raisonnable (A), avant de sanctionner la violation du droit au renouvellement dont bénéficiait la requérante en sa qualité de réfugiée (B).

A. L’application conditionnée du délai de recours raisonnable aux décisions implicites de rejet

En l’espèce, les premiers juges avaient rejeté la demande d’annulation de la décision implicite de 2016 au motif qu’elle était tardive, considérant que la requérante en avait nécessairement eu connaissance au plus tard le 7 novembre 2018, date de sa demande d’admission exceptionnelle au séjour. La cour administrative d’appel censure ce raisonnement en rappelant et en précisant les règles issues du principe de sécurité juridique. Elle énonce que si le destinataire d’une décision administrative individuelle ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable, qui en règle générale ne saurait excéder un an, cette règle s’applique également à la contestation d’une décision implicite de rejet.

Toutefois, la cour apporte une précision essentielle : pour qu’un tel délai soit opposable, il doit être établi que le demandeur a eu connaissance de la naissance de cette décision implicite. La charge de cette preuve pèse sur l’administration. La cour souligne que cette preuve ne peut résulter « du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande ». Elle peut en revanche être établie si l’intéressé a été « clairement informé des conditions de naissance d’une décision implicite » ou si cette décision a été « expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l’administration ».

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour constate qu’aucun élément au dossier ne permet d’établir que la requérante a été informée de la naissance de la décision implicite, ni que celle-ci a été mentionnée dans des échanges ultérieurs. Elle en déduit, de manière notable, que « la circonstance qu’une personne qui était titulaire d’une carte de résident en qualité de réfugié en ait demandé le renouvellement, sans qu’il ait été fait droit à cette demande puis, se voyant ultérieurement privée du statut de réfugié, demande la délivrance d’une carte de séjour temporaire, n’est pas propre à permettre de considérer qu’elle aurait nécessairement eu connaissance de l’existence d’une décision implicite rejetant cette demande de renouvellement ». Ce faisant, elle refuse de déduire la connaissance de la décision d’un faisceau d’indices et exige une preuve plus tangible, protégeant ainsi l’administré contre les effets d’une décision qu’il pouvait légitimement ignorer.

B. La réaffirmation du droit au renouvellement de la carte de résident pour le réfugié

Ayant jugé le recours recevable, la cour administrative d’appel use de son pouvoir d’évocation pour statuer directement sur la légalité de la décision implicite du 12 novembre 2016. Le raisonnement suivi est alors d’une grande clarté et repose sur l’application stricte des textes en vigueur. La cour rappelle qu’aux termes de l’ancien article L. 314-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la carte de résident est, sauf exceptions non applicables en l’espèce, « renouvelable de plein droit ».

Le juge se place logiquement à la date de la décision contestée pour apprécier sa légalité. Or, au 12 novembre 2016, il est constant que la requérante « bénéficiait du statut de réfugié, qui ne lui a été retiré que par décision en date du 18 octobre 2018 ». La circonstance que son statut ait été retiré postérieurement est donc sans incidence sur l’appréciation de la légalité de la décision antérieure. Par conséquent, en refusant implicitement le renouvellement de sa carte de résident, le préfet a méconnu le droit au renouvellement de plein droit dont elle jouissait à cette date.

La cour annule donc la décision implicite de rejet, ainsi que la décision de 2022 en tant qu’elle ne faisait que réitérer ce refus. Cette solution réaffirme avec force la protection particulière attachée au statut de réfugié en matière de séjour. Cependant, la portée de cette annulation est tempérée dans ses conséquences pratiques, puisque la cour refuse d’enjoindre la délivrance d’une carte de résident, l’intéressée n’ayant plus le statut de réfugiée à la date de l’arrêt, et ordonne simplement un réexamen de sa situation.

Si la cour se montre ainsi protectrice des droits procéduraux de l’administré et des droits substantiels du réfugié, elle adopte une approche plus rigoureuse lorsqu’il s’agit d’examiner la légalité du refus de délivrer un autre titre de séjour.

II. La confirmation du refus de délivrance d’un titre de séjour en l’absence de justification de la nationalité

Parallèlement à son analyse de la décision implicite, la cour examine la légalité de la décision expresse du 4 mars 2022 refusant la délivrance d’une carte de séjour temporaire. Elle confirme sur ce point la position de l’administration, en insistant sur la charge de la preuve qui incombe au demandeur de titre (A), ce qui illustre la portée limitée du contrôle du juge face à un dossier incomplet (B).

A. La charge de la preuve de la nationalité pesant sur le demandeur de titre

La requérante soulevait plusieurs moyens à l’encontre de la décision de 2022, qui sont tous écartés par la cour. Le point central de l’argumentation du juge porte sur le caractère incomplet du dossier de la demande. Le préfet avait en effet fondé son refus sur le fait que l’intéressée ne justifiait pas de sa nationalité. La cour valide ce motif en se fondant sur les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui subordonnent l’examen d’une demande de titre de séjour à la production des documents justifiant de la nationalité du demandeur.

Face à l’argument selon lequel sa nationalité serbo-monténégrine avait été établie lors de la reconnaissance de son statut de réfugiée, la cour oppose une fin de non-recevoir. Elle juge que la décision de la Commission des recours des réfugiés « ne constitu[ant] pas un document d’état civil (…) n’établit pas sa nationalité ». De même, le certificat de naissance délivré par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, bien que constituant un acte authentique, « ne fait pas mention de la nationalité » de l’intéressée.

La cour souligne ensuite que la requérante, à qui un précédent refus avait déjà été opposé en 2019 pour le même motif, avait « la possibilité de demander à l’un de ces Etats d’établir son état-civil et sa nationalité ». En ne démontrant pas avoir effectué de telles démarches, elle n’a pas satisfait à l’obligation de présenter un dossier complet. La cour en conclut que le préfet, en refusant le titre pour ce motif, n’a commis ni erreur de droit ni erreur de fait. Cette position réaffirme le principe selon lequel il appartient au demandeur de titre de séjour de coopérer activement avec l’administration en fournissant toutes les pièces requises pour l’instruction de sa demande.

B. La portée limitée du contrôle du juge face à un dossier de demande incomplet

La validation du motif tiré du caractère incomplet du dossier a pour conséquence directe de rendre inopérants les autres moyens soulevés par la requérante. En effet, dès lors que le dossier n’était pas complet et que sa demande ne pouvait donc être régulièrement enregistrée, la cour juge que l’intéressée n’est pas fondée à invoquer une illégalité liée à l’absence de saisine de la commission du titre de séjour.

Plus encore, le juge déclare inopérants les moyens de fond relatifs à l’appréciation de sa situation personnelle, tels que « l’erreur d’appréciation du préfet quant à la menace pour l’ordre public et de l’erreur de fait et d’appréciation quant à sa vie privée et familiale en France ». Cette solution est classique : l’examen au fond d’une demande de titre de séjour est subordonné à sa recevabilité formelle, laquelle suppose un dossier complet. Le juge se refuse ainsi à exercer un contrôle de proportionnalité sur la situation de la requérante au regard de son droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors qu’une condition procédurale essentielle n’est pas remplie.

Cette approche, si elle est juridiquement rigoureuse, illustre les limites de l’office du juge administratif en droit des étrangers. La protection de l’administré, si effective soit-elle sur le terrain de la procédure contentieuse comme le montre la première partie de l’arrêt, trouve sa limite dans les obligations substantielles qui pèsent sur ce dernier lors de la constitution de son dossier. La décision commentée forme ainsi un diptyque cohérent, rappelant que si l’administration est tenue au respect scrupuleux des règles de procédure, l’administré ne peut s’affranchir des siennes.

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Hassan KOHEN
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