Cour d’appel administrative de Nancy, le 22 juillet 2025, n°24NC02025

La cour administrative d’appel de Nancy, saisie après renvoi du Conseil d’État, a rendu une décision importante le 22 juillet 2025. L’arrêt précise l’étendue du pouvoir du magistrat chargé du suivi de l’expertise pour ordonner la communication forcée de documents. Un établissement de santé demandait réparation d’un préjudice financier lié à une entente illicite dans le secteur des revêtements de sol. Le tribunal administratif de Strasbourg a ordonné une expertise afin d’évaluer le montant des dommages subis par l’acheteur public. Devant le refus d’une société de produire des rapports d’expertise antérieurs, la magistrate chargée du suivi a prescrit leur communication sous astreinte. La société requérante a alors formé un recours, invoquant l’absence d’utilité des pièces et la méconnaissance du secret des affaires. La juridiction d’appel devait déterminer si des rapports issus de litiges distincts pouvaient être légalement exigés sur le fondement du code de justice administrative. La cour rejette la requête en confirmant que l’utilité des documents pour l’évaluation du préjudice justifie l’injonction de produire. L’étude de l’extension du domaine de l’expertise par le contrôle de l’utilité précédera l’analyse de l’encadrement strict des motifs de refus de communication.

I. L’extension du domaine de l’expertise par le contrôle de l’utilité

A. La consécration de la pertinence des éléments d’information externes

Le juge administratif dispose d’un pouvoir d’instruction élargi pour permettre à l’expert de remplir efficacement sa mission d’évaluation technique. La cour administrative d’appel de Nancy souligne que la demande de rapports issus de litiges distincts répond aux exigences de l’expertise. Cette sollicitation ne saurait être regardée comme « ne présentant pas une utilité suffisante pour la réalisation par l’expert de la mission qui lui a été confiée ». L’élaboration d’une méthode pertinente d’évaluation du préjudice financier justifie ainsi l’accès à des analyses contrefactuelles réalisées dans d’autres cadres contentieux. Le juge privilégie la recherche de la vérité économique sur le cloisonnement strict des procédures juridictionnelles intéressant les mêmes pratiques anticoncurrentielles. Cette solution renforce l’efficacité de l’expertise administrative dans le contentieux complexe des pratiques d’ententes illicites entre opérateurs économiques.

B. La garantie de l’équilibre procédural et du respect du contradictoire

La communication forcée de documents ne doit pas s’opérer au détriment des principes fondamentaux qui gouvernent le déroulement de l’instance contentieuse. La cour vérifie avec soin que la société requérante a pu débattre de la pertinence de la demande devant le juge. L’arrêt précise que la partie a été « mise à même de discuter de l’utilité, de la pertinence et du caractère proportionné de la demande ». Le respect du contradictoire est assuré par la possibilité offerte à la société de présenter toutes les observations utiles. L’injonction de produire n’entrave pas l’exercice des droits de la défense dès lors que les garanties procédurales sont maintenues. La magistrate chargée du suivi veille ainsi à l’équilibre entre la nécessité de l’instruction et la protection des intérêts des parties. Cette approche garantit la régularité des opérations d’expertise tout en facilitant la réunion des preuves nécessaires au succès de l’action indemnitaire.

II. L’encadrement strict des motifs de refus de communication

A. Le rejet des allégations imprécises de confidentialité

L’invocation du secret des affaires ne constitue pas un obstacle absolu aux pouvoirs d’investigation de l’expert désigné par la juridiction administrative. La société requérante doit démontrer de manière circonstanciée l’atteinte portée à ses intérêts légitimes par la communication des pièces sollicitées. Le juge écarte l’argumentation de la partie qui se borne à soutenir « que les pièces demandées sont confidentielles » sans précision suffisante. L’absence d’éléments d’information concrets sur les raisons interdisant la communication rend l’opposition de la société juridiquement inopérante devant la cour. La juridiction relève par ailleurs l’existence d’un protocole spécifique destiné à protéger les données sensibles durant les réunions d’expertise. La protection des secrets commerciaux doit se concilier avec le droit à un recours effectif de la victime de pratiques anticoncurrentielles. Le refus de produire ne peut donc prospérer sans une justification précise des risques réels encourus par l’entreprise ou les tiers.

B. La légitimité de la sanction pécuniaire face à la carence des parties

Le magistrat chargé du suivi de l’expertise peut recourir à des mesures coercitives pour vaincre la résistance injustifiée d’un plaideur récalcitrant. L’article R. 621-7-1 du code de justice administrative autorise expressément le président de la juridiction à ordonner la production sous astreinte. La cour valide l’application de cette sanction financière fixée à mille euros par jour de retard pour contraindre la société. Cette mesure assure l’exécution rapide des décisions de justice et prévient les manœuvres dilatoires susceptibles de ralentir le cours du procès. La carence des parties dans la remise des documents nécessaires autorise le juge à tirer toutes les conséquences juridiques de cette obstruction. La fermeté de la juridiction garantit la célérité de la procédure d’expertise indispensable à la bonne administration de la justice. L’astreinte constitue ainsi un outil de contrainte efficace pour assurer la pleine collaboration des parties aux mesures d’instruction ordonnées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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