Par un arrêt en date du 22 avril 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a statué sur la légalité de décisions préfectorales portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français, et interdiction de retour. En l’espèce, des ressortissants étrangers, parents de quatre enfants dont deux encore mineurs, étaient arrivés en France en 2018. Leurs demandes d’asile successives ayant été rejetées, ils firent l’objet de premières mesures d’éloignement, auxquelles ils ne déférèrent pas, avant de solliciter la régularisation de leur situation administrative.
La procédure débuta par trois arrêtés d’une préfète en date du 14 novembre 2023, refusant à chacun des parents ainsi qu’à leur fils devenu majeur la délivrance d’un titre de séjour, leur faisant obligation de quitter le territoire français sous trente jours, et leur interdisant le retour pour une durée d’un an. Saisi par les intéressés, le tribunal administratif de Nancy rejeta leurs recours par un jugement du 2 mai 2024. Les requérants ont alors interjeté appel de cette décision, soulevant divers moyens d’illégalité à l’encontre des arrêtés préfectoraux, tandis que l’administration concluait au rejet de la requête.
Le problème de droit soumis à la cour consistait à déterminer si le refus de séjour opposé aux requérants portait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale et, dans la négative, si les mesures d’éloignement subséquentes étaient entachées d’illégalité, notamment quant à la désignation des pays de destination.
La cour administrative d’appel a rejeté l’essentiel des prétentions des requérants, validant le refus de séjour et les obligations de quitter le territoire. Elle a cependant opéré une annulation partielle, jugeant illégale la désignation d’une des destinations possibles pour deux des requérants, au motif que leur admissibilité dans ce pays n’était pas démontrée. L’arrêt illustre ainsi la confirmation du large pouvoir d’appréciation préfectoral en matière de régularisation (I), tout en rappelant l’existence d’un contrôle juridictionnel strict sur certains aspects techniques des mesures d’éloignement (II).
I. La confirmation du pouvoir discrétionnaire de l’administration dans le refus d’octroi du séjour
La cour administrative d’appel valide le raisonnement des premiers juges en confirmant la légalité du refus de séjour. Elle fonde sa décision sur une appréciation restrictive des liens privés et familiaux que les requérants avaient noués en France (A) et sur la reconnaissance du caractère subsidiaire de l’admission exceptionnelle au séjour (B).
A. Une appréciation restrictive des liens privés et familiaux en France
Le juge d’appel examine les situations personnelles des requérants au regard de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il estime que les refus de séjour ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés. Pour parvenir à cette conclusion, la cour relève que « le séjour des requérants en France, remontant au mois de mars 2018, n’est pas ancien » et que leur maintien sur le territoire après le rejet de leurs demandes d’asile et de premières mesures d’éloignement fragilise leur position.
De plus, la juridiction considère que l’insertion des intéressés dans la société française n’est pas suffisamment établie. Elle écarte la scolarisation des enfants mineurs comme un élément déterminant, celle-ci découlant de l’obligation scolaire et non de la régularité du séjour des parents. Le juge souligne également que « la cellule familiale […] peut se reconstituer ailleurs qu’en France, en particulier en Serbie ». Enfin, s’agissant du fils aîné, titulaire d’un titre de séjour en raison de son mariage avec une ressortissante française, la cour estime qu’il « a, ce faisant, constitué un foyer distinct et ainsi une vie privée et familiale distincte de celle de ses parents et de son frère ». Cette analyse conduit à minimiser l’intensité des liens familiaux en France et à justifier la décision de refus.
B. Le rejet de toute admission exceptionnelle au séjour à titre de faveur
Les requérants invoquaient également les dispositions de l’article L. 435-1 du même code, qui permettent la régularisation d’un étranger pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels. Sur ce point, la cour rappelle que l’administration dispose d’un « large pouvoir d’appréciation » et que l’admission exceptionnelle au séjour « constitue une mesure de faveur ». Elle juge que la préfète n’a pas commis d’erreur manifeste en estimant que la situation des requérants ne justifiait pas une telle mesure.
L’arrêt apporte par ailleurs une précision technique d’importance. Il indique que, sous l’empire de la rédaction actuelle de la loi, le préfet n’est pas tenu de suivre un ordre de priorité dans l’examen des motifs d’admission exceptionnelle. Contrairement à une jurisprudence ancienne, il n’a pas à rechercher d’abord s’il existe des motifs liés à la vie privée et familiale, puis, à défaut, des motifs liés au travail. La cour constate que l’administration a bien procédé à un examen global des situations personnelles, ce qui suffit à écarter le moyen tiré d’un défaut d’examen sérieux des demandes.
Si le juge administratif valide ainsi la décision principale de refus de séjour, il exerce cependant un contrôle plus pointilleux sur l’une des mesures accessoires d’éloignement.
II. Une censure ciblée des mesures accessoires d’éloignement
Conséquence directe du refus de séjour, les mesures d’éloignement sont pour l’essentiel jugées légales par la cour. Elle confirme la validité de principe de l’obligation de quitter le territoire et de l’interdiction de retour (A), mais sanctionne spécifiquement l’illégalité de la désignation d’un pays de renvoi où l’admissibilité des étrangers n’est pas établie (B).
A. La légalité de principe de l’obligation de quitter le territoire et de l’interdiction de retour
Une fois le refus de séjour validé, l’obligation de quitter le territoire français qui l’accompagne apparaît comme sa conséquence logique et nécessaire. La cour écarte les arguments des requérants en jugeant que cette mesure ne porte pas une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale, reprenant pour l’essentiel l’argumentaire déjà développé pour le refus de titre. Elle ne décèle pas non plus d’erreur manifeste d’appréciation des conséquences de cette décision sur leur situation.
De même, l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée d’un an est jugée légale. Le juge vérifie que la décision est suffisamment motivée et qu’elle atteste de la prise en compte par l’autorité administrative de l’ensemble des critères prévus par la loi, tels que la durée de présence en France et la nature des liens avec le pays. L’argument tiré de la présence régulière du fils aîné est écarté, la cour considérant que cette circonstance « ne fait pas obstacle à ce qu’ils puissent retrouver ses parents, son frère et ses deux sœurs ailleurs qu’en France pendant la durée des interdictions de retour ».
B. L’illégalité sanctionnée de la désignation d’un pays de renvoi non admissible
C’est sur la fixation du pays de destination en cas d’exécution forcée de l’éloignement que la cour exerce un contrôle plus rigoureux et prononce une annulation partielle. Les arrêtés préfectoraux désignaient comme destinations possibles la Serbie et le Kosovo. Le juge se livre alors à une analyse factuelle précise de la situation de chaque membre de la famille au regard du 3° de l’article L. 721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui subordonne le renvoi vers un pays tiers à la condition que l’étranger y soit légalement admissible.
Après examen des pièces du dossier, notamment des passeports et actes d’état civil, la cour conclut que si la mère est admissible en Serbie, il n’est en revanche pas établi que son concubin et leur fils, tous deux ressortissants serbes, « seraient admissibles au Kosovo ». Par conséquent, « en comptant le Kosovo au nombre des destinations possibles en cas d’éloignement d’office, la préfète des Vosges a méconnu » les dispositions précitées. Cette erreur de droit justifie l’annulation des articles des arrêtés préfectoraux qui mentionnent le Kosovo comme pays de renvoi pour les deux intéressés, et la réformation sur ce point du jugement du tribunal administratif.